zai zai zai zaiAh, on est vraiment dans un monde qui ne tourne pas rond… Quelle décadence! Qu’est-ce que c’est que cette société où des auto-stoppeurs ne connaissent pas les paroles des chansons? Comment vont-ils faire pour pousser la ritournelle avec leurs gentils conducteurs? Que dire d’une humanité dont certains individus normalement cérébrés décident de devenir acteur (ou pire, critique de cinéma) plutôt qu’ingénieur en exothermie des liaisons macromoléculaires par polymérisation thermodurcissable et cristallisation anisotherme en milieu cryobiologique, hein? Comment supporter de vivre au milieu de pervers, de violeurs, de psychopathes, de mangeurs de petits pangolins ou de nostalgiques de la grande URSS, sans parler de cette espèce de criminels rares, pourris jusqu’à la moëlle : ceux qui oublient leur carte de fidélité avant de passer en caisse au supermarché!
Tout ceci vous semble absurde? Ca l’est! Bienvenue dans l’univers déjanté de Fabrice Caro, écrivain et auteur de bandes dessinées. Zaï Zaï Zaï Zaï est l’adaptation cinématographique de l’un de ses albums les plus connus et les plus emblématiques de son humour absurde, où une situation apparemment anodine occasionne une réaction en chaîne de comportements irrationnels, de situations kafkaïennes et de questionnements métaphysiques aberrants.

Ici, donc, on suit la cavale de Fabrice (Jean-Paul Rouve), un acteur de comédies assez connu, qui a commis un double crime atroce : oublier sa carte de fidélité du supermarché et menacé d’un poireau le vigile qui tentait de l’interpeller. Traqué par la police, menacé d’être dénoncé à tout moment par la population, il cherche à fuir vers la Lozère. Pendant ce temps, tout le monde parle de ce fait divers sordide. En édition spéciale permanente, les chaînes d’infos brodent autour de la moindre piste. Les émissions de débat voient des spécialistes se déchirer sur le sort à réserver aux criminels de son espèce. Les gens ordinaires parlent aussi de l’affaire, au bistrot ou à la maison, dans les écoles ou sur les lieux de travail. Les complotistes n’hésitent pas à l’utiliser pour étayer leur théories sur une conspiration judéo-maçonniste. Quant aux artistes, émus de voir leur confrère ainsi livré à la vindicte populaire, ils réagissent en créant un comité de soutien et en formant un “band aid”…

Comme Laurent Tirard l’an passé pour Le Discours, adaptation d’un roman de Fabrice Caro, François Desagnat a choisi de rester très fidèle au récit original, reprenant peu ou prou le même agencement de gags absurdes et de conversation surréalistes. Le film ne réservera donc aucune surprise, hélas, à ceux ayant lu la bande dessinée. On aurait aimé un peu plus d’audace dans le scénario, plus de “trahisons” du matériau de base. Le cinéaste en était capable, puisqu’il a eu la bonne idée de modifier la profession du personnage principal (dessinateur de BD dans le récit d’origine, acteur de comédie dans le film) afin de conserver l’idée de mise en abîme, ou qu’il a ajouté une petite intrigue annexe autour de la femme de Fabrice (Julie Depardieu), elle aussi prise dans la tourmente de la carte de fidélité-gate. Le film aurait gagné à être enrichi, un peu plus long, et à aller plus loin dans le jeu de massacre. Cependant, cette adaptation sage a des vertus. En procédant ainsi, Desagnat ne risque pas de perdre l’esprit du texte original, histoire en apparence sans queue ni tête, qui sert surtout de prétexte à brocarder la société dans laquelle nous vivons. Le récit dépeint un monde moderne paradoxal, peuplé d’individus profondément égocentriques et solitaires, mais ayant un besoin viscéral de faire partie d’un microcosme et d’en adopter les codes. Peut-être parce qu’au sein du groupe leur personnalité insignifiante se dilue dans un ensemble encore plus médiocre, rassurant, ou que le fait d’appartenir à une meute leur permet de se sentir plus forts, prêts à mordre tous ceux qui ne respecteraient pas les normes sociales imposées. Le scénario dénonce aussi la télévision d’aujourd’hui, omniprésente, avec ces chaînes d’info-spectacle qui essaient de tenir le spectateur en haleine même quand il ne se passe rien, et ces émissions de débats stériles qui voient s’affronter des “experts” n’ayant rien d’intelligent à dire ou des chroniqueurs ayant un avis sur tout, mais ne maîtrisant absolument pas leur sujet. Absurde, Zaï Zaï Zaï Zaï ? Oui, mais finalement, pas beaucoup plus que le monde réel…

