2024_CANNES_SIGNATURES_WEB_400X400_4Pour ces quotidiennes, nous essayons de dégager les grands thèmes correspondant aux films du jour. Parfois c’est assez évident, parfois non.

En cette (déjà) huitième journée de festival, les catégories étaient faciles à définir.
Déjà, une spéciale polar asiatique, avec deux oeuvres radicalement différentes, l’une survitaminée et pleine d’action, l’autre très lente et focalisée sur d’autres choses que l’intrigue. Disons le clairement, l’une nous a plus intéressée que l’autre, et ce n’est certainement pas Vétéran 2 le film de Ryoo Seung-Wan, projeté en séance de minuit. Un groupe de flics expérimentés y traque un tueur en série peu banal, qui se voit comme un justicier populaire et débarrasse de la surface de la terre tous les criminels n’ayant pas suffisamment payé pour leurs crimes. Une sorte de Dexter sud-coréen, si vous voulez. Au bout de cinq minutes, le film nous saoule déjà. Trop bruyant, trop bavard. Les personnages ne peuvent s’empêcher de hurler ou de commenter leurs bagarres. La caméra se croit obligée de bouger dans tous les sens pour créer le rythme et le montage agité du bocal finit de nous achever. Certes, le ton se veut plutôt “fun” et le cinéaste n’ambitionne probablement pas de révolutionner le 7ème Art avec cette série B musclée. « Je suis fatigué« , souffle le personnage principal, à la fin du film. Nous aussi, ça tombe bien… Et puisque L’Arme fatale semble être l’une des influences du cinéaste, ajoutons en écho, « je suis trop vieux pour ces conneries ». Merci, il y a mieux à voir dans d’autres sections, comme Un Certain Regard…

On a clairement préféré Santosh, film policier indien de Sandhya Suri, qui est aussi lent que Vétéran 2 est remuant, aussi diurne que l’autre est nocturne, aussi passionnant que l’autre est inintéressant.
Le point de départ est déjà très original, faisant découvrir quelques spécificités de la société indienne. Le personnage principal, Santosh (Shahana Goswami) se retrouve en situation délicate quand son mari, agent de la paix, meurt en service. L’usage voudrait qu’elle parte s’installer chez sa belle-famille, mais les relations sont trop tendues pour cela. Santosh ne veut pas d’une vie au service de sa belle-mère, ni subir ses jérémiades incessantes. Par ailleurs, quand elle vient faite les démarches pour toucher sa pension de veuvage, on lui explique qu’elle ne bénéficiera que d’une rente très faible, au vu du peu de temps de service du défunt. Pire, elle doit rendre l’appartement de fonction qu’elle et son mari occupaient. Le chef de la police lui explique qu’il existe un dispositif légal proposé par l’état, permettant à l’épouse d’un fonctionnaire de récupérer son poste, après avoir reçu la formation adéquate. De femme au foyer, Santosh devient donc à son tour policière et doit apprendre sur le terrain la réalité du métier. Elle comprend vite que corruption et manipulation des faits sont monnaie courante et que toutes les affaires ne sont pas traitées avec le même sérieux. Quand un couple de Dalits vient signaler la disparition inquiétante de sa fille, Santosh enregistre la plainte, mais ses supérieurs enfouissent rapidement le dossier, le sort des “Intouchables” leur important peu. Quelques jours plus tard, la découverte du cadavre de la jeune fille provoque la colère des castes inférieures, qui protestent contre le manque d’équité et l’inaction de la police. Pour apaiser la situation, Santosh est chargée de l’enquête, épaulée par une policière expérimentée, Sharma (Sunita Rajwar). Un suspect est identifié et traqué, mais Santosh s’interroge sur sa culpabilité, trop évidente. Elle découvre que, dans un pays où le pouvoir obéit à une logique de caste, il est évidemment impossible de rendre une justice équitable ou d’espérer pouvoir durer très longtemps dans un système corrompu, où les hommes de terrain servent de fusible en cas de problème.

