Ariane Felder (Sandrine Kiberlain) est une juge brillante, promise à une belle carrière dans les hautes sphères de la magistrature. Elle a travaillé dur pour en arriver là, enchaînant les instructions, épluchant inlassablement les dossiers, un à un, jour et nuit.
Ceci, évidemment, s’est fait au détriment de sa vie personnelle. Elle vit une existence assez solitaire, avec peu d’amis et encore moins d’amants. Oh, si elle le voulait, elle pourrait céder aux avances de son collègue, De Bernard (Philippe Uchan), qui la drague ouvertement. Mais elle n’a certainement pas envie de s’acoquiner avec ce gros lourdaud. De par son travail, elle vit déjà une vie de recluse, dans un bureau à peine plus grand que les cellules de ceux qu’elle a condamné à la prison, alors elle ne va pas en plus ce traîner ce boulet. Pas question!

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Ariane est donc seule. Elle ne flirte pas, ne sort pas, ne boit pas, ne fait jamais la fête. Sa vie est régie par le boulot.
Mais comment expliquer, alors, qu’elle se retrouve subitement enceinte de six mois? Ce n’est pas possible, le docteur a dû se tromper… Et pourtant non, l’échographie est formelle. Un petit être est bien entré en elle, par effraction, et y squatte depuis six mois en attendant d’être expulsé. Ariane a juste fait un déni de grossesse, avant que son corps ne finisse par lui faire admettre cette amère réalité. La conception estimée remonte à la nuit du réveillon de la Saint-Sylvestre. Cette nuit-là, Ariane a fini par obéir à ses collègues et à lâcher son travail pour faire la fête, dans le hall du tribunal. Elle se rappelle avoir trompé l’ennui en buvant beaucoup de champagne. Et après, c’est le trou noir…
Elle imagine que De Bernard – ou un autre de ses collègues – a abusé d’elle au cours de la soirée, mais le laboratoire de la police scientifique en vient à une tout autre conclusion, encore plus surprenante. L’ADN a parlé : le père de l’enfant que porte Ariane est Bob Nolan (Albert Dupontel), un cambrioleur multi-récidiviste. Pour une juge exemplaire, sur le point d’être promue, voilà qui fait un peu tache…  Surtout que le type en question est de surcroît le principal suspect dans une affaire horrible, l’agression et la mutilation d’un vieil homme.

Elle a besoin de comprendre ce qui a pu se passer cette nuit-là. Il a besoin de l’aide juridique d’une personne plus compétente que son avocat commis d’office, un bègue un brin neuneu (Nicolas Marié). Evidemment, ces deux là sont fait pour se rencontrer (encore)…

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Cette trame assez improbable permet à Albert Dupontel de livrer une de ces comédies dont il a le secret depuis Bernie ; un mélange détonnant d’humour trash, de burlesque cartoonesque, de satire sociale décapante et de folie furieuse.
Mais il y a cette fois un ingrédient de plus dans la recette : une bonne pincée de tendresse, apportée par la présence d’une Sandrine Kiberlain lumineuse, plus à son avantage dans l’univers d’Albert Dupontel qu’elle ne l’était, récemment, dans celui de Serge Bozon (Tip top, pas top du tout).
L’actrice se montre aussi convaincante dans la peau de cette juge très stricte, un peu coincée et obsédée par sa carrière, que dans celle de la femme paumée, déprimée par cette grossesse non-désirée et la perspective d’accoucher du fils d’un psychopathe, ou celle de la quadragénaire célibataire qui accepte finalement ce cadeau du ciel et trouve la félicité.

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Car derrière cette histoire sordide racontée de façon très amusante, le cinéaste aborde la difficulté, pour une femme, de combiner  sa vie privée avec une vie professionnelle chronophage, d’allier le désir d’enfanter, de fonder une famille à des ambitions carriéristes. Il traite aussi, indirectement, du problème de la solitude des individus dans un milieu urbain de plus en plus stressant et froid.
Au début, Ariane fait mine de ne pas vouloir s’encombrer d’un homme ou d’un enfant. Il est vrai que le fait de régler au quotidien des cas de violences domestiques et de divorces houleux ne l’incite pas à fonder une famille. Mais au fond d’elle, elle crève de solitude. Elle a besoin de tendresse, d’amour, de sexe. Le soir de sa première rencontre avec Bob, elle, qui ne boit jamais une goutte d’alcool, avait un peu abusé du champagne. Les fines bulles et les 12 degrés d’éthanol ont levé ses inhibitions et dévoilé une part de sa personnalité beaucoup plus délurée que son image de magistrate austère. Et la naissance imminente de cet enfant inattendu la pousse à se remettre en question, à redéfinir ses priorités.

