GoliathPatrick (Gilles Lellouche), avocat spécialiste en droit environnemental, s’occupe du cas d’une agricultrice décédée. Il essaie de faire reconnaître par la justice le lien entre le cancer qui a emporté la jeune femme et la tétrazine, un puissant désherbant, auquel elle a été exposée à maintes reprises. Face à lui, la mutuelle réfute cette allégation. Même si l’OMS a classé la molécule comme potentiel cancérogène, des rapports d’experts “indépendants” ont conclu à son innocuité. La cour donne raison à la mutuelle, au grand désespoir des proches de la défunte, et Patrick décide de continuer son action judiciaire en attaquant directement le fabricant de la molécule, Phytosanis, un grand groupe agrochimique.
En parallèle, France (Emmanuelle Bercot), dont le conjoint est lui aussi malade, milite activement pour l’interdiction des pesticides, et cible elle aussi Phytosanis. Elle cherche notamment à alerter sur les dangers de la tétrazine, alors que le Parlement Européen doit trancher sur le renouvellement de l’autorisation de commercialisation de cette molécule.
Leur combat s’apparente un peu à l’affrontement biblique de David contre Goliath, en encore plus déséquilibré. Car ici Goliath est un monstre encore plus imposant, une créature multicéphale, et disposant surtout de plusieurs bras armés. Patrick et France ne s’attaquent pas seulement à Phytosanis. Il doivent aussi et surtout faire face à de puissants lobbyistes oeuvrant pour la prospérité de la chimie et de la pétrochimie au détriment de la planète. Mathias (Pierre Niney) fait partie de ceux-ci. Tous les jours, il invente des stratégies pour défendre les intérêts de ses clients, n’hésitant pas à diffuser des contre-vérités et à manipuler les chiffres en sa faveur. C’est un expert en communication qui sait très bien comment influencer des groupes. Et quand les choses ne vont pas dans le sens souhaité, il n’hésite pas à utiliser ses réseaux humains et la puissance financière de son lobby. Il corrompt des politiciens et des experts scientifiques, achète le silence des victimes ou engage des truands pour intimider ceux qui pourraient lui nuire.  Tout cela avec un calme absolument glaçant.

D’un point de vue cinématographique, Goliath est une oeuvre assez réussie, formellement très classique, mise en scène sans esbroufe et qui repose surtout sur les performances de ses acteurs principaux. Pierre Niney est impeccable dans le rôle de ce lobbyiste sans scrupules, tout comme l’est Laurent Stocker, qui incarne son associé. Emmanuelle Bercot se glisse avec force dans la peau d’une militante au bout du rouleau, prête à tout pour obtenir justice. Et Gilles Lellouche trouve ici l’un de ses plus beaux rôles, quelques mois après avoir déjà brillé dans BAC Nord. On retrouve aussi avec bonheur, dans des seconds rôles, d’excellents acteurs comme Jacques Perrin ou Marie Gillain. Tous se mettent au service d’une intrigue qui manque parfois un peu de rythme, mais nous tient en haleine grâce à son sujet et la conviction de son auteur.

Pour sa troisième réalisation, Frédéric Tellier signe en effet une oeuvre très engagée, aux intentions des plus nobles. Son but est d’alerter l’opinion sur toutes ces substances chimiques dont les effets dévastateurs pour l’environnement et la santé humaine sont gardés sous silence par leurs fabricants, qui continuent de les commercialiser en connaissance de cause, parfois avec l’appui du pouvoir, pour continuer à faire du profit. Le cinéaste vise aussi et surtout les lobbyistes qui font tout pour défendre ces entreprises toxiques et les aider à continuer leur commerce criminel.

C’est ce qui constitue la force principale du film, car si les scandales liés à l’industrie chimique et agrochimiques ont fait l’objet de plusieurs oeuvres remarquées (Dark waters, Erin Brockovich, The promised land, Rouge…), le thème du lobbyisme a été assez peu été abordé à l’écran (on pense surtout à Miss Sloane de John Madden, mais qui ciblait les lobbys pro-armes à feu aux Etats-Unis). En faisant de Mathias l’un des personnages centraux du film, Frédéric Tellier peut montrer l’envers du décor, les mécanismes à l’oeuvre pour favoriser les intérêts d’une poignée d’industriels au mépris de l’intérêt général. Ce jeune homme toujours très calme et, en apparence, bien sous tous rapports, manipule les chiffres, sélectionne les informations les plus utiles pour semer le doute et retourner l’opinion, fait diversion pour mieux cacher les motivations réelles de ceux qui l’emploient. Ce n’est pas un monstre, C’est juste un type qui fait son travail, avec une froide détermination et une absence totale de compassion. Un sale boulot, évidemment, puisqu’il pousse de nombreux individus vers une mort certaine, un empoisonnement à petit feu, mais ce n’est pas son problème. Il ne défend que ses intérêts et ceux de sa propre famille, en restant fidèle à sa théorie de l’évolution capitaliste qui veut que seuls les plus forts survivent.
Il ne fait aucun doute que le cinéaste s’est bien documenté pour créer le personnage et le travailler avec Pierre Niney. De tels salauds en col blanc existent réellement et gravitent autour des cercles du pouvoir, à Bruxelles, Londres, Washington où d’autres endroits où il est possible de corrompre et de faire pression sur les gouvernements, les parlements. On ne peut que trouver louable cette exposition de leurs méthodes pour mieux alerter sur leurs dérives, et pour sensibiliser l’opinion et la pousser à la fronde contre les Goliath de ce monde.

