Le football de haut niveau fait rêver les gamins du monde entier. Et plus encore dans les régions pauvres de la planète, où le sport peut devenir le meilleur visa pour un pays européen et un avenir plus radieux. Mais entre le rêve et la réalité, il y a un gouffre dans lequel beaucoup sont tombés. Avoir du talent ne suffit pas pour réussir. Il faut être meilleur que les autres, car les jeunes amateurs surdoués ne manquent pas, et avoir un mental suffisamment fort pour accepter les sacrifices exigés par le sport professionnel. Et surtout, avant d’avoir l’occasion de prouver sa valeur et d’intégrer, peut-être, un centre de formation ou un club pro, il faut déjà avoir eu la chance d’être repéré. Pas simple, surtout dans certaines régions du Monde…
En Afrique, certains escrocs profitent de la situation et abusent de la crédulité des graines de champions et de leurs proches en leur faisant miroiter la possibilité de jouer en Europe, ou du moins de leur faire passer des tests dans des clubs professionnels, moyennant une forte “participation aux frais”. Ils empochent bien l’argent, mais abandonnent les jeunes footballeurs à eux-mêmes une fois qu’ils ont foulé le sol de leur pays d’accueil. Cette mésaventure est arrivée à de nombreux africains, perdus en Europe, en instance d’expulsion sans même avoir eu la chance de prouver leur valeur footballistique.
Elle est notamment arrivée à un footballeur sénégalais du FC Sochaux-Montbéliard, qui a galéré pendant deux ans avant de pouvoir réaliser son rêve et intégrer le prestigieux centre de formation doubiste. C’est de son histoire dont s’est inspiré Samuel Collardey pour écrire le scénario de son nouveau long-métrage, Comme un lion.
On y suit le parcours de Mitri Diop (Mytri Attal), un sénégalais de quinze ans, plutôt doué balle au pied, qui rêve de quitter son village, Pout, pour partir jouer en France, avant, pourquoi pas, de briller sous le maillot de Manchester United ou du FC Barcelone. Mais de Pout au foot, il va rencontrer beaucoup d’embûches en cours de route…
Le gamin est le footballeur le plus doué du village. Au cours d’un tournoi local, il reçoit sans conteste la distinction du meilleur joueur, et attire l’attention d’un camerounais, ancien footballeur pro, qui lui propose de l’emmener faire des essais en France. Le garçon est évidemment aux anges. Sa grand-mère, qui constitue sa seule famille, l’est un peu moins, car le recruteur camerounais lui demande une forte somme d’argent – 5 millions de francs CFA (plus de 7000 €) – pour participer aux frais de voyage, assurances, etc… Face à la détermination de Mitri, qui a là une chance unique de réaliser son rêve, elle finit par céder. Elle vend son verger, son unique source de revenus, et emprunte de l’argent aux autres familles du village. La somme récupérée suffit à envoyer le garçon à Paris…
Mais très vite les problèmes commencent. Dès l’atterrissage, les douaniers constatent que si Mitri a bien des papiers en règles, il lui manque la convocation aux tests, que d’autres apprentis-footballeur ont, eux, en leur possession. Et pour cause : il ne le sait pas encore, mais aucun test de recrutement n’est prévu pour lui… Les douaniers menacent de le renvoyer illico dans son pays d’origine, avant que l’agent de joueurs chargé de son dossier (Jean-François Stévenin) ne débarque et ne régularise in-extrémis la situation. Au ton que celui-ci adopte au téléphone avec le recruteur camerounais, Mitri comprend qu’il a été victime d’une escroquerie, mais il garde espoir que l’agent lui trouve un club rapidement. Las, le bonhomme s’enfuit lâchement à la première occasion, abandonnant le pauvre Mitri à son triste sort en pleine banlieue parisienne.
Le garçon est pris en charge par les services sociaux, qui lui trouvent un foyer d’accueil à Montbéliard et l’inscrivent dans une école hôtelière. Le rêve de football professionnel s’éloigne d’un coup, mais c’est mieux que rien. Au moins a-t-il le droit de rester sur le territoire français jusqu’à sa majorité. Une aubaine pour le garçon, qui n’envisage pas une seule seconde rentrer au pays sans avoir de quoi rembourser les dettes de sa grand-mère, à qui il cache la vérité sur ses déboires, et surtout, qui veut encore croire à ses chances de devenir footballeur…
Au culot, il intègre un petit club local, entraîné par un ancien pro, Serge (Marc Barbé), et à force de talent et d’abnégation, le fait briller sur la scène régionale. A mesure que les victoires s’accumulent, la perspective d’être repéré par les observateurs du FC Sochaux-Montbéliard grandit…
Comme un lion avait tout du sujet “casse-gueule”, car un tel synopsis pouvait bifurquer aussi bien vers le drame misérabiliste que vers la comédie saturée de bons sentiments. Mais Samuel Collardey s’en sort plutôt bien, trouvant constamment le ton juste pour mener son récit.