Au crédit de François Desagnat, on peut aussi ajouter un bel effort sur la cohérence de son univers visuel. Le motif circulaire est omniprésent, dès le plan d’ouverture, montrant une machine à laver tournant à plein régime, celle qui entraîne un pantalon à priori ordinaire, s’il ne contenait pas, en sa poche, une funeste “carte du magasin”, puis dans les ronds-points (n’est-ce pas aussi une invention humaine des plus absurdes) filmés en caméra aérienne, en plongée, ou les arabesques formées par les hélices des éoliennes, comme les rouages d’une machine infernale prête à broyer le pauvre Fabrice.
Et si le cinéaste n’a pas repris les codes couleurs de la bande dessinée, tout en encre noire et ocre, il a fait en sorte de glisser des touches de couleur orangée un peu partout, notamment sur la carrosserie des voitures qui traversent le film, toutes du même modèle, pour souligner cette notion de norme, d’effet de groupe qui est au coeur du propos. Bref, c’est une oeuvre soignée dans son visuel comme dans sa mise en scène. Ceci constitue plutôt une bonne surprise au regard de la filmographie de son auteur, qui a signé au mieux des films sympathiques, mais assez creux (Adopte un veuf, Le Gendre de ma vie) ou, au pire, de gros nanars (La Beuze, Les 11 commandements). C’est aussi une belle réussite en comparaison avec les comédies habituelles que le cinéma français produit à la pelle, elles aussi formatées et interchangeables.

Le hic, c’est que cet humour absurde et décalé, assez hors normes, ne plaira peut-être pas au plus grand monde, qui a justement été nourri avec ces comédies-là. Si tel est le cas, cette tentative de rehausser le niveau de la comédie made in France reste finalement lettre morte… En revanche, un succès enclencherait peut-être l’adaptation d’autres oeuvres de Fabrice Caro, comme l’hilarant roman “Broadway” ou sa dernière bande dessinée, toujours aussi drôle et absurde, “Moon river”. En attendant, on va aller siffler là-haut sur la colline, avec dans les mains un petit bouquet d’églantine… Zaï zaï zaï zaï…


Zaï Zaï Zaï ZaÏ
Zaï Zaï Zaï ZaÏ

Réalisateur : François Desagnat
Avec : Jean-Paul Rouve, Julie Depardieu, Ramzy Bedia, Julie Gayet, Yolande Moreau, Jeanne Arènes, Marc Riso
Origine : France, Lozère, Belgique
Genre : Comédie absurde et kafkaïenne
Durée : 1h23
Date de sortie France : 23/02/2022

Contrepoints critiques :

“Comme tétanisé, le cinéaste ne parvient qu’à singer les gags du dessinateur, ne retenant de l’œuvre (plus minutieuse qu’il n’y paraît) que ses atours grossièrement loufoques.”
(Bastien Gens – Critikat)

”Le ton du film peut dérouter mais, pour peu qu’on accepte de se laisser emporter dans cet univers foldingue, on ne peut que prendre un énorme plaisir à la cavale de ce faux coupable traqué”
(Caroline Vié – 20 minutes)

Crédits photos : Copyright Cécile Mella – 24 25 Films – Apollo Films – Orange Studio – France 3 Cinéma

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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