58210-QUO_VADIS__AIDA_-_Official_poster[Compétition Officielle]

De quoi ça parle?

De l’invasion de la ville de Srebrenica en juillet 1995, et des circonstances qui ont précédé le génocide de plus de 8000 Bosniaques, vues à travers le regard d’Aïda, l’une des professeures de la ville, engagée comme traductrice par les troupes de l’ONU.
Elle sert de relais entre les casques bleus et les nombreux civils entassés dans un camp de fortune de l’ONU. C’est elle qui donne les consignes des officiers de l’ONU à ses concitoyens, qui recrute les volontaires pour les pourparlers avec les forces Serbes. Impliquée dans sa tâche, elle doit aussi essayer de porter assistance à son mari et ses fils, bloqués à l’extérieur du camp et sous la menace des militaires Serbes. Mais ce combat est illusoire, car le camp de l’ONU n’offre plus aucune garantie de sécurité. Bientôt, les soldats ennemis prendront le contrôle de la ville et pourront commettre en toute impunité les pires exactions.

Pourquoi on fait sonner les trompettes pour Aïda?

Parce qu’il est impossible d’être insensible à la tragédie qui se dessine sous nos yeux, au fur et à mesure que le récit progresse, et qu’on ne peut que s’attacher au personnage principal. Plongée dans un conflit qui la dépasse et met à mal les valeurs qu’elle défendait au quotidien, Aïda fait preuve d’une énergie et d’un courage hors normes. Son statut de professeur et sa mission d’interprète auprès des forces de l’ONU en font l’une des figures les plus importantes de la population civile de Srebrenica, presque une figure politique, puisque tous les conseillers municipaux ont pris la fuite dès qu’a débuté l’invasion serbe. Elle est le lien entre la population et les différents corps de métier : militaires, médecins, humanitaires… Elle aide tout le monde sans jamais ménager ses efforts, et elle n’est guère payée en retour. Elle ne peut compter que sur elle-même pour tenter de sauver ses hommes – son mari et ses deux fils – qui ont combattu les Serbes et risquent d’être arrêtés dès que leurs troupes finiront par envahir le camp de l’ONU. Elle redouble d’énergie pour les mettre en lieu sûr, calmer leurs ardeurs belliqueuses, fait tout pour leur obtenir les papiers qui leur permettront d’obtenir, comme elle, la protection de l’ONU. Le contraste avec la fin du film est saisissant. Aïda a survécu physiquement à la guerre, mais à l’intérieur, quelque chose s’est brisé. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, éteinte, pleine de douleur et de chagrin, désespérée de n’avoir pu empêcher la tragédie. Si elle continue son métier d’enseignante, elle ne peut oublier que, parmi ses anciens élèves, certains sont devenus les bourreaux de Srebrenica et que l’éducation qu’elle donne à ces enfants est bien dérisoire par rapport aux horreurs dont est capable le genre humain.

Quo vadis Aïda ? séduit aussi par les deux choix de mise en scène forts opérés par Jasmila Zbanic. Le premier est d’expliciter le moins possible le contexte du film : On comprend juste que la prise de Srebrenica fait suite à trois ans de guerre et que les forces de l’ONU envoyées sur place sont dépassées. Elles n’ont pas pu empêcher les belligérants de poursuivre les conflits, ni d’éviter l’invasion de Srebrenica, pourtant déclarée zone protégée. Le camp de réfugiés est saturé et doit interdire l’accès à toute une partie de la population. Les ultimatums adressés à la Serbie restent sans effet et il n’y a pas d’autre choix que de négocier l’évacuation des civils avec le Général Mladic.
Les personnages du film ne savent pas ce qui les attend, contrairement au spectateur, qui, à moins d’être né de la dernière pluie, sait que la ville de Srebrenica a été le théâtre du plus important génocide depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, représentant près de 10% des victimes de la Guerre de Bosnie-Herzégovine, que le Général Mladic a été condamné pour ses crimes de guerre. Il assiste donc, conscient mais impuissant, à l’entrée du loup dans la bergerie, et à ses manigances pour prendre le total contrôle de la ville, sans qu’aucun des protagonistes ne réagisse. La seule qui prend conscience du danger imminent, c’est Aïda. Elle perçoit la haine des soldats Serbes, voit bien que les officiers de l’ONU sont en train de se résigner. Elle devine que les bus affrétés pour évacuer le camp de l’ONU ne sont pas sécurisés et comprend, au regard désabusé d’un des conducteurs, que les passagers ne reviendront pas vivant du voyage.
C’est par la prise de conscience d’Aïda, son combat désespéré pour sauver les siens d’un sort funeste, que le spectateur ressent l’horreur du génocide.

Le second choix fort de mise en scène est de ne pas montrer directement les horreurs de la guerre. Déjà parce que, selon la même logique, les personnages n’ont pas idée de ce qui se trame vraiment, hors du camp “sécurisé” de l’ONU, mais aussi parce qu’aucune image ne peut permettre de retranscrire la barbarie et l’inhumanité du génocide. La cinéaste ne déroge qu’une fois à ce principe, en toute fin du film, en montrant des cadavres exhumés d’un des charniers de Srebrenica. Parce qu’il est nécessaire, malgré tout, d’avoir une trace visuelle de ce massacre, une preuve de son existence, alors que les victimes ne sont plus là pour témoigner et qu’il reste plus de traces de la propagande du régime de Milosevic que de témoignages de Bosniaques ayant subi les atrocités de la guerre. Le film montre d’ailleurs des exemples de cette propagande, quand Mladic demande à un groupe de femmes, sous le regard d’une caméra, de profiter de leur voyage, alors qu’elles vont certainement subir viols et outrages. Et quand le sort réservé aux hommes est enfin révélé, on entend clairement “Le vrai film commence maintenant”. Le but de la cinéaste est de laisser une trace de cette période qu’elle a elle-même connue, de montrer comment cette barbarie a été rendue possible, malgré les signes annonciateurs. Elle stigmatise beaucoup les troupes de l’ONU, entre un haut-commandement invisible, totalement coupé des réalités du terrain et inefficace dans ses discussions diplomatiques avec la Serbie, des officiers dépassés et lâches, qui finissent par renoncer à leur mission et à la promesse de protéger les populations civiles, et des casques bleus inexpérimentés, prêts à craquer à la moindre montée de tension. Ce sont eux, et les gouvernements des principales puissances européennes, qui n’ont pas su prendre leurs responsabilités et laissé les barbares commettre les pires exactions en plein coeur de l’Europe.

Prix potentiels ? :

Ce film coup de poing sur la Guerre de Bosnie-Herzegovine est clairement en lice pour un prix. Mise en scène, Grand Prix ou pourquoi pas le Lion d’Or.
Sinon, l’actrice Serbe Jasna Djuricic,  mériterait bien un prix d’interprétation pour sa performance dans le rôle d’Aïda. Elle porte le film de bout en bout.

Autres points de vue sur le film :

”It may be the definitive account of Srebrenica on film, and it opened Venice competition (it is also playing in Toronto) on a somber high note.”
(Deborah Young – Hollywood Reporter)

”Totalement univoque, Quo Vadis, Aida ? ne repose au final que sur une série de caricatures : les pauvres Bosniaques apeurés, les pleutres Casques bleus et des Serbes bestiaux et cruels.”
(Hubert Heyrendt – La Libre)

REVIEW OVERVIEW
Note :
SHARE
Previous article[Venise 2020] “Apples” de Christos Nikou
Next article[Venise 2020] “Amants” de Nicole Garcia
Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

LEAVE A REPLY