Club zero affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle?

De la première promotion de la classe de “nutrition consciente”, un nouveau cours proposé dans une école privée de standing pour enfants riches à problèmes.

La professeure, Miss Novak (Mia Wasikowska), veut apprendre aux élèves à manger mieux et moins. Fini le burger-frites, terminé le plat en sauce débordant de l’assiette, game-over pour les dessertes sucrés et caloriques, place au minimalisme culinaire : quelques légumes bouillis ou crus, une ration congrue de protéines animales, une touche de yaourt végétal 0% de matière grasse, le tout pesé au gramme près.
La méthode n’est pas uniquement fondée sur des quantités de nourriture qui feraient passer les plats Weight Watchers pour des régimes ultra-caloriques. Elle repose aussi sur l’idée de prendre son temps pour couper l’aliment en tout petit morceau, le contempler puis le mastiquer. En étant focalisé sur ce que l’on mange, on savoure davantage et on atteint plus vite la satiété. Donc on ne consomme que ce dont l’organisme a réellement besoin.  Le dispositif s’accompagne d’exercices de concentration et de méditation pour résister à la tentation de craquer en cas de petit creux.

Son cours attire une dizaine de gamins, motivés par l’engagement écologique – manger peu pour préserver les ressources de la planète – la santé – éviter la malbouffe qui génère pathologies chroniques et cancers, et garder une ligne parfaite – ou encore par la perspective de bonnes notes faciles à obtenir. Certains ont plus de mal que d’autres à faire une croix sur les bon petits plats de maman ou la tentation des sodas et des barres chocolatées après quelques heures de cours, mais la professeure impose sa méthode en douceur. Résultat, au bout de quelques semaines, le groupe parvient à appliquer ce nouveau régime avec discipline et rigueur.

Au début, les parents sont ravis de voir leurs rejetons se préoccuper un peu plus de leur alimentation, ce qui se traduit par une meilleure forme physique et mentale, des notes améliorées et une assez bonne cohésion de groupe, du moins à l’intérieur de cette promotion. Mais quand le régime devient plus radical que le régime Dukan, et que les adolescents à la maison, se mettent à ne plus toucher à leurs assiettes, ils se demandent si la charmante Miss Novak ne serait pas une sorte de gourou apocalyptique…

Pourquoi on adhère au club?

Précision : non, on n’adhère pas à cette secte d’ascètes sans rien dans les assiettes. On aime trop les plaisirs de la table pour ça, au grand dam de notre médecin, qui a sans doute été gouroutisé par Miss Novak, lui aussi, pour vouloir nous faire manger des légumes à la vapeur… En revanche, on adhère au cinéma de Jessica Hausner, qui, depuis Lovely Rita, nous intéresse de par son côté anticonformiste, étrange et dérangeant. Qu’elle aborde le thème de l’adolescence, (Lovely Rita), de la foi religieuse (Lourdes), de la passion amoureuse (Amour fou) ou des dérives de la recherche scientifique (Little Joe), elle livre toujours des oeuvres cherchant à provoquer le spectateur, l’inciter à se poser des questions sur la société qui l’entoure et sur des choses plus intimes, plus métaphysiques. Avec Club zero, la cinéaste autrichienne passe un nouveau cap, avec une oeuvre clivante qui va enthousiasmer les uns ou rebuter fortement les autres.

Le scénario est à l’image des menus de Miss Novak, assez minimaliste, composé de petites saynètes successives dans lesquelles Jessica Hausner dénonce aussi bien les dérives de la malbouffe que les excès inverses, ceux des adeptes du « less is more », des végans intégristes, des ayatollahs du jus détox. La cinéaste montre surtout comment fonctionne l’embrigadement sectaire. Les adolescents du film sont souvent délaissés par leurs parents, trop occupés par leurs jobs ou leurs activités associatives. Ils ne semblent pas très liés aux autres élèves de leur établissement. Aussi, ils trouvent en Miss Novak une oreille attentive, une présence apaisante, et dans ce petit groupe d’une dizaine d’élève une force collective, cimentée par ce régime alimentaire particulier et une philosophie tournée vers la préservation de l’environnement et le bien-être. Ils se laissent rapidement embobiner par ce mode vie où l’alimentation doit être minimaliste pour permettre la béatitude.
En même temps, le film ne dépeint pas Miss Novak comme une dangereuse manipulatrice. Elle ne cherche pas à tirer un profit personnel de la situation, ne cherche pas spécialement à contacter ses disciples en dehors de l’établissement, à l’exception de l’un d’entre eux. Elle leur parle bien du “Club Zero”, sans les inciter à y participer. Mais son capital sympathie est tel que les adolescents la suivent comme un gourou mystique. Et elle les entraîne sciemment dans une démarche autodestructrice.

