87053-HORS_SAISON__OUT_OF_SEASON__-_Guillaume_Canet_and_Alba_Rohrwacher__Credits_Michael_Crotto___2_[Compétition officielle]

De quoi ça parle ?

Des retrouvailles de Mathieu (Guillaume Canet) et d’Alice (Alba Rohrwacher), dans une petite station balnéaire, hors-saison, quinze ans après leur séparation.
Ils s’étaient aimés follement, à l’époque, mais ils avaient fini par prendre des chemins différents, afin de pouvoir faire carrière.
Depuis, Mathieu est devenu un célèbre acteur de cinéma et a épousé une journaliste de télévision. Alice est également mariée et mère de famille. Elle vit dans cette petite ville balnéaire une existence paisible, peut-être un peu trop.
Ils décident de se revoir le temps d’un café et découvrent qu’ils n’ont rien perdu de leur complicité d’antan. Ces retrouvailles seront-elles une simple parenthèse dans leurs vies bien rangées ou marqueront-elles l’amorce d’un nouveau départ?

Pourquoi on aime ?

Hors saison démarre de façon assez inhabituelle pour un film de Stéphane Brizé. En effet, quand on évoque le cinéaste français, on pense plutôt à des titres comme En guerre ou La Loi du marché, des drames sociaux qui interrogent sur le monde du travail et ce système économique destructeur pour les gens les plus humbles, ou à d’autres films plus intimistes et tout aussi poignants, comme Mademoiselle Chambon ou Quelques jours de printemps, pas à un cinéma franchement comique. Ici, surprise, c’est bien sur ce registre que commence son nouveau long-métrage. Pourtant, le pitch n’est pas des plus joyeux… Alors qu’il devait faire ses débuts sur scènes dans une grande production théâtrale à Paris, Mathieu a soudainement craqué nerveusement et tout plaqué. Il a décidé de se ressourcer quelques jours dans un spa luxueux en bord de mer, à l’ouest de la France. Evidemment, puisque l’intrigue se déroule hors saison, la petite ville, comme le spa, sont quasiment déserts et offrent un cadre, certes propice à la méditation et à l’introspection, mais également parfaitement morose et glacial, pas vraiment le meilleur moyen pour se remettre d’une dépression ou d’un passage à vide. Mais voir le pauvre acteur, habitué aux bains de foule et aux acclamations, errer dans ces lieux vides et totalement aseptisés, complètement paumé, a quelque chose d’assez cocasse. Surtout que, pour la détente, il n’est pas certain que cet hôtel soit idéal. Déjà, il est rempli de machines silencieuses et sournoises, qui semblent liguées pour le maltraiter : l’appareil de pressothérapie, sous prétexte de drainage lymphatique, lui broie les jambes; les placards à ouverture automatique battent les record de lenteur; la machine à café, dans sa chambre, est un bel objet design, supposément intelligent, mais semble incapable de lui servir un expresso, du moins sans l’ébouillanter ou lui tacher les vêtements… Et les rares humains présents, sont eux, un peu trop envahissants. Ils lui cassent les oreilles avec leur admiration mielleuse et le forcent à prendre des selfies avec eux à des moments où, entre enveloppements d’algues et sauna, il n’est pas le plus à son avantage ou à son aise…
On pense un peu, dans ces moments-là, au Thalasso de Guillaume Nicloux, où Houellebecq et Depardieu observaient avec circonspection les appareils de cure et les régimes sans cholestérol ni jus de raisin fermentés. Mais ici, le pauvre Mathieu n’a aucun camarade de galère avec qui partager cette épreuve. Même ses proches, à distance, ne lui accordent aucune once de compassion. Son agent le maudit pour avoir sabordé sa carrière et sa femme est trop occupée pour penser à lui et ses petites angoisses existentielles. Bref, c’est une vraie traversée en solitaire qui s’amorce pour lui où il doit surfer sur son vague à l’âme et ramer pour rester à flot. La tonalité comique du film se teinte alors d’une certaine gravité et on se demande si le film ne va pas voguer tranquillement vers le drame le plus sombre. On commence en tout cas à ressentir la profonde solitude de cet homme et à comprendre la crise qu’il est en train de traverser, à l’aube de la cinquantaine.