Mais c’est également cela qui constitue la faiblesse du film. En pointant du doigt la collusion entre certains politiciens et les industriels, Goliath alimente la petite rengaine populiste qui veut que tous les politiciens et les patrons soient des pourris, et vient renforcer les nombreuses thèses complotistes qui pullulent en ce moment dans l’opinion. Il prend ainsi le risque de détourner certains spectateurs des urnes, au moment où ils vont justement avoir la possibilité de s’exprimer démocratiquement, de faire des choix parmi des programmes radicalement différents. Cela risque de renforcer justement le système en place, celui que le cinéaste entendait dénoncer.
Pire, comme en ne s’appuyant pas, contrairement aux films précités, sur un fait divers réel concret et facilement vérifiable, le long-métrage de Frédéric Tellier pourrait même apparaître, aux yeux de certains, comme un film de propagande politique, inutilement alarmiste et manipulateur, sans aucun fondement crédible. Un comble, car la volonté du cinéaste était évidemment tout autre…
Certes, la société Phytosanis n’existe pas. La tétrazine non plus. Ou du moins, si, mais elle ne semble pas, sauf erreur de notre part, être utilisée comme désherbant. Le cinéaste le précise d’ailleurs dès le générique, il s’agit d’une fiction. Mais une fiction qui s’inspire beaucoup de faits divers réels et qui fait intervenir des personnages dont la ressemblance avec des personnes vivantes ou mortes n’est pas du tout fortuite… Si le récit ne dénonce pas une affaire réelle, il évoque malgré tout des ingrédients ayant fait polémique au cours des cinquante dernières années : gaucho, roundup/glyphosate, atrazine, DDT, agent orange… Certains sont aujourd’hui interdits après avoir été massivement utilisés. D’autres sont encore commercialisés, comme le glyphosate, malgré les précédentes promesses électorales de l’actuel occupant de l’Elysée et de sa ministre de l’écologie. Phytosanis évoque des entreprises comme Monsanto, Bayer, Dupont ou Syngenta, des groupes qui ont tous été éclaboussés, à des degrés divers, dans des scandales sanitaires ou des catastrophes environnementales, mais qui continent de croître et de faire des bénéfices.
Quant aux victimes fictives du film, elles évoquent de nombreuses personnes, bien réelles celles-là, dont la presse a relaté les souffrances : maladies respiratoires, cancers des os ou du sang, maladie de Parkinson, troubles neurovégétatifs, sans oublier les cas de malformations chez les nouveaux-nés dans des zones surexposées aux pesticides… Ces maladies ne sont pas toutes associées à la même molécule, mais elles sont toutes la conséquence d’une exposition répétée à des produits agrochimiques… Difficile de croire à une simple coïncidence…

On espère que le message du cinéaste pourra être entendu et que le film incitera le public à se documenter sur ce sujet hautement toxique. Au moins, il saura pousser le spectateur à s’interroger sur les informations dont il est abreuvé quotidiennement, pas toujours vérifiées et parfois totalement fausses. C’est déjà cela d’acquis, en ces temps troublés où propagande et désinformation sont des armes largement utilisées.


Goliath
Goliath

Réalisateur : Frédéric Tellier
Avec : Gilles Lellouche, Pierre Niney, Emmanuelle Bercot, Marie Gillain, Laurent Stocker, Yannick Renier, Jacques Perrin, Hélène Seuzaret, Bruno Raffaelli
Genre : Drame corrosif
Origine : France, Belgique
Durée : 2h02
Date de sortie France : 09/03/2022

Contrepoints critiques :

”Goliath, navet BIO, mais navet quand même”
(Théo Ribeton – Les Inrockuptibles)

”Discret mais implacable dans ses intentions, [Frédéric Tellier] convainc jusque dans ses extrapolations quand il filme les entretiens confidentiels entre toutes les parties, créant le lien entre la réalité dont il s’inspire et la fiction. Il évite le film procès et se situe dans la lignée de L’Exercice du pouvoir, Les Promesses ou Un autre monde, dans le renouveau du film politique français. Formidable.”
(Jacky Bornet – Francetvinfo)

Crédits photos : Copyright Christine Tamalet / SINGLE MAN

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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