L’autre axe thématique du jour facilement identifiable, c’est l’Italie.
Paolo Sorrentino revient en compétition officielle avec Parthenope, un beau film sur sa ville natale, Naples, en même temps que le portrait émouvant d’une jeune fille en fleur (et en pleurs). Et l’acteur italien Marcello Mastroianni est à l’honneur du nouveau film de Christophe Honoré, Marcello mio, également en compétition. Ma che film meravigliosi!

Parthenope, c’est le prénom donné à une petite bambina lors de sa naissance dans l’une des villas bourgeoises de Naples, au début des années 1950. C’est aussi l’un des monuments historique de la ville, une statue représentant l’une des sirènes de la mythologie grecque. C’est bien cela que devient l’héroïne du film, campée par la sublime Celeste Dalla Porta : une sirène, une créature envoûtante pouvant pousser les hommes à leur perte. Quand elle se baigne, illuminée par les reflets du soleil sur la mer Méditerranée, Parthenope attire tous les regards et fait tourner la tête des hommes, comme ce millionnaire qui la harcèle pour qu’elle accepte un tour en hélicoptère, cet ami d’enfance qui la désire depuis longtemps ou même son frère. Mais, si elle laisse les hommes flirter avec elle, la jeune femme ne cherche absolument pas à les séduire. Elle semble plutôt en quête de relations platoniques, intellectuelles et spirituelles, en fréquentant plus volontiers de vieux écrivains comme John Cheever (Gary Oldman). La jeune femme veut cependant explorer toutes les options qui s’offrent à elle pense : actrice? Mannequin? Femme du monde? Femme au foyer? Et pourquoi pas anthropologue ? En tout cas, la jeune femme entend briller autant par son intelligence que par ses charmes. Mais un été, tout bascule. Parthenope perd son innocence et sa candeur. Elle se rapproche alors de son professeur, Devoto Marotta (Silvio Orlando), avec qui elle partage une douleur inextinguible et entrevoit alors une vie plus en retrait mais apaisée.
Le film de Paolo Sorrentino ne s’apprivoise qu’au prix d’une grande patience, tant son rythme est lancinant. Mais il fallait sans doute cela pour raconter cette histoire-là, ce destin-là. Parthenope, c’est l’histoire d’une vie d’observation lente et patiente des êtres et de leurs coutumes, et celle d’une jeunesse éternellement figée, suspendue dans le temps. Le personnage de Parthenope est semblable à la ville de Naples, une beauté intemporelle, radieuse, solaire, et en même temps une entité profondément mélancolique, portant toute la douleur du monde, toutes ses larmes – sel et eau.
C’est divinement beau, et porté par quelques plans magnifiques dont le cinéaste italien a le secret, plus une bande son formidable. On peut regretter, en revanche, certains effets de ralentis déraisonnables et des plans inutilement esthétisants, semblant plus adaptés à des publicités qu’à un film de cinéma. Cela a souvent été reproché à Sorrentino, sans que cela nous gêne particulièrement. Ici, c’est un peu plus flagrant et peut-être la présence de la branche production de Yves Saint-Laurent au générique y est-elle pour quelque chose. Heureusement, cela n’empêche pas de se laisser porter par ce joli long-métrage, qui a fait déferler des vagues d’émotion sur les spectateurs du Palais des Festivals.

