58842-THE_DISCIPLE_-_Official_still__Credits_Zoo_Entertainment_2020___4_affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle?

De la vie d’un homme entièrement dédié au chant et à la musique classique indienne et confronté, comme tout artiste, à la difficulté de vivre de son art sans se compromettre et sans vendre son âme.
Sharad  est un puriste, un perfectionniste. Pour lui, la musique est bien plus qu’un simple moyen d’expression artistique, c’est une philosophie de vie, un sacerdoce. Comme son père avant lui, il suit l’enseignement d’un gourou exigeant, avec pour objectif d’atteindre non pas une perfection technique, mais une forme de pureté absolue, de vérité. Quand il n’est pas en train de pratiquer ses vocalises, il écoute des performances d’autres artistes mais aussi les enregistrements d’une des légendes de la musique indienne, inconnue du grand public, mais considérée comme une quasi-déesse par ses adeptes.
Mais son approche artistique n’est plus vraiment en phase avec l’époque. Alors que le monde moderne propose de plus en plus de moyens de faire connaître des artistes, de transmettre le patrimoine des anciens et leurs témoignages plein de sagesse, les jeunes générations préfèrent se tourner vers des chanteurs issus du même moule, formatés pour plaire au plus grand nombre et chantant finalement la même soupe. Les traditions se perdent peu à peu, et le genre de relation gourou-disciple que Sharad entretient avec son Maître tend aussi à disparaître.
Pourtant, même en étant constamment confronté à la dureté du monde environnant, il essaie de rester fidèle à ses convictions. Il ne cède ni à la pression de sa mère et sa tante, qui l’incitent à se marier et à trouver un vrai travail, ni à la facilité d’une musique grand public, qui pourrait lui apporter la gloire et la fortune. Il continue de s’occuper de son vieux maître même quand des spécialistes en musique indienne minimisent son talent et ses qualités d’éducateur.
Mais combien de temps pourra-t-il encore tenir?

Pourquoi on suit le gourou Chaitanya Tamhane?

Parce que le cinéaste indien possède un indéniable talent pour la mise en scène. On le sait depuis son premier long-métrage, Court, qui nous plongeait dans les rouages de la justice indienne contemporaine. Ici, il parvient à nous passionner pour le parcours de son personnage principal sans que l’on soit particulièrement connaisseur ou amateur de chant classique indien. Il arrive en peu de plans à nous faire comprendre les enjeux. On comprend très vite que le jeune Sharad est obstiné et prêt à tout pour atteindre la perfection de son art et on devine que son parcours va être semé d’embûches, de déceptions et de frustrations. On note sa déception quand il ne fait pas partie des lauréats, après un concours de chant, sa frustration quand il n’arrive pas à reproduire certaines vocalises complexes, contrairement aux deux autres disciples de son maître. Mais il s’accroche, continue de s’entraîner encore et encore, en restant fidèle à son gourou. Cette dévotion a un coût : Sharad n’a pas le temps de se consacrer à une vie sociale et encore moins à une vie amoureuse. Son existence n’est faite que de musique classique. Avec le temps, il est jugé digne de donner ses propres concerts, mais le public n’a plus vraiment goût à ce genre de performance. Les spectateurs se raréfient d’année en année et Sharad ne progresse pas assez aux yeux de son maître, qui lui adresse des critiques de plus en plus dures. Pour arrondir les fins de mois, Sharad devient lui-même enseignant, mais dans un cours privé, où les élèves ne sont pas aussi impliqués qu’il le souhaiterait.
La société est en pleine mutation. Il n’y a plus le même respect des traditions ou des plus âgés. Les jeunes veulent, comme leurs homologues occidentaux, connaître rapidement la gloire et la fortune.
Au fil du temps, l’amertume grandit et le chanteur se demande s’il doit vraiment persévérer dans cette voie. La perspective de finir comme son maître, presque ruiné et solitaire, l’incite à réfléchir à son avenir et à la façon de vivre sa vie sans perdre son âme et ses principes philosophiques.

A travers ce personnage et son parcours tortueux, c’est de lui-même que Chaitanya Tamhane veut parler. Le réalisateur indien suit la voie d’un cinéma Art & Essai pur et dur, loin des dictats du cinéma commercial. Il aurait certainement les compétences techniques et humaines pour diriger un film à gros budget bollywoodien, ou réaliser des clips pour les popstars indiennes, mais ce n’est pas sa conception du métier. C’est un artiste engagé, qui refuse de se compromettre ou de sombrer dans la facilité. Ses gourous à lui, ce sont les grands cinéastes indiens, comme Satyajit Ray – on pense évidemment au Salon de musique, où la musique classique indienne tenait une place proéminente – et les maîtres du cinéma mondial, qui savent qu’un plan fixe est souvent plus efficace qu’une caméra virevoltante, que l’épure est préférable au tape-à-l’oeil, que l’émotion tient parfois à la durée d’une scène.
On lui souhaite de pouvoir continuer encore longtemps à vivre de sa passion sans se compromettre et d’atteindre un jour le niveau d’excellence artistique désiré.

Il est en tout cas bien parti pour faire une belle carrière. En deux films, il prouve qu’il est un cinéaste à suivre et l’un des plus fins observateurs de la société indienne actuelle, où les traditions séculaires coexistent parfois difficilement avec un mode de vie moderne calqué sur les sociétés occidentales.

Prix potentiels ? :
A condition que le jury ne soit pas allergique à la musique indienne, The Disciple pourrait ne pas revenir bredouille du Lido. Un prix de la mise en scène ne serait pas immérité. Un Grand prix non plus… Pour le Lion d’Or, on attend de voir la suite, mais c’est tout à fait jouable.
A moins que les jurés ne choisissent de primer l’acteur principal, Aditya Modak.

Autres points de vue sur le film :

“A Brilliant Look at a Passionate Musician in a World That Moves Too Fast For Him”
(Eric Kohn –  Indiewire)

”Ce n’est probablement pas ce genre de film qui va attirer les foules au cinéma, mais c’est quand même une oeuvre très intéressante et bien construite”
(Un spectateur français en sortie de séance)

Crédits photos : Zoo entertainement 2000

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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