L’histoire se passe en Afrique du Nord, dans un petit village isolé, dépourvu de tout confort moderne. Pas d’électricité, pas d’eau courante…  – Oui, c’est plus fréquent qu’on ne le pense dans certaines régions du Monde.
Ce sont les femmes de ce village qui, traditionnellement, vont chercher l’eau à la source, située en haut de la montagne, empruntant pour cela des sentiers escarpés et dangereux, au risque de chuter et de se blesser. Toutes, sans exceptions, quelle que soient leurs capacités physiques, sont tenues de participer à la corvée…
Et que font les hommes, pendant ce temps-là? Rien… Ils les laissent se débrouiller, assumer seules cette tâche physiquement rude. Eux, ils boivent le thé tranquillement, en papotant… Avant, ils travaillaient dans les champs, mais maintenant que les terres sont trop arides pour être cultivées, ils se sont dit qu’ils méritaient bien de rester oisif et de profiter de ce temps libre…

La Source des femmes - 7

Un jour, l’une des femmes, enceinte, chute lourdement en allant chercher de l’eau et fait une fausse couche. Ce n’est pas la première fois qu’un tel drame se produit, mais cela ne semble pas émouvoir outre mesure la gent masculine…  Indignée, révoltée, la belle Leïla (Leïla Bekhti) exhorte ses camarades féminines à se mobiliser pour convaincre les hommes de faire installer l’eau courante au village et, à défaut, d’aller à la source eux-mêmes.
Elles décident d’utiliser leur seul moyen de pression : leur corps. Oui, elles se lancent dans  une “grève de l’amour”. Tant que les hommes ne feront pas venir l’eau au village, ils seront privés de câlins et de sexe !
La décision n’est pas sans provoquer quelques remous dans ce village musulman traditionnaliste, notamment chez les hommes, tentés de répudier collectivement ces épouses qui les humilient de la sorte. Mais les femmes, solidaires, tiennent bon… Elles n’ont pas grand chose à perdre…

La Source des femmes - 2

Après Et maintenant on va où? de Nadine Labaki, voilà un autre très bon film qui traite d’un combat féministe en humour et en chansons, en abordant, en toile de fond, quelques-un des problèmes cruciaux auxquels est confronté aujourd’hui le Monde Arabe.
Le nouveau long-métrage de Radu, La Source des femmes, est une oeuvre militante qui entend bien faire réfléchir et surtout, à faire réagir. Le cinéaste y prône l’égalité des sexes, la nécessité de moderniser les infrastructures des villages isolés, notamment l’accès à l’eau, si importante pour les agriculteurs, si importante pour la vie tout court.
La nécessité, aussi, de garantir l’accès à l’éducation, seul moyen d’ouvrir les esprits et de favoriser le dialogue,…
Il fustige l’islamisme et les interprétations archaïques du Coran, mais en prenant bien soin de ne pas caricaturer la religion musulmane. Les héroïnes du film sont croyantes, elles respectent leur religion. C’est d’ailleurs devant l’Imam du village que Leïla ira s’expliquer de ce mouvement d’humeur des femmes. Elle en profitera pour réclamer plus d’égalité entre hommes et femmes, en s’appuyant  sur le Coran et l’interprétation des Sourates pour justifier sa demande.

La Source des femmes - 6

Certains trouveront sans doute cela trop naïf, trop plein de bons sentiments…
C’est effectivement l’une des caractéristiques du cinéma de Mihaileanu, qui ne possède peut-être pas la virtuosité technique de certains grands noms du cinéma d’auteur, mais qui compense largement par ses qualités de conteur, son talent particulier qui lui permet de réussir à entrelacer message politique humaniste et un grand spectacle mélodramatique sans que cela ne choque.
Ici, il évite intelligemment de tomber dans les pièges de l’émotion facile ou de l’humour de bas étage pour livrer une oeuvre généreuse et humaniste, traitant de sujets contemporains et assez universels. Un  grand film populaire, au sens le plus noble du terme, qui, n’en déplaise aux grincheux avait tout à fait sa place en sélection officielle lors du festival de Cannes 2011. Pour la pertinence de son message, pour le plaisir des yeux, de par la beauté des paysages filmés, un village près de l’Atlas marocain, et surtout pour rendre hommage à la formidable troupe d’actrices qu’a su réunir Radu Mihaileanu, tout en grâce, en beauté, en talent, en caractère : Leïla Bekhti, Hafsia Herzi, Biyouna, Hiam Abbass,… Et pour éviter tout sexisme de notre part, ajoutons que les comédiens sont également très bons, de Saleh Bakri à Madj Mohamed…

La Source des femmes - 3

Oui, on aime La Source des femmes  et on le clame haut et fort. Le nouveau film de Radu Mihaileanu est une oeuvre esthétiquement belle, joliment interprétée, souvent drôle et émouvante et totalement en phase avec des problématiques contemporaines, notamment dans le contexte du “Printemps Arabe” et des grands mouvements populaires qui ont secoué le Monde Arabe ces derniers mois.
Les peuples se sont rebellés, ont manifesté pour plus de démocratie, ont fait chuter des tyrans. Les femmes, notamment les jeunes femmes, ont pleinement participé à ce mouvement, y voyant l’occasion d’aller vers plus de justice, plus d’égalité avec leurs homologues masculins.

