59623-NIEGU_JU___NIGDY_NIE_B__DZIE__NEVER_GONNA_SNOW_AGAIN__-_Actor_Alec_Utgoff__Credits_LavaFilms_MatchFactory_Productions___1_[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

De l’arrivée d’un mystérieux masseur ukrainien dans une petite ville à la nationalité indéfinissable, probablement en Europe. En tout cas dans une communauté plutôt aisée et bourgeoise. L’homme, prénommé Zenia, prodigue ses massages miraculeux aux habitants, qui semblent profondément seuls, malheureux ou frustrés alors qu’ils semblent tout avoir. Mais Zenia, qui semble doté de pouvoirs extraordinaires, va-t-il continuer longtemps à exercer son talent dans cette communauté ?

Pourquoi on fond devant ce film ?

Déjà parce qu’on constate avec bonheur que les cinéastes ne se reposent pas sur leurs lauriers. Après un prix du jury à Locarno pour 33 scènes de la vie et un prix de la mise en scène à la Berlinale pour Cialo, le duo a remporté le  Grand Prix de la Berlinale 2018 avec Twarz. Mais plutôt que de rester exactement dans la même veine, ils tentent de se renouveler en proposant une oeuvre différente, osant les expérimentations visuelles et sonores, et bousculant la narration traditionnelle.
Ensuite parce que Never gonna snow again  est un film parfaitement envoûtant, avec ses images sublimes et son ambiance mystérieuse, qui joue avec les codes du fantastique et les références qui vont avec. C’est une oeuvre plus sensorielle que narrative, à ressentir plutôt qu’à suivre.

Nul doute que cela dérangera les nombreux spectateurs aimant les narrations classiques et les mises en scène restant dans les sentiers battus. Mais pour ceux qui feront l’effort d’entrer dans le film, le jeu en vaut la chandelle, car il s’agit assurément d’une oeuvre d’une grande richesse thématique, offrant de nombreuses pistes d’interprétation.
La plus évidente est donnée par le titre du film, que l’on peut traduire par “Il ne neigera plus jamais”, et l’intertitre final, qui prédit qu’il ne neigera plus en Europe à partir de 2025. Il est clair que le film est porteur d’un message écologiste. Le protagoniste vient de Prypiat, la ville la plus proche de Tchernobyl, où a eu lieu la catastrophe nucléaire de 1986, et paradoxalement l’une des zones du monde où la nature est la plus vigoureuse, comme si elle avait repris le dessus sur la civilisation après la catastrophe. Mais pour le moment, l’heure est plutôt à la destruction, la disparition des zones boisées. C’est pourtant là que les personnages hypnotisés par Zhenia puisent l’énergie pour dissiper leurs maux et leurs angoisses.

Il est aussi question de la migration des populations, en partie à cause des changements climatiques, mais également à cause des inégalités qui se creusent entre pays riches et pauvres, d’un capitalisme débridé qui ne prend pas en compte les aspects humains de l’économie ou de problèmes géopolitiques divers. Zhenia fuit sans doute son pays pour des raisons politiques, l’Ukraine étant secoué depuis plusieurs années par le conflit entre les citoyens pro-Union Européenne et ceux qui adhèrent au projet de reformer une “Grande Russie” comprenant les pays de l’ex URSS.  Mais il est avant tout le symbole des migrants du monde entier, venant en Europe pour y trouver une vie meilleure, un Eldorado comparé à leur pays.
Ce n’est peut-être pas un hasard si Zhenia évoque le mot grec Xenia, qui vient du grec et signifie « issu de Zeus ». Il est associé au concept d’hospitalité de la Grèce antique, Xenia, qui imposait aux citoyens d’offrir l’asile aux étrangers et les traiter correctement sous peine du courroux divin. Ce concept, présent dans toutes les autres religions, n’est plus aussi appliqué aujourd’hui, car la plupart des gens ont peur de l’Etranger. Ils tolèrent qu’un étranger foule “leur” sol, évolue dans “leur”monde, s’il est en mesure de leur rendre service et tant qu’il reste à sa place. Zhenia est le bienvenu car il sait comment charmer ses clients – ses clientes, surtout – et qu’il est plus poli et plus propre que la moyenne – c’est ce que lui fait comprendre une de ses clientes, très ouverte d’esprit”

