The favourite - affpro - film stillJusqu’alors, Yorgos Lanthimos avait réalisé des films assez étranges, entre oeuvres surréalistes (Kinetta, Canine, Alps) et fables fantastiques (The Lobster, Mise à mort du cerf sacré). Aussi, il était intriguant de le voir aux commandes de The Favourite, un film historique relatant les relations entre Anne d’Angleterre, dernière reine de la Maison Stuart, et ses favorites, la Duchesse de Marlborough et sa cousine, Abigail Masham, sur fond de guerre de Succession d’Espagne et de conflits politiques internes.
Très vite, on comprend ce qui a intéressé le cinéaste dans ce récit, qui lui permet de développer sa thématique favorite : les luttes de domination et d’influence au sein d’un groupe d’individus et les effets dévastateurs du pouvoir.

Au début, il semble clair qu’à la cour d’Angleterre, la Reine Anne (Olivia Colman), suzeraine puérile et coupée de la réalité, n’exerce pas vraiment le pouvoir. C’est son intendante, Sarah Churchill (Rachel Weisz), la duchesse de Marlborough, qui lui souffle les décisions à prendre et gère les affaires courantes. Entre les deux femmes, la complicité semble sans faille, et dépasse le cadre purement amical. Sarah en profite pour orienter la politique du pays en sa faveur et celle de son époux, en charge des armées. Le couple entend faire lever des impôts supplémentaires pour l’effort de guerre, contre l’avis des tories, et de leur leader, Robert Harley (Nicholas Hoult).
L’arrivée d’Abigail (Emma Stone), cousine de Sarah, va changer la donne. Ruinée, destituée de son titre de noblesse suite aux dettes contractées par son père, la jeune femme sollicite un emploi de la Duchesse, qui consent à l’accepter comme servante. Très vite, Abigail comprend les liens qui unissent Sarah et la Reine, et jauge les forces politiques en présence. Elle s’en sert pour remonter peu à peu le long de l’échelle sociale, devenir l’une des nouvelles favorites de la Reine et retrouver une position digne de son rang. Mais cette stratégie suscite la jalousie de la Duchesse de Marlborough, qui voit son influence auprès de la Reine diminuer.
A partir de là, les deux femmes s’affrontent ouvertement, et tous les coups sont permis pour essayer de déstabiliser l’adversaire. Chaque personnage dévoile des facettes insoupçonnées. Abigail, que l’on voyait initialement fragile et naïve, s’avère une garce manipulatrice, prête à aller jusqu’au meurtre pour écarter ses rivales. La froide et impitoyable Sarah laisse entrevoir une sensibilité dont on la pensait incapable. Même la Reine Anne, que l’on pensait inoffensive, dévoile peu à peu son caractère autoritaire, voire une certaine folie.

C’est pain béni pour les actrices, toutes remarquables. Emma Stone confirme, si besoin était, que sa Coupe Volpi de la Meilleure Actrice, gagnée sur le Lido il y a deux ans, n’était pas usurpée. Olivia Colman confirme qu’elle est l’une des meilleures comédiennes britanniques du moment et impressionne dans le rôle de cette souveraine à la fois pathétique et inquiétante. Mais c’est probablement Rachel Weisz qui domine le trio, grâce à sa performance impressionnante dans le rôle de Sarah Churchill, femme de pouvoir redoutable et amante déçue.
Le film tient sur les joutes verbales que se livrent les trois femmes et aux multiples revirements de ces “games of throne” aux enjeux autant politiques que sentimentaux.

Cependant, il serait réducteur de ne voir en The Favourite qu’un film d’actrices.  Le film possède bien la patte artistique de Yorgos Lanthimos.  On retrouve son style caractéristique, avec son approche esthétique singulière, jouant sur la profondeur de champ, les effets de caméra en “oeil de poisson”, et les mouvements de caméra le plus amples possibles. On retrouve aussi sa façon originale de chapitrer le récit et surtout de créer une ambiance quasi-onirique, à la frontière du fantastique. Grâce à ces choix de mise en scène, le film s’éloigne des poncifs habituels du film historique et devient un objet cinématographique assez unique, élégant, intrigant et excitant.
En tout cas, il s’intègre naturellement dans l’oeuvre passionnante de Lanthimos, qui confirme de film en film l’étendue de son talent. Jusqu’à présent, ses longs-métrages ont toujours glané des prix lors des différents festivals où ils ont été présentés, à Cannes ou à Venise. Celui-ci pourrait bien perpétuer cette belle tradition. C’est en tout cas tout le mal qu’on lui souhaite…

Images : copyright Yorgos Lanthimos – fournies par la Biennale de Venise

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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