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Mais le sujet principal, c’est évidemment la Justice et son mode de fonctionnement.
Dupontel se moque d’un système où des innocents manquent d’être jetés en prison, où la presse et l’opinion publique influencent trop souvent les jurés populaires, où des crétins finis comme Du Bernard ou Maître Trolos, l’avocat de Bob, ont chaque année entre les mains la vie de dizaines d’individus…
Il montre aussi les conditions de travail délicates des hommes de loi, confrontés au quotidien à des affaires sordides, des mensonges ubuesques et des drames humains ordinaires, sans toujours avoir les moyens de gérer tout cela. Un peu comme dans ce qui a été pour lui la source d’inspiration de ce film, le très bon documentaire de Raymond Depardon,  10e chambre, instants d’audience.

Sauf qu’ici, bien sûr, la fantaisie et l’humour noir finissent par tout emporter. Albert Dupontel s’est un peu assagi, mais il reste capable de quelques envolées comiques assez féroces. On rit beaucoup à cet enchevêtrement de gags délirants, prompts à choquer le bourgeois.
Parmi les grands moments offerts par le film, citons les discussions surréalistes entre Ariane et le médecin –légiste, le Docteur Toulate (Too late…), incarné par Philippe Duquesne, le visionnage d’une bande de surveillance embarrassante en compagnie de Bouli Lanners, ainsi que les caméos savoureux de Jan Kounen et Gaspar Noé en prisonniers lubriques, de Terry Gilliam en pseudo Hannibal Lecter et de Jean Dujardin en présentateur de JT en langue des signes.
Sans oublier les deux saillies gore que s’autorise le cinéaste, quand Bob Nolan essaie d’échafauder des théories – très fantaisistes – qui le dédouaneraient de l’agression dont il est accusé, et visualise les scènes…

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Enfin, pour terminer cette plaidoirie, il faut aussi signaler le soin apporté à la mise en scène. Les mouvements de caméra sont inspirés et élégants, à l’instar de la scène d’ouverture, long plan-séquence de fort belle facture, et la réalisation est truffée de trouvailles techniques et narratives, assez inhabituelles dans le domaine de la comédie. En plus d’être finement écrit, brillamment joué et d’une drôlerie diablement efficace, 9 mois ferme s’avère aussi être une oeuvre réalisée avec beaucoup de soin et d’intelligence. Le seul reproche qu’on pourrait lui adresser serait d’être un peu trop court. On aurait aimé rester encore un peu avec ces personnages, que le délire soit poussé encore plus loin…

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Hum… Accusé Dupontel, levez-vous et écoutez notre verdict.
Attendu que vous allez faire mourir de rire des milliers de spectateurs avec votre 9 mois ferme, que l’acte est totalement prémédité, qu’il s’agit de votre cinquième récidive et que vous ne semblez pas capable de vous assagir… Attendu que vous avez dévoyé la très sérieuse Sandrine Kiberlain comme vous aviez perverti la délicieuse Catherine Frot ou, avant elles, Claude Perron et Hélène Vincent… Attendu que vous êtes acoquiné avec ce que le cinéma international compte de plus barré…  La cour d’Angle[s] de vue vous déclare coupable et vous condamne à continuer d’exercer votre profession de réalisateur. En guise de travaux d’intérêt général, vous devrez réaliser une nouvelle pépite filmique, aussi drôle et piquante que celle-ci. Allez hop, au boulot! Quand à vous, dans l’assistance, vous pouvez évacuer les lieux et vous rendre dans la salle de cinéma la plus proche pour découvrir cette sympathique comédie.
Hop, affaire classée!
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Réalisateur: Albert Dupontel
Avec : Sandrine Kiberlain, Albert Dupontel, Nicolas Marié, Philippe Uchan, Philippe Duquesne
Origine : France
Genre : beau bébé
Durée : 1h22
Date de sortie France : 16/10/2013
Note pour ce film : :●●●●●
Contrepoint critique :  Télérama / Critique “Contre”

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