– les petits boloss, de Ruppert & Mulot / Poochytown, de Jim Woodring –

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Oyez, oyez ! Le déconfinement est décrété, les librairies sont rouvertes,
Et pour s’aérer l’esprit tout en réactivant les rouages, quoi de mieux que de la BD légère, certes, mais faisant travailler tout autant les méninges que les zygomatiques !

En premier lieu, penchons-nous sur Les petits boloss, de Ruppert & Mulot. Véritables « trublions » du 9ème art, ces deux zig’ ne font pas de la BD : ils s’amusent avec la BD, (se) jouent [avec les] / (des) codes du média, le cassent en deux et le pressent pour en ressortir l’essence.
Et en le pressant, ils en extraient le King qui se prend pour le Kong dans un dernier trip ante-mortem, un duo de photographes qui feraient mieux d’en rester à l’image tant leurs mots sont immondes, des militants animal-cruelty-free qui manifestent pour que les suisses cessent de nourrir les tigres avec des artistes, un Spider-man qui s’essaye aux arts du cirque, une femme sur sa chaise qui illustre face caméra l’effet des différentes drogues, ou encore une bande de petits boloss de lycéens abandonnés par leur prof’ d’arts plastiques en pleine préparation d’un happening… Oui, oui : j’ai bien utilisé le mot « boloss », ce qui fait de moi un précurseur, car sachez qu’en 2051, ce mot retrouvera enfin de sa superbe !

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Vous ne comprenez pas ? Ne cherchez pas du côté des auteurs pour obtenir des explications : il faudra vous démerder ! A l’Asso’, on ne prend pas le lecteur pour un con, à vous de vous attarder sur les pages, d’’essayer de comprendre… et si vous ne voyez pas, acceptez de prendre ces saynètes au premier degré et de continuer plus avant votre lecture. D’autant que bien vite, vous constaterez que de plus en plus, lesdites saynètes se recoupent, se rejoignent ou se répondent entre elles de manière fort habile, pour former un tout, une histoire plus longue et cohérente, toujours aussi absurde, certes, mais pas aussi sans queue ni tête que l’on aurait voulu nous le faire croire : absurde ne veut pas dire con !
Autre aspect qui demande que l’on s’y attarde : le visuel. Au premier abord, le style de Ruppert & Mulot paraît si simple qu’il pourrait être qualifié de simpliste, alors qu’en s’y penchant, on lui trouvera un aspect extrêmement personnel, reconnaissable d’un coup d’œil. Proche du croquis, esquissé quelques traits seulement, ne représentant même pas les visages de leurs personnages, leur dessin se révèle pourtant tellement expressif et ô combien précis aussi dans la représentation du corps, de ses mouvements, de sa gestuelle : avec Rupper et Mulot, on est quasiment sur du théâtre dessiné ! Du théâtre qu’ils entrecoupent avec des propositions étonnantes telles un jeu de société réellement jouable, des anamorphes cylindriques à observer grâce à un cylindre en aluminium, et encore bien d’autres expériences « oubapiennes* » à découper directement sur votre livre ou à télécharger sur leur site !

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Simultanément aux petits boloss sort Poochytown, de Jim Woodring. Grand auteur américain connu et reconnu, Jim Woodring a su créer son propre univers aussi riche que fou, univers que l’on retrouve dans Poochytown avec Frank, son personnage fétiche, et ses acolytes Pupshaw et Pushpaw. Pourtant, pas besoin d’avoir lu leurs précédentes aventures pour comprendre les tenants et aboutissants de cette histoire-ci… d’ailleurs, existe-t-il vraiment des tenants et des aboutissants à cette histoire-ci ? D’ailleurs, y a-t-il vraiment une histoire dans ce livre-ci ? D’ailleurs, a-t-on vraiment besoin d’une histoire pour rentrer dans ce livre-ci ?
Partant du simple postulat d’un étrange épicurien laissant choir du ciel un tout aussi étrange objet ouvrant la porte de dimensions parallèles hallucinantes et hallucinées, Jim Woodring nous emporte alors dans un trip psychédélique enivrant et envoûtant où votre rétine sera constamment stimulée, titillée et enchantée par son visuel fou. Son graphisme hyper précis, presque géométrique – bénéficiant qui plus est d’un encrage des plus minutieux – insuffle néanmoins une impression de totale liberté, comme si ses traits étaient vivants, rampant et se répandant jusqu’à envahir toute la page pour donner naissance à des hommes-porcs, des chevaux sous acide ou des monstres mécanico-végétaux évoluant dans des décors organiques ensorcelants… On peut parfois rester bloqué plusieurs minutes sur une page, comme hypnotisé, à scruter et éplucher chacun des mille et un détails que recèlent certaines pages !

Cette BD étant muette, aucune autre info’ ne vous sera donnée que celles que vous dénicherez et piocherez au cours de ce fascinant voyage ; à vous, de savoir lâcher prise, de vous laisser porter et de vous raconter l’histoire que vous inspirent ces obsédantes images !

Et c’est peut-être là le point commun entre ces deux BD : avec ces bouquins, en aucun cas on ne vous mâche le travail, à vous de savoir les dompter et les apprivoiser, pour finalement prendre du plaisir tout en réfléchissant…
…L’Association : livres intelligents pour lecteurs avertis.

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Les petits boloss, de Ruppert & Mulot (Ed. l’Association)
Poochytown, de Jim Woodring (Ed. l’Association)

* OuBaPo : L’Ouvroir de Bande dessinée Potentielle a été fondé en novembre 1992 au sein de l’Ou-X-Po et à travers la maison d’édition L’Association. Ce comité crée des bandes dessinées sous contrainte artistique volontaire à la manière de l’Ouvroir de littérature potentielle créé par Raymond Queneau.

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