J’attaquai cette troisième jour plein d’espoir.
Au cours de la nuit, j’avais fait un rêve étrange et pénétrant : j’étais dans une pièce au sol zébré de noir et de blanc, avec des rideaux rouges aux murs et peuplé de types inquiétants tels que ce nain qui dansait en parlant bizarrement, ce géant à noeud pap’, ce barbu manchot, ce chevelu au sourire sadique. Il y avait aussi un man in black prénommé Dale et une blonde sexy répondant au doux nom de Laura (1). En me réveillant, j’eus l’idée d’aller vérifier si la clé de mon énigme ne se trouvait pas dans les films présentés, un peu comme dans Da Vinci Code…

beaune 2011 - red room

Pour l’instant, j’avais un braqueur de banque italien, un mafioso repenti, des trafiquants de drogues, d’organes ou d’essence. Bigre! Tout cela ressemblait fort à une association de malfaiteurs… Mais il fallait que je trouve d’autres indices dans les films du jour, tout en continuant d’être attentif à ce qui se passait dans les coulisses du festival.

Je commençai par vérifier que le jury était bien au complet. Stefano Accorsi manquait toujours à l’appel, mais les autres étaient fidèles au poste. Idem du côté du jury Sang Neuf et des réalisateurs invités. Un peu rassuré, je pouvais me glisser conjointement dans mon fauteuil et dans la peau d’un critique de cinéma…

small town murder songs - 2

Le premier film de cette journée, Small town murder songs, était un film canadien au rythme très lent. Voici ce que j’écrivis à son sujet.

Small town murder songs : ●●●●

Dans une petite ville mennonite de l’Ontario, un policier fatigué (Peter Stormare) tente d’expier ses fautes passées en s’investissant dans la pratique de sa religion et en tentant de mener une existence paisible. Mais un cadavre est découvert dans les environs, et le principal suspect du meurtre (Stephen Eric McIntyre) n’est autre que l’amant de son ex-compagne. Le flic se retrouve confronté à ses vieux démons – jalousie, violence, envie de vengeance…
Le film de Ed Gass-Donnelly est une curiosité. Il est mené à un rythme très lent, bercé par des chants traditionnels de la communauté mennonite, et prend tout son temps pour faire avancer son intrigue, finalement assez anecdotique.
En effet, le film ne repose pas vraiment sur la résolution du crime mais sur la personnalité trouble du personnage principal et ses relations avec les autres. Avec son ex-femme (Jill Hennessy), qui le déteste désormais, avec sa famille qui ne veut plus le voir suite à son comportement passé, avec la population locale, qui raille son inefficacité et sa foi retrouvée, avec sa nouvelle compagne (Martha Plimpton), qui l’apaise autant qu’elle l’étouffe de son affection.
C’est une belle histoire d’expiation et de rédemption dont la force provient surtout du jeu des comédiens, très sobre, et sur l’ambiance mise en place par la musique et par l’image, toute en teintes grises et froides. Mais son rythme excessivement lent, malgré une durée courte de 75 mn, risque fort de décourager plus d’un spectateur…

small town murder songs - 3

Le second film de mon programme, Good neighbours, était aussi canadien, mais m’emmena plutôt du côté du Québec, à Montréal plus exactement…
A l’instar des chats du personnage principal, je ronronnai de plaisir devant ce long-métrage sympathique,…

Good neighbours●●●●●

Le type qui a inventé la journée des voisins n’a jamais dû fréquenter les occupants de ce petit immeuble du quartier Notre-Dame, à Montréal, sinon, il aurait réfléchi à deux fois à la question… Outre la gardienne, commère comme pas deux, il y a la voisine hystérique du premier étage, qui passe son temps à hurler et râler contre tout le monde à coups de “tabernacle”,“Christ” et “Ostie”, il y a en effet parmi eux un tueur en série qui viole et tue des jeunes femmes.
Mais qui est coupable de ces meurtres horribles ? Louise, jeune femme charmante mais qui préfère la compagnie des félins à celle des hommes ? Ou bien Spencer, le beau gosse en fauteuil roulant, dépressif depuis la mort de son épouse ? Ou encore Victor, le nouvel arrivant, grand type nerveux au comportement obsessionnel ?

