En fait, plutôt qu’une réplique de film, cette semaine, c’est un petit texte de Pierre Desproges, issu du "Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis" que nous mettons à l’honneur, histoire de marquer avec humour l’ouverture du 64ème festival de Cannes :

 

Cannes (06400), chef-lieu de canton des Alpes-Maritimes (arrondissement de Grasse).
71 247 habitants en comptant les femmes et les juifs.

Haut lieu du tourisme balnéaire international, célèbre pour sa Croisette bordée de palmiers et pleine de connes emperlousées traînant des chihuahuas, Cannes brille surtout par son festival annuel du cinéma où les plus notables représentants de la sottise journalistique parasitaire côtoient les plus éminentes incompétences artistiques internationales, entre deux haies de barrières métalliques où, sinistrement empingouinés, le havane en rut ou la glande mammaire au vent, pressés, tassés, coincés, luisants comme des veaux récurés qu’on pousse à l’abattoir, tous ces humanoïdes chaleureusement surgelés se piétinent en meuglant sous les brames effrayants des hordes populaires. Hormis le congrès annuel des garçons de bain cégétistes et les soirées gourmette chez Régine, peu de réunions mondaines laissent suinter autant de vulgarité.

Mais Cannes n’est pas seulement le paradis des pellicules. A s’y promener l’hiver, on s’aperçoit bientôt qu’elle forme, avec Nice sa voisine, l’un des plus grands mouroirs à rupins du monde. Au moindre rayon de soleil, vieux poussins frileux, ils s’extraient en tremblant de leur béton cossu, odieusement pomponnés en yachtmen ou en princesses des mille et une rides.
Doucement, à petits pas, ces fossiles dorés s’en vont moirer encore le cuir fripé brun caca de leur vieille tête aux traits déjà morts à force de chirurgie, de lassitude et d’ennui confortable. Sur le coup de midi, ils iront chipoter du groin au-dessus d’un homard, avant de se recroqueviller sur leur coussin d’or pour une sieste agitée de remords tardifs et de renvois de sauce rouille.
Puis, si le crépuscule est tiède, trottineront vers le port de plaisance pour aller caresser leur bateau à moteur en acajou super Barbès d’où ils ne partiront plus jamais debout, mais sur le pont duquel, quand le temps reste clair, ils s’appuient encore aux haubans, leur nez refait pointé vers Dieu pour lui demander s’il existe.

Desproges

         Pierre Desproges dans "Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et
         des biens nantis" – éd. Points Poche

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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