© FDC Philippe Savoir (Filifox)On ne sait pas encore si les causes de ce dérèglement climatique sont les mêmes que l’invasion de morts-vivants du film de Jim Jarmusch, présenté la veille en ouverture du festival, mais toujours est-il que des trombes d’eau se sont abattues sur Cannes durant la nuit, et pendant une bonne partie de la matinée. Cela n’a pas dissuadé les festivaliers de se lever tôt pour découvrir les premiers films des sections parallèles, qui se sont ouvertes ce-matin.

Du côté d’Un Certain Regard, c’est Monia Chokri qui a inauguré la dizaine de jours de projections avec La Femme de mon frère, sa première réalisation. Les premiers échos sont plutôt positifs. Apparemment, la jeune femme entend suivre les traces de Xavier Dolan, son mentor, qui l’avait révélée en tant qu’actrice il y a neuf ans, dans la même section, avec Les Amours imaginaires. Le style, la durée et les thématiques semblent en effet assez proches des premiers films du jeune prodige québécois.

Toujours à Un Certain Regard, Bull, marque le retour sur la Croisette d’Annie Silverstein, qui avait reçu le prix de la Cinéfondation en 2014 pour son court-métrage de fin d’études, Skunk. Pour son premier long-métrage, la cinéaste a choisi la sécurité en respectant scrupuleusement le format habituel des films indépendants américains tel que le festival de Sundance les définit. On retrouve donc cette esthétique caractéristique – image granuleuse et lumières blafardes, caméra collant au plus près des personnages…- mise au service d’un récit initiatique également très classique, autour de la rencontre improbable entre une adolescente rebelle et un vieux torero à bout de souffle.
Le résultat n’est donc pas très original, mais en suivant à la lettre une recette ayant fait ses preuves, Annie Silverstein livre une oeuvre formellement maîtrisée, qui tire le meilleur de ses deux comédiens, Amber Havard et Rob Morgan et restitue assez bien les conditions de vie difficiles des habitants des petites villes de l’Amérique profonde. On pense parfois aux films de Chloe Zhao, qui s’est fait connaître par le festival de Cannes, ou à des oeuvres comme Lean on Pete d’Andrew Haigh. De bonnes références, donc, mais la cinéaste gagnerait probablement à affirmer son propre style et développer sa sensibilité artistique pour pouvoir intégrer un jour la compétition officielle.

Quentin Dupieux, lui, a trouvé son propre style depuis un bon moment, et il semble bien décidé à persévérer dans la voie de l’humour absurde et du surréalisme. Son nouveau film, Le Daim, a été présenté en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs.
On y retrouve Jean Dujardin dans le rôle d’un homme obsédé par un coûteux blouson en daim, et prêt à tout pour l’obtenir, quitte à mettre en péril sa petite vie tranquille et à sombrer dans la criminalité.

Un peu plus tôt dans la journée, John Carpenter a reçu le Carrosse d’Or, le prix de la SRF récompensant chaque année un cinéaste qui a marqué l’histoire du cinéma, par son audace, son exigence et son intransigeance dans la mise en scène.
Le cinéaste américain a présenté The Thing, une de ses oeuvres majeures, au public du théâtre Croisette/JW Marriott, avant de débattre de sa carrière avec Yann Gonzalez et Katell Quillevéré et d’être honoré comme il se doit lors de la cérémonie d’ouverture, avec en prime le thème musical de Halloween joué par le cinéaste Bertrand Bonello,

A la Semaine de la Critique, les festivaliers ont découvert Litigante du colombien Franco Lolli, un mélodrame familial dans la lignée de Gente de bien, son précédent long-métrage, tout en finesse. Ils ont aussi pu apprécier le premier film du marocain Alaa Eddine Aljem, Le Miracle du Saint inconnu. Dans cette  une comédie grinçante, un malfrat tout juste sorti de prison tente de récupérer le magot qu’il avait planqué, dans une fausse tombe en haut d’une colline, près d’un petit village isolé. Mais il découvre qu’au même endroit, la population locale a érigé un mausolée en honneur à un Saint inconnu, gardé par un vigile intraitable…

En compétition officielle, les choses sérieuses ont commencé avec Les Misérables, de Ladj Ly, une plongée dans le quotidien mouvementé d’une cité de banlieue parisienne et des policiers chargés de la surveiller. Le cinéaste filme avec beaucoup de sensibilité ces “misérables” modernes, des gens modestes qui essaient de survivre comme ils le peuvent dans cet environnement défavorisé, minés par les problèmes d’argent, de couple, de famille, terrassés par la peur ou par l’ennui. Il passe avec talent de la chronique sociale au thriller haletant, et tire le meilleur de ses acteurs, pour la plupart peu inconnus. Comme, en son temps, La Haine de Mathieu Kassovitz, Les Misérables constitue l’un des chocs du festival. On lui souhaite la même chute, et le même atterrissage.

Nous avons moins aimé Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles. Comme Ladj Ly, les cinéastes brésilien ont souhaité mettre en lumière des personnages issus de classes sociales modestes et des territoires généralement peu montrés au cinéma ou dans les média. C’est peut-être la partie la plus aboutie du film, car elle retrouve un peu de l’âme d’Aquarius, le précédent long-métrage de Kleber Mendonça Filho, qui avait ébloui la Croisette il y a trois ans. Le problème, c’est que cette chronique sociale n’est que la petite partie d’un tout plus vaste, entremêlant film d’anticipation, western moderne et thriller horrifique. Le résultat n’est pas très heureux, ni très équilibré. On a l’impression d’un fourre-tout hétéroclite, hésitant constamment entre le film Art & Essai sérieux et la série B déjantée. Comme les deux composantes ne fonctionnent pas du tout ensemble, on finit par trouver le film trop lent, trop long, trop bavard, pas assez “fun” pour une série B, mais aussi trop décalé et trop empêtré dans des symbolismes lourdingues pour donner un film Art & Essai intéressant (le choix de confier le rôle du principal antagoniste à Udo Kier, pour rappeler que le Brésil a offert l’asile politique à certains criminels nazis, n’est franchement pas des plus fins…).
On n’ira pas jusqu’à dire que Bacurau est un film honteux, mais c’est assurément l’une des grosses déceptions de ce début de festival, d’autant que sa scène introductive – un camion-citerne d’eau potable slalomant entre les cercueils sur une route aride – laissait entrevoir une oeuvre autrement plus profonde.

A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.

LEAVE A REPLY