Good neighbours - 2

La réponse interviendra bien avant le terme des cent minutes que dure le troisième long-métrage de Jacob Tierney. Car l’intrigue du film repose moins sur un classique whodunit (2) que sur la personnalité des différents occupants de l’immeuble et les relations ambigües qui les unissent. En fait, tous dissimulent derrière une apparente bienveillance une belle part d’ombre et des intérêts très personnels. Tous des salauds, en quelque sorte, mais des salauds attachants… et drôles!
Par certains côtés, le film fait penser aux Petits meurtres entre amis de Danny Boyle, avec ses trahisons, ses coups tordus et ses alliances contre nature,

Good neighbours - 3

Pour rincer le goût du sirop d’érable et me préparer à d’autres expériences cinématographiques, je décidai d’aller déjeuner dans un petit restaurant local au nom plein de promesses : “L’incontournable” (3). Ne pensant pas avoir le temps de me restaurer le soir, je pris un repas consistant, avec des plats typiquement bourguignon comme ce jambon persillé fort goûteux et ce suprême de volaille à l’époisses, ainsi qu’une poêlée de mirabelles à la vanille en dessert, le tout accompagné, comme il se doit, par un verre de Pommard joliment charpenté.

L'incontournable

De retour au cinéma, je repris mes investigations cinématographico-policières avec un film américain, mais réalisé par un frenchy, Yvan Gauthier…
Et j’eus le premier choc de ce festival. Et pas dans le sens positif du terme…

L.A. I hate you :

Le scénario est ambitieux, entremêlant trois histoires de violence, de sexe et de frustrations dans une cité des anges vue sous son angle le plus sordide. Il y a déjà celle d’un bon père de famille, fidèle et attentionné, qui, poussé par son oncle, un ex-taulard haut en couleurs, se laisse tenter par l’adultère avec une jolie serveuse de bar latino qui lui donne rendez-vous dans un hôtel crasseux de Downtown (mauvais plan…).
Il y a aussi celle de cet homme rongé par les remords pour avoir causé l’accident qui a laissé son épouse paraplégique. Rongé, également, par l’envie de la tuer et de se libérer de celle qui est devenu un vrai fardeau… Pour échapper à ces pulsions criminelles, il décide de passer la soirée avec un vieux copain. Au programme, prostituées, alcool et cocaïne (mauvais plan…).
Enfin, il y a l’histoire d’un acteur de seconde zone, vieillissant, qui a une ultime chance de décrocher un grand rôle dans un film d’action. Quand le producteur lui demande s’il est prêt à tout pour réussir, il répond par l’affirmative (mauvais plan…).
La construction du récit est intéressante, car assez roublarde, multipliant les fausses pistes et les rebondissements. On découvre peu à peu que les trois histoires sont liées les unes aux autres et la chronologie des événements se dessine peu à peu, avec son lot de surprises. Disons que la structure fait un peu penser au Pulp fiction de Tarantino, dont le réalisateur Yvan Gauthier doit être un admirateur.

L.A. I hate you - 3

Mais la comparaison s’arrête là. Déjà parce que le scénario prend un tour assez ridicule sur la fin, osant un mélange des genres qui ne s’imposait pas vraiment. Et surtout parce que la mise en scène du réalisateur français est absolument déplorable : image vidéo assez laide, mouvements de caméra saccadés, montage approximatif, effets de mise en scène tape-à-l’oeil… Et le casting accentue ce côté série Z fauchée : des acteurs inconnus dans les premiers rôles, une ou deux vieilles gloires (Malcolm McDowell, William Forsythe) en soutien, et la soeur de Michelle Pfeiffer, Dedee, dans un rôle inutile…

Bien sûr, il s’agit typiquement d’un film à petit budget, réalisé dans l’urgence, et tout ceci pourrait inciter à une certaine indulgence.
Alors, on salue l’effort d’Yvan Gauthier et Paul Conway au niveau de leur scénario, malgré quelques maladresses fâcheuses. Et on ne remet pas en cause l’énergie qu’ils ont dû consacrer à leur projet. Mais cela ne saurait nous faire changer d’avis quant à la qualité globale de ce film. L’argument du manque de moyens ne suffit pas à dissimuler les faiblesses de la mise en scène. Yvan Gauthier a beau lorgner du côté de Tarantino, il n’en a pas le talent, loin de là…
Bref, à oublier…

L.A. I hate you - 2

Aïe! Si la menace venait d’un film, celui-ci avait la gueule de l’emploi. Je prélevai un échantillon numérique de l’objet et l’envoyai à analyser à la police scientifique. Anne-Marie, l’experte en microbiologie de la Crime (4) me confirma la présence d’Enterococcus faecium dans le prélèvement. En termes moins cliniques, le film était un grosse bouse infâme… Il allait me falloir surveiller de près ce suspect…

Je me consolai de ce nanar avec le très bon D’un film à l’autre dans lequel Claude Lelouch revient sur sa carrière de réalisateur. Ce grand cinéaste, habitué du festival, vint sur scène présenter son film et parler de sa passion du cinéma. Devant une salle aux deux-tiers vide, hélas… L.A. I hate you avait-il déjà à décimer quelques spectateurs ? Ou bien le beau temps retrouvé avait-il incité les festivaliers à prendre un bain de soleil ? Tant pis pour eux, ils ratèrent l’un des meilleurs films de ce festival…

