Gloria Mundi - affproDe quoi ça parle ? :

Des affres de la société d’aujourd’hui, avec son individualisme forcené, ses jobs uberisés ou prenant la forme d’un esclavage moderne, ses familles recomposées/décomposées, son désenchantement généralisé.
De la douceur résiduelle de la société d’avant, celle des utopistes, des idéalistes et des hommes d’honneur, certes un peu usés par le quotidien, fatigués, tristes d’avoir vu leurs rêves de justice sociale trahis par les politiciens de tout bord, mais continuant de croire au pouvoir de la poésie.
Et de la beauté potentielle du monde de demain, symbolisée par la petite Gloria, qu’il convient de préserver à tout prix.


Pourquoi on a aimé par à coups ce film rythmé par des haïkus ?

Parce que Guédiguian n’a rien perdu de son mordant. Il observe la société actuelle avec un regard très critique, fustigeant l’égoïsme ambiant, l’intolérance et le manque de solidarité entre les individus, y compris au sein de la famille.
A première vue, celle formée par Sylvie (Ariane Ascaride) et Richard (Jean-Pierre Darroussin) a l’air soudée et heureuse. Leur fille Mathilda (Anaïs Demoustier) vient d’accoucher d’une petite fille, baptisée Gloria. Fou de joie, son compagnon, Nicolas (Robinson Stévenin), est heureux d’annoncer une autre bonne nouvelle : il se lance dans le métier de chauffeur privé, ambitionnant de gagner un salaire permettant d’élever correctement l’enfant. La fille cadette, Aurore (Lola Neymark) et son mari Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet) semblent partager ce bonheur. Eux aussi sont en pleine réussite. Leur entreprise de dépôt-vente dans le quartier de l’Estaque, à Marseille, est bénéficiaire et ils envisagent d’ouvrir un nouveau magasin sur la Canebière. Même Daniel (Gérard Meylan), l’ex-mari de Sylvie et père biologique de Mathilda, est invité à partager ce bonheur, alors qu’il vient tout juste de sortir de prison après une longue condamnation. Mais ce bonheur n’est qu’une façade. Si Sylvie et Richard parviennent à rester unis, malgré des horaires de travail décalés, le couple formé par Mathilda et Nicolas peine à surmonter un quotidien difficile. Elle doit se cantonner à des jobs de vendeuses sous-payés, précaires et stressants. Il trime toute la journée, mais ses gains ne servent qu’à rembourser le crédit de la voiture. Comme ils se voient moins souvent, une certaine distance s’installe entre eux, alors que leur enfant devrait les rapprocher. Aurore et Bruno, eux, sont surtout unis par leurs liens d’associés, car le jeune homme trompe son épouse dès que l’occasion se présente, et sans aucune vergogne. Et on découvre qu’ils détestent la famille d’Aurore, composée, selon eux, de “minables”. Une série d’événements va précipiter l’éclatement de cette cellule familiale viciée.

En parallèle, Guédiguian montre le manque d’unité au sein d’un groupe de travailleurs mécontents, sur le lieu de travail de Sylvie. Ou plutôt, une unité partielle, la majorité cherchant à contraindre la minorité d’adhérer à leurs décisions et imposer la grève à tout le monde. Sylvie, elle, veut continuer le travail. Elle a besoin de son salaire et sait très bien que ce combat n’en vaut pas la peine. Au mieux, les travailleurs gagneront 20 € par mois, qui seront probablement compensés par des licenciements ou des cadences de travail plus élevées. Son refus d’adhérer aux idées du groupe pousse le leader syndical à l’isoler des autres travailleurs, puis, en désespoir de cause, à lui bloquer l’accès à son poste. Bel exemple de démocratie de la part d’un délégué du personnel censé oeuvrer pour l’intérêt de tous les salariés. Et bel exemple d’intolérance…
Mais à ce petit jeu-là, Aurore et Bruno sont bien pires. S’ils prennent déjà de haut leurs proches, ils n’ont aucun scrupule à piétiner des inconnus. Ils traitent leurs clients comme des moins que rien et exploitent leurs employés, payés au noir. Ils sont grossiers, méprisants et même xénophobes, comme le prouve cette scène où Aurore humilie une femme voilée, contrainte à montrer son visage pour toucher les cinq euros de la vente d’un grille-pain. En un mot, ces deux-là sont détestables.

Ce côté outrancier, presque caricatural, est l’une des limites du film. Le cinéaste charge un peu trop la barque en ajoutant au couple de jeunes arrivistes tous les vices du monde : consommation de cocaïne, réalisation de sextapes, mensonges et trahisons…
A côté de cela, il fait des “anciens”, sa bande de l’Estaque, des personnages positifs, sympathiques, humanistes, prêts à se sacrifier pour ceux qu’ils aiment. Le but est évidemment de défendre sa conception de la société, de transmettre les valeurs humanistes et généreuses que lui et ses camarades essaient de défendre depuis des années. Mais il n’est pas certain qu’il y parvienne avec cette opposition un peu trop manichéenne, un brin naïve, comme souvent chez Guédiguian. Le pompon, ce sont les haïkus déclamés tout au long du film par Gérard Meylan, destinés à conférer au personnage la sagesse infuse. Leur poésie kitsch semble en total décalage avec la vulgarité forcée des jeunes protagonistes, et fait parfois tendre Gloria Mundi vers la caricature épaisse plutôt que vers une chronique sociale façon Ken Loach, fine et élégante.

Gloria Mundi n’est donc pas le meilleur film de Guédiguian. Il aurait gagné à être un peu moins caricatural, moins mélodramatique. Cependant, on y retrouve tous les éléments qui font l’essence du cinéma de Guédiguian. La constance thématique et géographique de ses récits, presque tous situés dans son quartier de l’Estaque, à Marseille, force le respect.


Angles de vue différents :

“Le cinéma de Guédiguian, ça tourne en rond depuis un moment déjà et cela ne semble pas s’améliorer. Il serait temps d’arrêter les frais.”
(Thibault Van de Werve, Cinopsis)

”Certains ressorts dramatiques du scénario sont un peu forcés, mais la démonstration est aussi implacable qu’émouvante.”
(Jacques Morice, Télérama)


Prix potentiels ?

Allez, on s’essaie aussi au haïku :
Drôles de zèbres sur la Canebière,
parfois pachydermes, parfois papillons,
ont vogué vers le Lido sur la mer,
mais ne  devraient pas se muer en lions.


Crédits photos :
Copyright Ex Nihilo/Agat Films
Images fournies par La Biennale di Venezia

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