On peut aussi voir dans cette communauté fermée – une sorte de résidence privée pour bourgeois oisifs et militaires à la retraite – une allégorie de l’Union Européenne. On y parle plusieurs langues – français, anglais, russe, polonais, vietnamien… – et tout le monde vit dans un relatif confort qui tranche avec les conditions de vie spartiates de Zhenia. Les voisins passent leur temps à s’épier, se jalouser, quand ils ne se regardent pas le nombril, un peu comme les dirigeants des pays Européens, qui ne voient dans le projet de l’Union qu’un moyen d’assouvir leurs ambitions personnelles plutôt que de construire ensemble une communauté  tenant en compte des besoins de chacun de ses membres.
Dans cet univers bourgeois, les personnages semblent tous à bout de souffle, vides émotionnellement et spirituellement. Rien ne les relie, rien ne les unit. Sauf peut-être ce spectacle de Noël où tout le monde se retrouve “en famille”, mais où chacun semble encore jouer sa propre partition, au sens propre comme au figuré. Seule la magie portée par Zhenia peut encore les aider à s’émerveiller un moment, avant de leur faire réaliser à quel point leur monde est menacé, s’ils n’y prennent pas garde.

Toutes ces trames entrelacées laissent finalement la même impression, celle d’une apocalypse imminente.  Zhenia pourrait être alors vu comme un ange essayant de faire réagir les gens avant qu’il ne soit trop tard ou un prophète apocalyptique. Un personnage nous apprend, au début du film, que le masseur est né, jour pour jour, sept ans avant la catastrophe de Tchernoby. Or, le “7” est un chiffre à connotation sacrée, illustrant les “7 péchés capitaux” – ceux qui semblent animer les membres de la communauté –, autant que les “7 sacrements” de la religion Catholique, les sept Archanges de l’Apocalypse et les sept têtes de la Bête Sacrée. Zhenia en tout cas, semble accompagner la fin du Monde – dévasté par les catastrophes écologiques et climatiques – ou la fin d’un monde – l’effondrement annoncé du capitalisme, la fin d’une Union Européenne fondée sur l’économie plutôt que sur le social,…, pour le meilleur ou pour le pire.

On espère que cette apocalypse n’interviendra pas trop tôt, afin que Malgorzata Szumowska et Michal Englert continue à nous enthousiasmer avec leur cinéma inventif, intelligent et d’une beauté à couper le souffle.

Prix potentiels ?
On signerait bien pour un Lion d’Or, mais il n’est pas sûr que le film ait conquis l’ensemble du jury. Un Grand Prix serait déjà une belle récompense pour ce film atypique, et un prix de la mise en scène imposerait définitivement ce binôme réalisatrice/chef opérateur comme l’un des plus intéressant du cinéma mondial actuel

Autre avis sur le film :

”Szumowszka’s #NeverGonnaSnowAgain Why not? I dug this suburban fantasy on desperation, magic and broken humans. Quirky vignettes with a mysterious undertone, early Shyamalan if Shyamalan had a sense of humor.”
(@Rotovisor sur Twitter)

“Malgorzata Szumowska consigue con la algida fotografia del codirector Michal Englert una fascinante metafora, con tono onirico y surrealista, del aislamiento del individuo en la sociedad contemporánea.”
(“Les cinéastes Malgorzata Szumowska & Michal Englert signent une fascinante métaphore de l’isolement de l’individu dans la société contemporaine, avec un ton onirique et surréaliste.”
)
(@ggstiffo sur Twitter)

Crédits photos : © Fot Jaroslaw Sosinski / LavaFilms Match Factory Production

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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