La première partie, la plus sombre, est éclairée par la foi inébranlable de Mitri en son talent et ses chances de réussir, et par de beaux personnages qui viennent lui porter assistance, comme cette femme africaine qui lui paie un repas, lui offre un appel vers le Sénégal et l’oriente vers les services sociaux susceptibles de l’aider, ou l’assistante sociale qui supporte l’agacement de l’adolescent face à sa situation, lui trouve un toit, lui offre la possibilité de suivre des études et surtout lui paie licence et chaussures à crampons. Le cinéaste n’élude aucune des difficultés rencontrées par les étrangers débarquant en France – accueil douanier peu avenant, difficulté à se loger, à trouver un travail, menace d’expulsion… – mais il ne noircit pas inutilement le tableau, pas plus qu’il ne charge plus que de raison les “salauds” de son film, le recruteur et l’agent. Bien sûr, le premier reste un escroc, qui, pour son enrichissement personnel, n’a pas hésité à mettre en péril financièrement et physiquement la vie de Mitri et sa grand-mère. Et le second, encombré par ses invités surprises venus du Sénégal, choisit la solution la plus lâche pour se débarrasser d’eux. Mais ce sont juste des êtres humains ordinaires, faillibles et imparfaits, qui tentent de profiter d’un système profondément injuste, avec ou sans eux. Plus que le comportement isolé de tel ou tel individu, le cinéaste pointe du doigt les inégalités entre le Nord et le Sud, les différences de niveau de vie, de richesses, d’infrastructures qui poussent à l’exil les jeunes Africains, parfois au péril de leur vie…
La seconde partie, qui évolue peu à peu vers une irrésistible success-story est contrebalancée par la mélancolie qui entoure le personnage de l’entraîneur. Serge rêvait lui aussi de football et est parvenu à devenir professionnel. Mais son caractère rebelle a fini par lui jouer des tours et il est redescendu tout en bas de l’échelle, condamné à suivre le même destin que son père et qu’une bonne partie de la population du département, travailler à l’usine, chez Peugeot. Il ne se plaint pas vraiment, car après tout, il a un travail, un toit et de quoi se payer sa place au stade, pour tromper l’ennui. Et il continue de vivre sa passion en manageant sa petite équipe. Mais on sent chez lui une amertume profonde. Son rêve s’est brisé et il a dû retourner à un quotidien plus banal, plus déprimant. Il a du mal à supporter cela, à supporter cet échec, qui a entraîné d’autres désillusions, en cascade.
L’arrivée de Mitri constitue pour lui une chance de se racheter, de rebondir dignement. Il a de l’affection pour ce garçon. Ils se ressemblent beaucoup, malgré leurs origines différentes, leurs cultures différentes. Pour eux, le football est plus qu’un simple jeu, plus qu’une passion, c’est un moyen de transcender leur quotidien, de progresser socialement. Le seul dont ils disposent, probablement.
Pour les lions de la Téranga ou les lionceaux des usines Peugeot, l’enjeu est le même : quitter un endroit aux perspectives de développement limitées pour aller vers des horizons nouveaux, plus prospères. Peu y parviennent, mais quand l’un d’entre eux réussit ce pari, à force d’abnégation et de courage, cela redonne du baume au coeur et de l’espoir aux autres.
Finalement, avec Comme un lion, Samuel Collardey livre une très belle fable humaniste et sociale, portée par l’énergie et la sensibilité de ses deux comédiens principaux. Tous deux sont formidables. Marc Barbé est impeccable en prolétaire usé et amer, vieux fauve blessé qui va trouver la force de mener un ultime combat. Mytri Attal, amateur déniché dans un village sénégalais, est bluffant de par sa justesse de jeu et sa fougue. Il rêvait d’un destin similaire à celui de son personnage, mais il peut aussi parfaitement envisager de faire carrière en tant qu’acteur professionnel. En tout cas, on lui souhaite le meilleur…
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Comme un lion Comme un lion Réalisateur : Samuel Collardey |
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