56078-LA_MAFIA_NON_E__PIU__QUELLA_DI_UNA_VOLTA_-_Official_posterDe quoi ça parle ? :

De ce qu’il reste du combat des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino contre la mafia sicilienne, vingt-cinq ans après leur assassinat et juste après la mort du parrain qui avait ordonné ces meurtres, Toto Riina.
Depuis cette époque, la mafia sicilienne n’est plus ce qu’elle était. Les guerres de clans ont cessé et la plupart des activités criminelles ont été démantelées. A priori, les rues de Palerme sont plus sûres qu’avant…
On peut donc s’attendre à ce que les palermitains assistent massivement aux évènements organisés en hommage aux deux hommes qui ont réussi à porter un coup fatal à la Cosa Nostra et sont morts en héros, une manifestation sur les lieux de l’assassinat de Borsellino et un concert regroupant la crème de la crème des chanteurs locaux. Franco Maresco, qui travaille sur un documentaire sur Letizia Battaglia, une photographe engagée depuis toujours dans la lutte anti-mafia, décide de filmer la manifestation et les préparatifs du concert. Il a la surprise de constater que ce dernier est organisé par Ciccio Mira, le fantasque animateur sicilien, déjà au coeur de son documentaire Berluscone, una storia siciliana. L’homme, jadis très proche des clans mafieux, n’a aucun scrupule à gérer une soirée en l’hommage des deux juges. Néanmoins, lorsqu’on lui demande d’inclure au concert un discours disant clairement “Non à la mafia!”, il semble un peu gêné aux entournures. Et il n’est pas le seul. Les chanteurs du programme semblent eux aussi ne pas vouloir faire passer ce type de message politique. Et les habitants de Palerme ne semblent pas plus disposés à l’entendre…

Pourquoi on aime? :

Parce que l’organisation du concert-hommage à Falcone et Borsellini tourne à la farce irrésistible, entre ses organisateurs qui refusent de dire du mal de la mafia – un client potentiel –  et ses chanteurs tous plus ringards et idiots les uns que les autres, artistes dégagés plutôt qu’engagés, à commencer par un jeune crétin plus grande gueule que voix d’or, gagnant d’un télé-crochet du genre The Voice, en version “Jean-Michel Apeuprès”.

Mais aussi parce que le film dresse le constat glaçant de l’influence persistante de la Cosa Nostra en Sicile, malgré le choc de la mort des deux juges anti-terroristes, le procès très médiatique de Toto Riina, et la chute du très virulent clan Corleonese.  Il est assez édifiant de voir les personnes interviewées, plutôt volubiles, se refermer dès qu’il s’agit d’évoquer la Cosa Nostra ou l’assassinat des deux juges, à l’instar de ce chanteur qui refuserait de dénigrer la mafia, “même si Dieu en personne le lui ordonnait”, ou cee quidam qui réclame que l’on abatte l’Arbre de Falcone, en face de la maison du juge palermitain, devenu un lieu d’hommage et de pèlerinage, “parce qu’il lui gâche la vue”.

Enfin, on aime enfin l’idée d’opposer Letizia Battaglia et Ciccio Mira, qui symbolisent chacun des démarches opposées vis à vis de la mafia. La première, avec son travail et son militantisme anti-mafia, représente le devoir de mémoire, la parole, le témoignage vivant de ce qu’a été et est encore la Cosa Nostra. Le second symbolise au contraire l’omerta, la loi du silence, qui permet aux parrains siciliens de continuer à prospérer en secret tout en se faisant oublier. Les jeunes générations, qui n’ont pas connu l’époque des guerres entre clans, risque à terme d’oublier la réalité de la Cosa Nostra et de la voir comme une sorte de folklore local, un matériau de fiction prétexte à des polars violents. C’est peut-être pour cela que le film brouille les cartes, entre documentaire, fiction et un subtil mélange des deux.

Mais ce mélange des genres pourrait bien lui jouer des tours en Italie et le couper du public local, à qui s’adresse principalement le film. En tout cas, il a suscité la polémique sur le Lido. En effet, dans le dernier acte du récit, le cinéaste semble s’attaquer aux hommes politiques à la tête du pays, notamment en établissant un lien douteux entre Ciccio Mira et le Président de la République italienne, Sergio Matarella. Or le cinéaste n’apporte aucune preuve d’une quelconque compromission, juste le témoignage de Mira… qui, tout au long du film, démontre son habileté à louvoyer et à mentir! L’attaque semble donc un peu gratuite et manipulatrice, ce qui affaiblit un peu le propos général de Franco Maresco.

Angles de vue différents :

”Bravo Maresco, è forse il miglior film italiano visto da qualche anno a questa parte perché dipinge un’ Italia, una Sicilia, limitate, ridicole e vere.”
(“Peut-être le meilleur film italien vu ces dernières années, parce qu’il peint une Italie, une Sicile, limitées, ridicules et authentiques”)
(Giovanni Coviello, Vicenza Più)

It’s highly unlikely anyone outside Italy will find much amusement in the repetitive situations or Maresco’s headache-inducing voiceover”
(Jay Weissberg, Variety)

Prix potentiels ? :

Trop italo-italien pour gagner un prix majeur. Eventuellement un Prix spécial du jury. A moins que la mafia ne corrompe le jury…

Crédits photos :
Images fournies par La Biennale di Venezia

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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