Les fantômes du cinéma italien planent aussi sur Marcello mio, qui rend un hommage singulier au génial acteur italien. Attention, il ne s’agit pas d’un biopic. C’est beaucoup mieux que cela, un ambitieux dispositif scénaristique. Christophe Honoré a confié à la fille de Marcello, Chiara, le soin de revisiter la vie et la filmographie du comédien, en l’invitant à incarner elle-même son papa.
Dans la première scène, assez irrésistible, Chiara Mastroianni est dirigée par une réalisatrice un peu frappée pour tourner ce qui semble le remake de cette fameuse scène de La Dolce Vita où Anita Ekberg appelait “Marcello! Marcello!” en se baignant dans la fontaine de Trévi. Affublée d’une perruque blonde, d’une robe blanche et d’immondes bottes en caoutchouc, elle doit se promener dans l’eau froide et subir les engueulades de la cinéaste tyrannique, avant de fuir le plateau. Puis, en se démaquillant dans le miroir, elle voit la tête de son père apparaître. Ce n’était qu’un rêve, mais suffisamment précis pour secouer la comédienne. Quand, lors d’une audition pour un film de Nicole Garcia, elle se voit reprocher son côté “Deneuve” et pas assez “Mastroianni”, elle finit par craquer et se dit que, puisque tout le monde veut voir Marcello, elle va devenir lui, le temps de quelques jours et de régler ce rapport compliqué au père (et à la mère).
Autour d’elle, ses proches s’inquiètent, forcément et se demandent comment la ramener à la raison. Seul Fabrice Luchini, son partenaire lors de l’audition ratée, l’accompagne dans son délire, trop heureux de pouvoir fréquenter un acteur de cette trempe après avoir déjà connu Louis Jouvet et Michel Bouquet.
Il y a ce récit, entre chronique familiale et road-movie sur le territoire des souvenirs, entre France et Italie. Il y a aussi une sorte de puzzle cinématographique à reconstituer, et qui se joue sur trois niveaux. Déjà, l’hommage à l’acteur, qui passe par plein de petites références à ses oeuvres. On reconnaît ici le costume qu’il portait dans 8 1/2 de Fellini, là la moustache du Fred de Ginger et Fred. Une péripétie du scénario évoque Les Nuits blanches de Visconti. Par ici, une petite référence au locataire du 6ème étage d’Une journée particulière et une petite pique pour le pouvoir italien en place. Par là, une Intervista absurde. Des danseuses à l’allure toute fellinienne. Certaines des références sont subtiles, d’autres font en revanche partie de l’imaginaire collectif et sont plus reconnaissables…
Ensuite, Christophe Honoré semble citer ses propres films. La discussion, lors du casting, évoque une rivalité entre Léa Seydoux (qui fut la Belle Personne en 2008) et Chiara Mastroianni (à qui il a donné le rôle principal de Non ma fille tu n‘iras pas danser un an plus tard). La rencontre avec ce soldat anglais évoque la virée londonienne du personnage joué par Chiara dans Les Biens aimés. La scène des retrouvailles entre Chiara/Marcello et Catherine Deneuve fait aussi penser à des scènes du même film. Le dispositif global évoque aussi Chambre 212, qui a sans doute lui-même été inspiré par 8 1/2

Et puis, surtout, le film est une ode, non pas à Marcello, mais à Chiara Mastroianni. Chiara la timide, la discrète, longtemps victime du “syndrome de l’imposteur”, gênée par son statut de “fille de” et des attentes des réalisateurs par rapport à cela, étonnée quand elle avait remporté un prix d’interprétation à Un Certain Regard, justement pour Chambre 212. Et pourtant, quelle actrice, capable de faire passer des émotions à l’aide d’un simple regard, d’un tremblement de lèvres, de variations de sa voix ! Une interprète remarquable, réussissant à faire exister des personnages secondaires en très peu de scènes. Christophe Honoré l’avait embarquée dans un petit rôle dans Les Chansons d’amour. Elle y était magnifique. Idem dans Les Bien-aimés, où elle suscitait une profonde émotion en « fille légère au coeur lourd ». Il est peut-être celui qui a su la mettre au premier plan et lui donner ses plus beaux rôles. Même si, techniquement parlant, c’est Sophie Fillières qui lui a offert son premier grand rôle, dans  Un Chat un chat. Ceci explique peut-être cette scène où Chiara/Marcello trouve un chaton et le porte jusqu’au pied de la fameuse Fontaine de Trévi, avant de s’y baigner sous les invectives des carabinieri. Marcello ramassait des chiens errants. Pour Chiara, c’est un chat. A partir du moment où Marcello trouve le chaton, les choses peuvent se rééquilibrer. L’actrice peut s’émanciper de ses deux prestigieux parents et retrouver toute sa place à l’écran. En Chiara, en Marcello, en fille de, femme de, en actrice ou en chanteuse, elle est magnifique.
Marcello mio passe comme dans un rêve, comme une belle virée en Italie, au coeur du mois de juin. Si on se souvient, la ballade était bien, tellement bien…

A moins d’être arrêté par les policiers cannois pour avoir crié “Chiara! Chiara!” en smoking les pieds dans l’eau sur la plage du Majestic, à demain pour la suite de ces chroniques cannoises!

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