D'un film à l'autre - 3

D’un film à l’autre : ●●●●●

Ce documentaire dans lequel Claude Lelouch revient sur sa filmographie, ses succès phénoménaux (Un homme et une femme, Itinéraire d’un enfant gâté, …) ses erreurs et ses bides retentissants (Vingt ans plus tard, Les Parisiens,…) avec recul et lucidité, était initialement prévu pour une diffusion restreinte à un cercle de proches,à l’occasion du cinquantenaire de sa société de production Les Films 13, et également destiné aux étudiants de l’école de cinéma qu’il va ouvrir, dans les environs de Beaune.
Mais ceux qui l’ont vu lui ont conseillé de le montrer à un plus large public. Bien leur en a pris car cela nous permet de recevoir une vraie leçon de cinéma.
On peut penser ce qu’on veut des films du bonhomme, les rejeter en bloc, ou n’apprécier qu’une partie de son oeuvre, ses petits films intimistes ou ses mélos grandiloquents, mais on ne peut pas nier qu’il est une des figures marquantes du cinéma hexagonal, un vrai passionné de septième art et un formidable directeur d’acteurs.
Ce passage en revue de sa carrière permet de constater qu’il a tourné avec un nombre impressionnant d’acteurs de renom, français ou étrangers, qu’il a signé quelques scènes-cultes, comme celle de Tout ça pour ça où Fabrice Luchini harcèle ses voisins de tente pour les inciter au libertinage et l’échangisme, ou celle de L’Aventure, c’est l’aventure où Aldo Maccione initie Ventura, Brel, et consorts à sa fameuse démarche séductrice… La classe!
Ce documentaire est indispensable à tout admirateur de Lelouch, à tout passionné de septième art, à tout curieux voulant découvrir l’envers du décor et recevoir la passion communicative du réalisateur pour le cinéma.

D'un film à l'autre - 2

Le public avait boudé Claude Lelouch, mais il revint en masse pour assister à l’ultime séance du jour, la projection de The Insider, en présence de l’acteur principal, Nick Cheung, précédé d’un hommage à Mireille Darc, membre du jury cette année et grande figure du cinéma populaire français des années 1970. Evidemment, la salle de 300 places fut vite remplie, laissant bon nombre de festivaliers sur le carreau. Certains manifestèrent de façon véhémente leur mécontentement. Une émeute allait-elle éclater? Etait-ce là le danger qu’avait annoncé notre indicateur? Je me mis en état d’alerte maximale, la main sur l’arme de service que je cachais dans la doublure de mon sac.
Finalement, le service d’ordre du festival réussit à contrôler les rebelles, qui ne se privèrent pas de pester contre ces “nantis” qu’étaient les gens de la presse et les professionnels de la profession. Je me fis tout petit, conscient des privilèges octroyés par la précieuse accréditation presse : rangs réservés, entrées prioritaires, places de choix aux premières loges, face aux personnalités montant sur scène, etc… Je compris tout à fait la colère du public. J’avais moi-même été plusieurs fois dans cette situation par le passé, refoulé au profit d’invités VIP et sponsors se moquant comme d’une guigne du spectacle auquel ils allaient assister.
Ici, le problème était un peu différent, lié à la capacité limitée de la salle plutôt qu’à un nombre déraisonnable d’invités. La tenue du festival en un seul et même lieu et dans de petites salles avait quelque chose de convivial, mais on touchait là aux limites d’expansion de la manifestation, qui devrait se doter d’une salle plus grande pour se développer.

crédit : Xavier Gauthier

Il y eut donc un hommage à Mireille Darc, l’actrice-fétiche de George Lautner, avec qui elle tourna quatorze films sur une période de vingt ans – “un record”, nota le président du jury, Régis Wargnier. L’actrice, également, de bon nombre de films populaires ayant marqué leur époque, comme le diptyque du Grand blond avec une chaussure noire.
Mais, en venant recevoir sur scène son trophée honorifique, Mireille Darc préféra insister sur sa nouvelle carrière de réalisatrice, qui lui tenait bien plus à coeur que ses débuts en tant que comédienne. Ou du moins, qui lui semblait bien plus sérieuse que les tournages avec la joyeuse bande d’Audiard et Lautner, comprenant les Bernard Blier, Lino Ventura, Francis Blanche, Maurice Biraud,…

La soirée se poursuivit comme prévu avec la projection de The Insider de Dante Lam. Un film forcément plein de courses-poursuites, de fusillades, de combats épiques et d’une bonne dose de mélo, dans la lignée des oeuvres précédentes du cinéaste.

