Palmarès pluvieux, palmarès heureux? A voir…
En tout cas, c’est bien sous une pluie battante que s’est déroulée l’ultime montée des marches de cette année, à l’occasion de la cérémonie de clôture de ce 65ème festival et de la projection du dernier film de Claude Miller, Thérèse Desqueyroux.

La maîtresse de cérémonie, Bérénice Béjo l’a d’ailleurs évoqué dans son discours. C’est la pluie qui a été l’invitée vedette de cette manifestation, s’incrustant malicieusement à plusieurs soirées, plusieurs défilés sur tapis rouge, ruinant au passage smokings et robes de soirée.
Les salles de cinéma ont été des refuges pour bien des cinéphiles trempés jusqu’à l’os, qui, parfois, ont pu oublier les précipitations extérieures au profit de déluges d’images envoûtantes et d’émotions cinématographiques.
Evidemment, l’association de l’humidité ambiante avec l’air glacial soufflé par la climatisation dans certaines salles a fait quelques victimes. De petits rhumes en grosses quintes de toux, de maux d’estomac en étourdissements, nombreux sont les cinéphiles qui ont souffert physiquement des conditions climatiques, assez rares pour la saison sur la Côte d’Azur. La fièvre du samedi soir n’a pas été la seule à agiter les nuits cannoises…
Les médecins cannois ont vu leur charge de travail augmenter d’un coup, et les pharmaciens ont, pour une fois,  vu leur chiffre d’affaires dépasser celui des marchands de glace…     
En même temps, la meilleure des ordonnances reste la prescription de grands films. Et si la sélection de cette année ne restera pas dans les annales comme l’une des plus brillantes, elle contenait suffisamment de principes actifs pour mettre du baume au coeur des amateurs de 7ème art.

Palme d'or 2012

A défaut de grand soleil, tout le monde espérait se réchauffer aux rayons dorés de la Palme d’or. Et de ce point de vue là, il n’y a pas grand chose à redire sur le choix du jury présidé par Nanni Moretti. Le trophée a été attribué à l’un des meilleurs films de cette édition, un de ceux qui ont séduit autant le public que la critique, malgré un sujet difficile : Amour de Michael Haneke.
Des applaudissements nourris ont accompagné le triomphe du cinéaste autrichien, qui remporte sa deuxième palme après Le Ruban blanc, et de ses deux acteurs principaux, Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant.
Le jury a d’ailleurs précisé que la palme récompensait autant le travail de Michael Haneke que celui de ses comédiens et, chose rare, tous les trois sont venus chercher ensemble la Palme d’Or sur scène.

Bravo pour la palme, donc. Pour le reste du palmarès, en revanche, il y a beaucoup à redire…

prix int feminin cannes 2012

Nous sommes assez d’accord pour les prix d’interprétation.  Les deux actrices roumaines de Au-delà des collines sont formidables et méritaient d’être primées. Et Mads Mikkelsen est également très bien dans La Chasse de Thomas Vinterberg.
Après, d’autres auraient aussi mérité un prix, comme le duo Matthias Schoenaerts/Marion Cottilard, Margarethe Tiesel, Denis Lavant…

On peut aussi comprendre le choix de Carlos Reygadas pour le prix de la mise en scène. Le cinéaste mexicain a été copieusement sifflé par le public et a déploré l’acharnement critique dont il a été l’objet – on confirme, le rejet a été assez violent chez certains de nos confrères, trop sans doute…
Nous n’avons pas été totalement conquis par son film, trop abscons et un peu trop prétentieux, mais il faut bien reconnaître que c’est un cinéaste qui ose des choses et qui est capable de signer des scènes remarquables. La scène d’ouverture de son film est absolument magnifique, par exemple.
Mais là aussi, d’autres auraient pu être récompensés, de Jacques Audiard à Im Sang-soo, en passant par Ulrich Seidl et David Cronenberg…

Mais la suite du palmarès est assez ridicule…
Le Grand Prix accordé au décevant Reality de Matteo Garrone, ressemble à un acte de copinage manifeste. On est désolés, mais on ne voit pas vraiment ce qui justifie ce choix pour la deuxième marche du podium cannois.

Grand prix cannes 2012

Idem pour le Prix du Jury, accordé à La Part des anges. On a apprécié ce film, une des rares comédies de la sélection, pour son humour et son énergie, mais ce n’est pas, loin de là, le sommet de son auteur… 
On a ricané devant le décalage entre le discours introductif de Laura Morante et Patrick Bruel, qui ont  affirmé que ce prix récompensait traditionnellement l’audace, l’inventivité et était un encouragement donné à un jeune cinéaste pour la suite de sa carrière, et l’annonce du résultat.
Loach n’avait pas besoin de ce prix pour continuer sa carrière ou pour attirer des spectateurs voir son film. Et La Part des anges  n’a rien de spécialement audacieux ou d’original. On aurait préféré voir le prix donné à un Ulrich Seidl ou un Wes Anderson…
Là aussi, ça sent le copinage à plein nez…

Enfin, prix du scénario pour Cristian Mungiu, on veut bien… Mais vu le côté minimaliste de sa trame narrative, on se dit que des scripts plus peaufinés, comme ceux de Cosmopolis,  Cogan : la mort en douce ou encore Vous n’avez encore rien vu auraient pu avoir leur place au palmarès.