Mais c’est surtout l’effet de groupe qui pousse ces adolescents à adhérer à cette philosophie, puis cette entité sectaire. Si l’un des membres du cercle semble flancher, les autres se chargent de le remettre dans le droit chemin. Chacun doit faire les efforts nécessaires pour s’adapter aux exigences du “Club Zero”, s’il ne veut pas être ostracisé, mis à l’écart.
Le film parle avant tout du besoin de trouver sa place dans le monde, de s’intégrer à la société tout en cultivant sa différence. La cinéaste s’intéresse à l’idée de différence au sein de la norme et vice-versa. Si le groupe d’étudiants de Novak a toutes les apparences d’une secte, il n’est qu’un sous-groupe dans un ensemble plus vaste, mais tout aussi formaté, et le visuel restitue bien ce côté uniforme, monocorde, bien rangé : élèves en uniformes, murs en briques monochromes, bien alignées, intérieurs bourgeois symétriques, avec quelques touches d’excentricité maîtrisée… Qu’il le veuille ou non, un individu socialisé doit obligatoirement être membre d’un “club”, selon ses affinités, ses opinions, ses goûts.
Même s’ils subissent l’influence de Miss Novak, les adolescents du film font un choix radical, rejetant en bloc le mode de vie de leurs parents et l’éducation classique, formatée de leur école. Le film devient alors l’opposition entre deux modes de vie radicalement opposés : une société matérialiste, représentée par les parents, bourgeois et élitistes,  et une jeunesse en quête de davantage de spiritualité, plus préoccupée par l’être que par l’avoir et rejetant farouchement la société de consommation.
Le film prend alors un tour plus politique, plus philosophique voire plus mystique. Le cours de Miss Novak est à la fois une initiation alimentaire et spirituelle. L’abstinence alimentaire qu’elle prône est une façon d’atteindre une forme de perfection, de séparation totale et du corps, se rapprochant de l’ascèse, qui est louée par les différentes religions comme une façon de se libérer et se rapprocher de Dieu, ou une façon de purifier l’esprit pour atteindre le nirvana.

Derrière son apparente simplicité, Club Zero s’avère être une oeuvre bien plus complexe et plus riche qu’elle n’y paraît, tant sur le fond que sur la forme. Jessica Hausner signe probablement son meilleur film avec cette comédie noire, souvent drôle et dérangeante, parfois les deux en même temps. Elle a atteint une sorte de maturité esthétique et technique qui font de son nouveau film un objet artistique fort séduisant et très personnel.

On peut avoir un peu de rab, s’il-vous-plaît (de manière consciente, bien sûr) ?

Contrepoints critiques :

Tous les ressorts comiques utilisés ici sont au service d’une morale un brin réac sur la bêtise de l’Homme du 21ème siècle et le manque de communication entre adultes et enfants. C’est non seulement assez convenu (…) mais traité avec énormément de lourdeur par la mise en scène, au mieux démonstrative, au pire écœurante, tant chaque photogramme semble contenir dix couches de symboles.”
(Antoine Rousseau – Le Bleu du miroir)

”Derrière tout ça, c’est bien une inquiétude qui caractérise le cinéma d’Hausner, celle de ne plus prendre en compte des territoires propres à chaque individu, d’aller vers un vide nauséabond, et dans un rythme anxiogène tout au long du récit, d’interroger la vulnérabilité, la fragilité, et par là, la fonction du cinéma, capable de disparaître si on ne s’intéresse qu’à sa forme.”
(Ana Hyde – Movierama)


Crédits photos : Copyright Coproduction Office – Images fournies par le Festival de Cannes

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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