Après la folle nuit d’ouverture, je me réveillai la bouche pâteuse et le crâne bourdonnant. Une bonne douche, un cachet d’aspirine et un café noir comme une nuit sans lune me remirent d’aplomb. Il ne fallait surtout pas se laisser aller, car les choses sérieuses allaient commencer, avec quatre projections au programme, et un long voyage entre les cinématographies du monde entier.

The man from nowhere - 2

Pour commencer, nous fîmes un petit tour du côté de la Corée du Sud, avec le film The Man from nowhere.
Voici ce que j’écrivis sur ce premier long-métrage de la compétition officielle, signé Lee Jeong-beom.

The Man from nowhere : ●●●●●

Les cinéastes sud-coréens nous ont habitué à des polars assez durs, violents et sanglants, menés à un rythme d’enfer, mais non dénués d’une certaine sensibilité. Ce film-ci ne déroge pas à la règle. Son héros, Tae-sik, est un prêteur sur gages taciturne, ancien agent d’élite marqué par un drame personnel. Son seul rayon de soleil est sa jeune voisine, une gamine de dix ans pleine de vie qui voit en lui un substitut paternel. La mère de la gamine est une junkie et fricote avec des truands.  Un jour, elle dérobe un échantillon d’héroïne pure qui devait servir à un deal entre un gangster coréen et une organisation criminelle chinoise. Elle cache la drogue dans un appareil photo et le met en gage chez son voisin. Les gangsters ont vite fait de retrouver la trace de la jeune femme et l’enlèvent, ainsi que l’enfant, avant de rendre visite au prêteur sur gages.
Pour sauver la fillette, Tae-sik n’a d’autre choix que de se laisser entraîner dans les trafics de l’organisation chinoise… Mais ceux-ci ignorent tout de son passé et de ses capacités de combat particulièrement affûtées.
L’histoire est assez classique. Elle emprunte ses thèmes et ses situations à plusieurs films asiatiques du même genre, comme The Killer, Breathless ou The beast stalker, présenté ici il y a deux ans. Mais le récit est mené à un rythme d’enfer, les scènes d’action sont joliment chorégraphiées et le film repose beaucoup sur les relations qui se nouent entre les différents protagonistes, notamment celle entre le héros (Won Bin) et la jeune fille (Kim Sae-ron, l’adorable petite fille de Une vie toute neuve).
Et si la mise en scène fait un peu peur au début du métrage, avec son montage épileptique et ses scènes confuses, tout se calme très vite pour donner une oeuvre de facture tout à fait honorable.

The man from nowhere - 3

Après ce film ne lésinant pas sur l’hémoglobine, Hughes me proposa d’aller manger un steak – saignant – dans un restaurant du centre ville, non loin de nos hôtels respectifs, au nom ô combien évocateur de “Piqu’ boeuf” (1). Je commandai un parmentier d’époisses aux lardons, en fait une sorte de tartiflette qui aurait pu tout à fait faire office de plat principal, et une entrecôte grillée au feu de bois. Je tressaillis en voyant arriver le morceau de viande, tout comme mon confrère, qui s’exclama “Oh, la vache!”. Il ne croyait pas si bien dire : vu la taille de la pièce de viande, cela aurait pu tout à fait correspondre à l’envergure du boeuf lui-même… Pour faire passer ce repas on ne peut plus copieux – à prix tout à fait abordable – nous commandâmes un petit A1oxe Corton 2006 fort goûteux… Moi qui ne buvait d’habitude pas d’alcool commençait à me laisser griser par les divins nectars offerts par la cité bourguignonne…

Piqu'boeuf

Après cet intermède gastronomique, nous retournâmes au Cap Cinéma pour continuer notre voyage cinématographique, cette fois du côté de l’Italie et de l’Allemagne avec le second film en compétition, Une vie tranquille. Et voici ce que j’écrivis :

Une vie tranquille : ●●●

Une vie tranquille? Celle de Rosario, quinquagénaire italien installé en Allemagne depuis douze ans, qui tient un petit restaurant gastronomique  (on n’y mange pas des pièces de boeuf titanesques, mais des morceaux de sanglier tout frais chassé…) et s’occupe de sa petite famille, sa femme et son jeune fils. Pourtant, un beau jour, deux jeunes italiens débarquent sans prévenir et viennent  remettre en question cette petite vie sereine. Ils appartiennent à la mafia et sont là pour exécuter un contrat. Suite à des événements imprévus, ils ont été contraints de se réfugier chez Renato. L’un des jeunes tueurs le connaît bien, au point de connaître son passé, son identité réelle…
S’ensuit un film… tranquille. Un peu trop tranquille d’ailleurs. Le rythme du film, assez lent, fait que l’on frôle l’ennui par moments, et que l’on devine un peu trop facilement le déroulement du scénario. Mais le cinéaste privilégie l’ambiance et dissèque les relations complexes qui unissent les personnages. Et comme il a eu la bonne idée de faire appel à l’excellent Toni Servillo dans le rôle principal ainsi qu’à de jeunes comédiens convaincants, comme Marco d’Amore et Francesco Di Leva, le résultat est intéressant, à défaut d’être aussi émouvant que l’aurait souhaité le réalisateur…