Le message d’Alice, inespéré, vient pourtant redonner au film une bouffée d’oxygène. Elle lui propose qu’ils se revoient, bons amis, quinze ans après leur séparation. Il accepte, évidemment, à la fois pour tromper l’ennui et pour voir ce qu’est devenue celle qu’il avait laissée derrière lui pour pouvoir faire progresser sa carrière.
Il découvre une femme solaire, pleine de vie, en apparence épanouie. Elle est aujourd’hui mariée à un homme qui l’aime et la protège. Ils ont fondé une famille et élèvent leur fille dans un certain confort et le charme de la bourgeoisie de province, pas très loin du spa de luxe où l’acteur est logé. Pourtant, on décèle aussi en elle quelques fêlures. Lors d’un dîner en famille, on ressent aussi en elle un léger malaise, un sentiment de solitude. Peut-être est-ce la présence de Mathieu qui a ravivé de vieilles blessures ou réveillé d’anciennes envies. A moins que cette insatisfaction, ce “vide” ne fasse partie intégrante de sa vie.
A mesure que les deux personnages se retrouvent et retissent, fil après fil, une relation complice et affectueuse, on devine ce qu’a pu être leur histoire et quel a été leur chemin de vie. Et on se met à imaginer, et eux avec nous, ce que pourraient être leur avenir commun s’ils décidaient de reprendre là où tout s’est arrêté.
Certains éléments du film laissent envisager cette possibilité. Par exemple le destin de Lucette (Lucette Beudin), une septuagénaire, veuve, qui décide qu’il est enfin temps pour elle de changer de vie en d’assumant ses désirs et ses envies. Elle fait le choix, à 78 ans, après une vie d’épouse dévouée, de mère de famille modèle, d’épouser celle qui est le véritable grand amour de sa vie (Gilberte Bellus). Alice et Mathieu, qui se trouvent invités à la noce, se disent probablement qu’il est encore temps pour eux de reprendre leur histoire. A moins qu’il ne soit déjà trop tard et qu’il vaille mieux clore définitivement ce chapitre de leurs vies. Car, même s’ils sont encore attirés l’un par l’autre, Alice et Mathieu sont radicalement différents l’un de l’autre. Il a privilégié sa carrière et est devenu un acteur célèbre, mais n’est peut-être pas si épanoui dans son couple, sa femme et lui ayant des agendas bien chargés et peu compatibles. Elle a fait le choix d’une vie de famille bien sage et bien rangée, auprès d’un homme sécurisant, mais au détriment de sa carrière artistique puisqu’elle ne peut vivre sa musique qu’à travers des cours de piano, loin de ses rêves d’orchestre symphonique et de création musicale.
Cette opposition fait écho aux différents styles qui cohabitent dans le film, ce ton comique décalé et cette ambiance profondément mélancolique, cette poésie légère et cette gravité sourde, ces sentiments lumineux et ces reproches amers que les personnages partagent…. En fait le film avance ainsi, en équilibre, pas à pas, tout en délicatesse. on ne sait pas vraiment où il va nous mener, jusqu’à son émouvant dénouement.

Si Hors saison ne possède pas tout à fait la puissance de Mademoiselle Chambon, qui reste, pour nous, le chef d’oeuvre de Stéphane Brizé, il n’en demeure pas moins un très joli film, qui traite avec beaucoup de délicatesse des choses de la vie et de l’amour en s’appuyant sur un duo d’acteur dont l’alchimie fonctionne très bien à l’écran, Alba Rohrwacher et Guillaume Canet, une belle utilisation des décors et la belle partition musicale imaginée par Vincent Delerm pour magnifier cette “brève rencontre” cinématographique. Une belle réussite pour terminer la compétition de cette 80ème Mostra de Venise, avant que le Lido ne retrouve sa quiétude automnale, hors saison.

Contrepoints critiques

“Puramente descrittivo sul piano tecnico e inutilmente prolisso, con tanto di qualche espediente di cattivo gusto in stile mélo – vedi la breve sequenza onirica in cui il pianoforte pare suonarsi da solo, a segnalare l’intrusione del pensiero dell’amata anche in sua assenza –, Hors-saison resta uno dei misteri della sezione competitiva principale di questa edizione.”
(“Purement descriptif sur le plan technique et inutilement verbeux, agrémenté de quelques clichés mélo de mauvais goût – voir la brève séquence de rêve où le piano semble jouer tout seul, signalant l’intrusion des pensées de la bien-aimée même en son absence -, Hors-saison reste l’un des mystères de la compétition officielle de cette édition. »)
(Giovanni Stigliano Messuti – Non solo cinema)

”And so it goes, exactly where you think it will (…) Its predictability would be the death of Out of Season but for two saving graces. First, the fact that Canet and Rohrwacher are so electric together; they hit a note between flirtation and warmth that is both endearing and compelling. As an example of romance as a genre, their scenes together constitute a masterclass. Secondly, Brizé is adventurous in the way he tells his story, even if the story itself is familiar.”
(Erik Pedersen – Deadline)

Crédits photos : Copoyright Michael Crotto – images fournies par La Biennale di Venezia

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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