The insider - 2
The insider : ●●●●

Après avoir été en compétition à Beaune avec The Beast stalker, film d’action survitaminé et mélodramatique à outrance, Dante Lam revient avec un film plus “sage”, ce qui est évidemment très relatif.
Don Lee (Nick Cheung) est un flic hongkongais de la brigade antigangs spécialisé dans les missions d’infiltration. Son rôle est de sélectionner et de convaincre des indicateurs, souvent d’ex-taulards en quête de réinsertion, de servir de taupes dans des organisations criminelles. Averti qu’un duo de dangereux braqueurs prépare un casse spectaculaire, il demande à Ghost (Nicholas Tse) de se faire engager comme chauffeur au service des malfaiteurs. Il entend ainsi les prendre sur le fait et les envoyer en prison pour de nombreuses années.
Mais évidemment, les choses ne vont pas se passer comme prévu…
L’action est, comme toujours chez Dante Lam, rondement menée, et truffée de scènes originales, comme cet affrontement final dans une école désaffectée, au milieu de dizaines de chaises. Le mélodrame est, lui, copieusement servi : le flic est doublement traumatisé, éprouvant de la culpabilité vis-à-vis de ce qui est arrivé à son épouse (on ne dira rien, mais c’est sordide…), mais vis-à-vis de son ancien indic, devenu fou suite à une mission complètement ratée ; l’infiltré n’accepte le job que pour pouvoir payer la dette de sa famille auprès d’un mafieux local et sortir sa soeur de l’enfer de la prostitution (c’est également sordide, non?).
C’est donc assez chargé, mais Dante Lam parvient à bien équilibrer son récit, mené à un train d’enfer. Au final, le film s’avère assez plaisant et marque une progression dans le style du cinéaste. On suivra sa carrière avec attention…

The insider - 3

Après ce film plutôt convaincant, je me préparai à rentrer à l’hôtel faire le point sur mes découvertes de la journée quand un message m’informa que j’étais inviter à un dîner privé au Domaine Latour (5). Accompagné de mes alcooliques – pardon, mes acolytes Marc et Hughes – nous nous rendirent donc à ce mystérieux rendez-vous. Inutile de préciser que j’étais sur mes gardes, peu enclin à me retrouver prisonnier d’une cave humide et sombre. Mais je me détendis instantanément quand je vis sur place le jury au grand complet, le maire de la ville et l’ensemble de mes confrères de la presse dont la Mad bande de Mad Movies (Rurik Sallé, Laurent Duroche, Gilles Esposito…).
Nous profitâmes du cocktail – fines verrines accompagnées de bons crus du domaine Beaune Les Cras blanc ou Puligny Montrachet – pour constater que l’atmosphère de cette troisième édition du festival était des plus conviviales : Clovis Cornillac expliqua à Mireille Darc les différences entre les terroirs bourguignons, Linh Dan Pham plaisanta avec Régis Wargnier, Monsieur le Maire fit un show politique d’envergure, malgré une voix défaillante et le propriétaire du domaine accueillit tout le monde avec un indéniable sens de l’hospitalité. Là encore, je culpabilisai devant toutes ces petites attentions prodiguées aux journalistes.

Louis Latour

Déjà fort rassasiés par ce généreux buffet, nous fûmes surpris quand le taulier nous annonça que le dîner était servi. Bigre – pour ne pas dire damned! – notre estomac allait devoir encore absorber moult breuvages et aliments ! Voulait-on nous exterminer par gavage ? Nous hésitâmes à  participer à ce banquet, mais la perspective de déguster un Gevrey Chambertin de 2003 et un Corton Grand cru eût raison de notre sagesse…
Sur place, nous nous fîmes un nouvel ami en la personne d’Arnaud, un des sympathiques rédacteurs du non moins sympathique site Cinémasie.com (6) et nous discutâmes jusqu’au bout de la nuit, éclusant les verres et nous régalant des mets proposés, dont un splendide plateau de fromages régionaux (Epoisses, Cîteaux, Amour de Nuits,…).

C’est avec cinq kilos de plus sur la balance et un taux d’alcoolémie indécent que je rentrai à l’hôtel, histoire de bénéficier de quelques heures de sommeil réparateur…

(A suivre…)

(1) : L’hommage à David Lynch, ça, c’est fait…
(2) : Pour les non-anglophones “whodunit” signifie “qui est coupable?”
(3) : “L’incontournable” – 29 bis rue carnot – 21200 Beaune

(4) : L’hommage à mon ex-collègue Anne-Marie, ça, c’est fait aussi…
(5) : “Domaine Latour” – 18, rue des tonneliers – 21200 Beaune
(6) : L’hommage à mon nouveau pote, ça, c’est fait aussi…

Beaune 2011 bandeau

1 COMMENT

  1. Le documentaire sur Lelouch m’a l’air vraiment intéressant. Ce sera une occasion de découvrir ce grand réalisateur sous un autre jour!

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