Ces choix sont discutables. C’est le lot de tout palmarès. Mais ils le sont d’autant plus qu’ils écartent du palmarès des films supérieurs à ceux mis en avant.
Rien pour Moonrise kingdom, De rouille et d’os, Holy motors, Cosmopolis, Mud, Paradis : amour ou  L’Ivresse de l’argent.
Bien sûr, on ne peut pas récompenser tout le monde, mais à ce moment-là, autant récompenser les meilleurs films…

Ils auraient pu s’inspirer du jury de la Caméra d’or, qui a choisi de primer l’excellent Les Bêtes du sud sauvage. Là, on ne contestera pas cette désignation. On l’approuve même chaleureusement…
Maintenant, le palmarès n’est là que pour la petite histoire. La grande Histoire, elle, saura retenir les grands films de cette 65ème édition, comme elle a retenu des films non-récompensés ou mal récompensés à Cannes  pendant que des palmes d’or moyennes ont été rejetées dans l’oubli.

Claude Miller

Ce qu’on retiendra de cette soirée de clôture, outre la Palme d’Or remise à Amour, c’est l’émouvant hommage rendu à Claude Miller, décédé le 4 avril dernier. Sa femme, Annie Miller, et son fils Nathan et plusieurs des comédiens qu’il a eu l’occasion de diriger par le passé, de Patrick Bruel à Ludivine Sagnier, en passant par  Guy Marchand, Cécile de France, Christine Citti, Richard et Romane Bohringer, Emmanuel Carrère,…, sont venus assister à la projection du dernier long-métrage du cinéaste, Thérèse Desqueyroux, achevé au courage juste avant d’être emporté par la maladie.
Mais avant la projection, Thierry Frémaux, visiblement ému, est venu dire quelques mots sur ce réalisateur qui a fait partie intégrante de l’histoire du cinéma français et du Festival de Cannes. Un petit discours bouleversant, conclu par une standing-ovation de l’ensemble des spectateurs.
Le délégué général du festival a affirmé que si le film était présenté à Cannes, ce n’était pas uniquement pour rendre hommage à Claude Miller, mais bien parce que le film possède des qualités artistiques réelles, ce que l’on a pu vérifier de nos yeux.

Thérèse Desqueyroux est effectivement une réussite. Certes, il s’agit là d’une histoire d’un classicisme affirmé puisque tiré du très corseté roman  de François Mauriac, dans lequel une femme essaie d’empoisonner son mari pour retrouver sa liberté et finit par être encore plus soumise à son époux et sa belle-famille. Mais le cinéaste a su saisir l’essence du texte original, le vertige d’une femme prisonnière de conventions sociales et d’un amour factice, arrangé pour de basses raisons économiques, et l’incapacité de son entourage à comprendre ce trouble qui la mine.
Il a déjà réussi parfaitement son casting, en choisissant Audrey Tautou, intense dans le rôle-titre, et Gilles Lellouche, qui campe avec conviction ce bourgeois provincial un peu rustre et trop “simple” pour plaire à son épouse, et en leur adjoignant Anaïs Demoustier, Catherine Arditi, Isabelle Sadoyan, Stanley Weber et Francis Perrin. Et il a soigné sa mise en scène, toute en clairs-obscurs et mouvements de caméra élégants, pour traduire les émotions de son énigmatique et fascinant personnage principal.

Thérese Desqueyroux - 2

On retrouve dans ce film toutes les qualités qui ont imposé Claude Miller comme l’un des meilleurs cinéastes français. Une mise en scène sobre et précise, un montage rythmé, une direction d’acteurs efficace et une thématique centrale autour des zones d’ombres de l’âme humaine et de la soif de liberté des personnages. 
On retrouve aussi les limites de son cinéma, celles qui l’ont parfois empêché d’être distingué dans les festivals ou aux César : une humilité que certains pouvaient confondre avec un manque d’audace, un classicisme formel que d’aucuns jugeaient académique. Il est vrai que, comparée à la version de 1962 signée Georges Franju, avec une certaine Emmanuelle Riva dans le rôle-titre, cette adaptation de Thérèse Desqueyroux manque peut-être parfois d’un peu de souffle, d’un peu de style, d’un petit rien qui lui aurait donné toute son ampleur.
Mais on préfère nettement ce travail très classique et très maîtrisé, qui porte quand même la patte de son auteur, à de expérimentations hasardeuses qui perdent en route le spectateur… C’est dit…

Le Festival de Cannes s’est donc terminé comme il a commencé, sur un bon film, de bons numéros d’acteurs et une salle respectueuse de l’oeuvre présentée.

Et c’est donc en douceur que nous refermons notre petit carnet de voyage cannois, rempli d’émotions cinématographiques, de belles rencontres et de débats passionnés. Mais avant cela, il nous reste à remercier tous les lecteurs qui ont suivi nos petites chroniques quotidiennes, et à vous dire à l’année prochaine – on l’espère – pour de nouvelles aventures dans ce qui demeure le plus important festival de cinéma du Monde…

  Cannes 2012 bandeau

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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