FDC 2019_SIGNATURES_400X400_01 © FDC Philippe Savoir (Filifox)Fort logiquement, le 72ème Festival de Cannes s’est ouvert sur l’apparition d’Agnès Varda, assise dans son fauteuil de réalisatrice, sur l’une de ces plages où elle aimait tant filmer, photographier, observer les êtres, les objets, les paysages. La scène est issue de son dernier documentaire, Varda par Agnès. La cinéaste y raconte sa plus grande angoisse, projeter un de ses films dans une salle entièrement vide, sans aucun spectateur. Hop! Grâce à la magie du montage, elle passe de la plage à une salle de cinéma déserte. Hop! Retour au direct! Le plan suivant nous montre le public de la cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes 2019. La salle est pleine à craquer, remplie de célébrités et d’amoureux du septième art. Mais le fauteuil d’Agnès Varda, lui, est désormais vide, laissant ses proches et son public bien orphelins et emplis d’une certaine mélancolie…

La cinéaste aurait probablement aimé cet hommage malicieux rendu par le festival, comme elle aurait probablement apprécié la photo choisie pour illustrer l’affiche officielle de cette édition 2019, où on la voit l’oeil vissé à la caméra, pleine d’énergie et de passion, perchée sur le dos d’un de ses valeureux techniciens pour pouvoir réussir un plan en plongée, sur le tournage de La Pointe Courte.
Elle aurait certainement apprécié le discours du maître de cérémonie, Edouard Baer, exercice de funambule empreint de poésie lunaire. Une ode à la salle de cinéma en tant que lieu de vie, de partage et de chaleur autant qu’une invitation à découvrir l’oeuvre de cinéastes exigeants, qui ne méritent certainement pas l’affront d’une salle vide.
Agnès, chef de file de la Nouvelle Vague au féminin, aurait probablement aimé voir la délicieuse Angèle, jeune chanteuse féministe et engagée, reprendre “Sans toi”, la chanson – de circonstance – que Michel Legrand avait composée pour Cléo de 5 à 7. Et Varda aurait aimé voir ce jury cosmopolite, uni par la même passion, la même exigence artistique.
Certes, cette grande dame du cinéma n’est plus là physiquement. Mais son âme imprègne les lieux, ses oeuvres resteront pour longtemps dans l’imaginaire collectif. La première grande leçon de cette première soirée de gala cannoise, c’est que les morts ne meurent pas vraiment. Du moins, tant qu’il y a du monde pour se souvenir d’eux, honorer leur mémoire, partager leur oeuvre – artistique, professionnelle ou simplement “humaine”.

La seconde grande leçon de cette ouverture cannoise, c’est que les vivants peuvent mourir… d’ennui. Surtout quand ils écoutent un loooonnng discours en espagnol, en l’occurrence celui du président du jury de ce 72ème Festival de Cannes, le cinéaste mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu. Certes, le monologue semblait plein de fougue et d’amour pour le Cinéma, même pour ceux qui ne maîtrisaient pas la langue de Cervantes, comme l’a justement fait remarquer Edouard Baer. Pas de bol, les réalisateurs de Canal + venaient juste de faire un gros plan sur le visage de Bill Murray, les yeux mi-clos, à deux doigts de sombrer dans le sommeil le plus profond, vaincu par le speech d’Inarritu… Il faut bien dire qu’il aurait été dommage de chuter si près du but, alors que, dans le film d’ouverture, l’acteur américain tente de survivre à  une bonne vieille invasion de zombie…

Car oui, la troisième leçon de la soirée, c’est que les morts ne meurent pas tout court, à en croire la traduction du titre du nouveau film de Jim Jarmusch, The Dead don’t die. Et pire, ils peuvent même revenir à la vie, sous la forme de zombies cannibales avides de chair fraîche, un substitut à la frénésie consumériste qui les agitaient de leur vivant. Mais, ceux qui ont bien révisé leur petit guide de l’Apocalypse zombie illustré par Romero le savent, les morts-vivants peuvent bien trépasser pour de bon, à condition de voir leur tête explosée, tranchée, broyée et autres techniques agréées. Mais que les âmes les plus sensibles se rassurent, si le film utilise bien les codes du film de morts-vivants et propose quelques effets sanguinolents, il reste assez sage au niveau de la violence et de la tension horrifique. Le ton est clairement celui des autres films de Jarmusch, caractérisés par un mélange de poésie et d’humour, et baignés dans une certaine torpeur, un état d’hébètement face à l’état du monde. On aime ou on n’aime pas. Et – cela va avec – on risque de s’ennuyer ou non. Retour à la leçon numéro 2 : les vivants peuvent mourir d’ennui, parfois.

Dernière leçon de la soirée, le Cinéma est encore un art bien vivant. Car si le film de Jim Jarmusch, assez mineur au regard de son oeuvre, va clairement diviser les spectateurs et décevoir certains admirateurs du cinéaste, il n’en demeure pas moins du cinéma de qualité, qui porte indéniablement la patte de son auteur et assume pleinement sa fonction critique vis-à-vis de la société américaine (Lire notre critique). On ne va certainement pas faire la fine bouche, même si on peut légitimement espérer que les prochaines projections du festival placeront la barre un peu plus haut.

A demain pour la suite de nos chroniques cannoises.

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