Une vie tranquille - 2

Le festival aussi était tranquille, trop tranquille. Même si le public se divisait sur les six salles du Cap Cinéma, les deux salles principales, dédiées aux films en compétition et aux avant-premières, étaient loin d’être combles. Mais il n’était pas le seul à déserter le cinéma de la ville. Je notai l’absence de Stefano Accorsi, qui devait faire partie du jury officiel, et celle de Claudio Cupellini, le réalisateur d’Une vie tranquille. Je me mis à mouliner du disque dur : Et si la menace planant sur le festival avait trait à la Mafia italienne? Et si un psychopathe avait choisi d’éliminer toutes les personnalités italiennes du festival ? Qui allait être le prochain sur la liste ?

Mais je n’eus pas le temps de trop gamberger. Il fallait déjà poursuivre notre périple cinématographique, qui nous emmenait d’abord dans la Grande-Bretagne des années 1960 avant de faire un saut en Afghanistan, en Irlande du Nord, aux Etats-Unis, etc…, dans le sillage de Mr. Nice, le héros du nouveau film de Bernard Rose.
Voici ce que j’écrivis sur ce film, une des premières bonnes surprises du festival.

Mr Nice - 3

Mr. Nice : ●●●●●

Bernard Rose est un cinéaste inégal, capable de belles choses (Paperhouse, Chicago Joe & the showgirl, et, dans une moindre mesure, le premier Candyman) et d’oeuvres plus ambitieuses mais moins convaincantes (sa trilogie autour des oeuvres de Leon Tolstoï Anna Karenine / Ivans XTC / The Kreutzer sonata). Son nouveau film, Mr. Nice appartient sans conteste à la première catégorie.

Il y raconte comment Howard Marks (Rhys Ifans), un jeune gallois sérieux et bien sous tous rapports, est devenu en quelques années l’un des plus grands trafiquants de marijuana de la planète (on dit qu’il a contrôlé à lui seul jusqu’à 10% de la production mondiale de cannabis).
Enfant timide et sage, régulièrement brimé par ses petits camarades, il s’est réfugié dans les études. Ainsi, il a reçu d’excellentes notes et a pu s’inscrire dans la prestigieuse université d’Oxford, en Angleterre. A peine installé sur le campus, il a découvert, sous l’apparente quiétude des lieux, derrière ces murs chargés d’histoire et de rigueur morale, un univers secret et enfumé, où tout le monde peut s’adonner à des plaisirs interdits. Rapidement consommateur de haschich, il s’est aussi mis à en dealer, notamment pour s’attirer les faveurs des filles. Puis il a été contraint de se calmer et de rentrer dans le rang. Il a obtenu son diplôme, s’est marié, est devenu professeur dans la prestigieuse école anglaise, et surtout, à arrêté toute consommation de drogues.

Mr Nice - 2

Mais cette accalmie n’a été que de courte durée. Un jour, un de ses anciens camarades, arrêté à la douane, l’a chargé de récupérer une importante cargaison de cannabis et de la convoyer jusqu’en Angleterre. Marks a réussi à rapporter la marchandise et à la vendre en un temps record, si bien que les producteurs afghans lui ont confié des quantités de haschich de plus en plus importantes à écouler. Pour contourner les douanes, le jeune homme a eu l’idée de s’acoquiner avec un révolutionnaire de l’IRA, et d’importer sa drogue jusqu’en Irlande en faisant passer ses cargaisons pour des armes destinées au mouvement révolutionnaire…
Parallèlement à ce petit trafic, Marks a aussi été approché par le MI6, les services secrets anglais, pour servir d’informateur sur les activités de l’IRA…
Ce double jeu lui a permis de se sortir de toutes les situations délicates, notamment divers procès pour trafic de stupéfiants, jusqu’à son ultime arrestation, au début des années 1990 qui lui valut sept ans de prison.

A l’instar de Vallanzasca qui était en vedette hier soir à Beaune, Marks existe réellement et était un malfaiteur attachant, intelligent et charismatique. Mais il est, lui, un authentique “gentil” (nice, en anglais) : il n’a jamais eu recours à la violence ou aux armes à feu, et n’a même jamais dealé de drogues dures. Pour lui, le cannabis n’est d’ailleurs pas une drogue, juste une marchandise comme une autre qu’il conviendrait de légaliser…
Certains spectateurs trouveront sûrement que ce film fait l’apologie de la marijuana et de la légalisation des drogues douces, qu’il est moralement douteux. D’autres seront d’accord avec la démarche militante d’Howard Marks. Au moins, le film a le mérite d’ouvrir le débat…