La Source des femmes - 5

Mais le chemin s’annonce encore long et difficile. En témoigne la décision du nouveau pouvoir libyen d’instaurer la charria comme pilier de la nouvelle constitution du pays – ce qui renforce, à priori, le pouvoir des hommes et autorise même certaines violences à l’égard du sexe féminin, comme la lapidation… On peut se demander si cela valait bien la peine de faire chuter Mouammar Kadhafi si c’est pour instaurer un nouveau régime tout aussi peu démocratique, tout aussi peu égalitaire et tout aussi peu respectueux des droits de l’Homme (et de la femme, en l’occurrence).
Même inquiétude en Tunisie, où on attend de voir ce que va mettre en place le parti islamiste Ennahda, grand triomphateur des premières vraies élections libres dans ce pays.
Ces mouvements politico-religieux assurent qu’ils sont modernes et ouverts d’esprit. On ne demande qu’à les croire, mais ils vont devoir gérer quelques excités qui sont beaucoup moins tolérants. il n’y a qu’à voir ce qui reste des locaux de “Charlie Hebdo” pour s’en convaincre…
Au passage, nous saluons le courage éditorial de Charb et de ses collaborateurs – leur “une” était sacrément gonflée – et nous soutenons “Charlie Hebdo” victime de cette attaque totalement imbécile qui bafoue la liberté d’expression la plus élémentaire. Voilà, c’est dit!

La Source des femmes - 2

Donc oui, les femmes Arabes ont encore du chemin à accomplir pour être considérée comme égales aux hommes. Alors souhaitons que ce beau film qu’est La Source des femmes soit diffusé le plus amplement possible pour qu’il les inspire, les motive, leur donne de l’espoir, ou bien qu’il réussisse à faire réfléchir quelques hommes sur la condition féminine.
Ce n’est pas grand chose, un film… C’est une simple, une minuscule pierre apportée à l’édifice. Mais on préfère largement les pierres qui servent à bâtir quelque chose que celles qui servent à blesser, à lapider, à tuer…

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P.S. : Ah, puisqu’on ne va pas se faire que des copains aujourd’hui avec ce texte, autant ajouter une dernière chose. A tous les abrutis qui, pendant le festival de Cannes, ont affirmé que Radu Mihaileanu n’était pas légitime pour parler d’un sujet concernant le Monde Arabo-musulman puisqu’il est européen, nous rappelons quand même que le cinéaste a déjà fait ses preuves en signant le très beau Va, vis et deviens, tourné entre le Soudan et Israël, et qu’avec leur raisonnement imbécile on serait passé à côté d’excellents films, voire de grands classiques du septième art.

Par exemple, quelqu’un a-t-il osé dire à Murnau qu’il n’était pas apte à tourner Tabou, car un allemand ne peut pas comprendre la culture polynésienne ? Ou demandé à Ken Loach de s’abstenir de tourner Land and Freedom parce que le film traite de la guerre civile espagnole et qu’il est britannique? Quelqu’un a-t-il refusé à Sydney Pollack de tourner son adaptation de Out of Africa sous prétexte qu’il n’est ni africain, ni danois?  Et quelqu’un a-t-il fait un procès à Orson Welles quand il adaptait Kafka? Non, on est bien d’accord…

Et si ces exemples ne sont pas assez “prestigieux”, disons alors que Chaplin n’aurait jamais été considéré légitime pour parler du problème de l’Allemagne nazie et qu’un film comme Le Dictateur n’aurait pas vu le jour…
Les artistes voyagent, s’intéressent au monde qui les entoure et livrent leur regard sur les choses. C’est le propre de l’Art, et c’est cela qui est intéressant : le brassage culturel, l’échange de points de vue, la diversité…
Après, on peut aimer ou non une oeuvre pour des raisons esthétiques, techniques, ou par goût personnel, mais c’est un autre débat…   

 

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La Source des femmes La Source des femmes
La Source des femmes

Réalisateur : Radu Mihaileanu
Avec : Leïla Bekhti, Hafsia Herzi, Biyouna, Hiam Abbass,
Sabrina Ouazani, Amal Atrach, Saleh Bakri, Madj Mohamed
Origine : France
Genre : Guerre des sexes, grève du sexe
Durée : 2h04
Date de sortie France : 02/11/2011
Note pour ce film : ●●●●
contrepoint critique chez : Le Point

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