Mais au-delà de son propos, c’est par sa forme que le film séduit. Outre une distribution étincelante, emmenée par un Rhys Ifans en grande forme et comprenant dans ses rangs Chloë Sevigny, David Thewliss (génial en irlandais révolutionnaire frappadingue), Luis Tosar et Elsa Pataky, Mr. Nice bénéficie d’une mise en scène soignée et efficace.
On salue notamment un gros travail sur l’image, chaque tranche du film étant traitée différemment, selon les critères esthétiques correspondant aux époques évoquées, noir et blanc et clairs-obscurs pour les années 1960, images granuleuses et couleurs chaudes pour les années 1970, pellicule plus classique et couleurs naturelles pour les années 1980… Bref, Mr. Nice est un “nice movie”…

Mr Nice - 4

Je finis ma journée de festival par un petit tour en Afrique, avec le film congolais Viva Riva! et constatai non sans regrets la différence de moyens entre le cinéma européen et le cinéma africain. Ma critique fut un peu moins enthousiaste…

Viva Riva! : ●●

On sait que les cinéaste d’Afrique Noire ont beaucoup de mal pour trouver les fonds et le matériel pour réaliser leurs films. Et comme le polar ne fait pas forcément partie des cultures locales, les films policiers sont rarissimes.
Aussi, on attendait beaucoup de  Viva Riva! de Djo Tunda wa Munga. Ce drame criminel se déroule à Kinshasa, ville où se côtoient quelques riches privilégiés et de très nombreux pauvres, prêts à tout pour faire fortune et s’élever socialement. Riva est de ceux-ci. Après plusieurs années passées en Angola, il revient au pays avec une importante cargaison d’essence ce qui, dans une ville en pleine pénurie de carburant, pourrait le rendre riche. Le hic, c’est que l’essence appartenait à un groupe de gangsters angolais bien décidés à retrouver leur bien et se venger de Riva. Et pour bien corser les choses, ce dernier ne trouve rien de plus intelligent que de s’enticher de la poule de luxe d’un parrain local, homme violent et rancunier, qui lui aussi, cherche à lui faire la peau, à moins qu’il ne lui cède toute la cargaison de carburant… Entrent dans la danse un prêtre véreux, une militaire soumise à un odieux chantage, une prostituée/indic prête à tout pour gagner de l’argent et un ami pas très fiable,…

Riva is a small time operator who has just returned to his hometown of Kinshasa, Congo after a decade away with a major score: a fortune in hijacked gasoline. Wads of cash in hand and out for a good time, Riva is soon entranced by beautiful night club denizen Nora, the kept woman of a local gangster. Into the mix comes an Angolan crime lord relentlessly seeking the return of his stolen shipment of gasoline. Director Djo Tunda Wa Munga’s Kinshasa is a seductively vibrant, lawless, fuel-starved sprawl of shantytowns, gated villas, bordellos and nightclubs and Riva is its perfect embodiment.

Le scénario recycle les thèmes classiques du polar – chasse à l’homme, trahisons et alliances tordues, intervention de femme fatale et règlements de comptes meurtriers – et rend compte à sa manière de la façon dont l’argent pourrit les relations entre les individus, à plus forte raison dans des zones dévastées par des années de guerres civiles et rongées par les inégalités de classes. Il s’agit en quelque sorte d’une fable morale moderne, dans laquelle tous ceux qui se compromettent avec les gangsters ou s’impliquent de près ou de loin dans le trafic de carburant paieront le prix fort leur cupidité ou leur lâcheté. Et comme le cinéaste est assez jusqu’au-boutiste dans sa démarche, le film est bien sombre et bien désespéré, comme il se doit.

Le problème, c’est que la mise en scène est très maladroite, manque cruellement de moyens et est surtout plombée par le jeu outrancier des comédiens. L’ensemble est tellement mal joué que le film prend l’allure de ces vieilles bobines de blaxploitation des années 1970, kitsch et truffées de dialogues à la limite du ridicule. Pour une parodie comme Black dynamite, on s’en accommoderait très bien. Mais là, l’ambition de l’auteur n’est pas du tout de réaliser un film comique, au contraire… Et donc, c’est triste à dire, mais c’est raté…

Viva Riva - 2

Au terme de cette journée de projection, j’étais partagé entre satisfaction et déception. Côté films, j’avais vu du bon et du moins bon. Côté enquête, j’avais un début de piste avec la disparition des invités italiens, mais rien de concret. Il allait me falloir continuer activement mes investigations pour trouver quelle menace pesait sur le festival…
En attendant, tous ces voyages d’un point à l’autre de la mappemonde m’avaient donné la désagréable impression d’être en décalage horaire. J’avais les nerfs en pelote. Pour les démêler, je partis boire un petit verre de Vosne-Romanée. Le divin breuvage m’apaisa immédiatement, faisant pétiller mes papilles et me réchauffant l’oesophage de ses saveurs ensorcelantes. Apaisé, je pus regagner mon hôtel et je sombrai très vite dans un sommeil bienfaisant…

(A suivre)

(1) : “Piqu’boeuf” – 2, rue Faubourg Madeleine – 21200 Beaune

Beaune 2011 bandeau

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