Si certains pensent encore que les films d’animation sont de gentilles bluettes réservées aux enfants, ils feraient bien d’aller faire un petit tour au cinéma pour découvrir  The Prodigies et se rendre compte de leur erreur.

Librement adapté d’un roman de Bernard Lenteric, “La Nuit des enfants rois” (1), ce long-métrage réalisé en images de synthèse est en effet un thriller qui mêle fantastique et anticipation, et développe un univers noir et violent qui n’est certainement pas destiné aux plus jeunes (2).

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L’intrigue tourne autour d’enfants surdoués et dotés de facultés mentales exceptionnelles, parmi lesquelles la possibilité de contrôler l’esprit d’autres personnes et de les manipuler comme de simples marionnettes.

Cette aptitude, Jimbo Farrar l’a depuis son plus jeune âge. Il s’en est servi, sous l’effet de la colère, pour tuer ses parents, qui passaient leur temps à lui infliger des sévices corporels.
Depuis, il a été recueilli par Killian, un riche industriel qui lui a appris à canaliser sa colère et sa violence et à mettre son intelligence au service de son centre de recherches.
Jimbo a mis au point un jeu en ligne qui lui permet de tester les capacités intellectuelles des participants et de détecter d’autres enfants ou adolescents possédant les mêmes pouvoirs que lui, afin de les trouver et de les aider à apprivoiser ces dons potentiellement dangereux. Alors que ces recherches semblent au point mort, le programme signale cinq cas positifs, cinq ados ne se connaissant pas, mais connectés les uns aux autres par la pensée.

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Jimbo réussit à les retrouver et à les réunir à New-York, prêt à les accueillir dans la fondation Killian pour les jeunes surdoués. Ces enfants, jusque-là isolés, incompris, en souffrance, ont l’impression de vivre un rêve. Ils ont découvert un cadre de vie agréable, où ils pourront s’épanouir, et surtout, ils ne sont plus seuls.
Mais une nuit, le rêve tourne au cauchemar. Alors qu’ils sont réunis à Central Park, ils sont attaqués par des voyous qui violent et tabassent l’une d’entre eux. Ecoeurés de voir leurs “bienfaiteurs” essayer d’étouffer l’affaire, les cinq adolescents se lancent dans une croisade vengeresse, utilisant leurs pouvoirs pour se débarrasser de tous ceux qui leur ont fait du mal ou qui les ont trahis…

Pas vraiment adapté aux enfants, donc, même si les scènes les plus âpres sont “atténuées” par le recours à l’animation – comme l’histoire d’O-Ren Ishii dans Kill Bill – et le choix de figurer les actes odieux de manière allégorique.
En revanche, les adultes amateurs de récits d’anticipation et de thrillers bien noirs devraient être aux anges, car le récit est respectueux des conventions de ces genres et, contrairement à la plupart des productions hollywoodiennes actuelles, ne cède jamais à la tentation d’user d’un second degré qui désamorce tous les effets de terreur, ni à celle du spectaculaire à tout-va.

The Prodigies fonctionne tout d’abord grâce à ses personnages : Jimbo, l’ingénieur au passé trouble; son épouse, qui attend un heureux événement; la fille de Killian, une garce qui entend bien reprendre le contrôle des affaires paternelles et s’enrichir; et le groupe des cinq enfants, à la fois victimes innocentes de la folie des adultes et bourreaux sans pitié quand sonne l’heure de la vengeance.

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Ah,  ils fichent vraiment les jetons, ces gosses-là… Leurs regards haineux mettent mal à l’aise (surtout celui du petit gros, qui semble constamment prêt à vous sauter à la gorge…).
A les voir, on pense aux gamins possédés du Village des damnés ou aux enfants-tueurs dans Les révoltés de l’an 2000. C’est dire si ces cinq mutants impressionnent, même s’ils sont constitués de pixels et ressemblent à des personnages de jeu vidéo.

La référence n’est pas fortuite, puisque les producteurs, après avoir envisagé de tourner le film en animation traditionnelle, dessinée à la main, dans l’esprit du manga ou du comics américain (3), ils ont opté pour un film entièrement en images de synthèse et en motion capture, comme dans bon nombre de jeux vidéos.
D’ailleurs, le réalisateur, Antoine Charreyron a commencé sa carrière comme réalisateur de scènes cinématiques pour l’industrie du jeu vidéo, et la responsabilité artistique du projet a été confiée à Viktor Antonov, connu surtout pour son travail sur le jeu “Half-life” – une référence incontournable pour bon nombre de gamers – et qui a aussi participé au projet Renaissance, l’ambitieux film de SF français de Christian Volckman.

C’est également le cas d’Aton Soumache, le responsable de l’animation, et des scénaristes Alexandre de La Patellière…
Il faut dire que c’est la même société – Onyx films – qui a produit ces deux films très similaires dans leur approche du mélange SF/thriller, dans leur volonté de livrer de l’animation “adulte”, et dans leur finition en images de synthèse.

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D’un point de vue technique, The Prodigies est évidemment un peu plus avancé que son prédécesseur. La motion capture est un peu moins rudimentaire, les mouvements de caméra sont vertigineux – et pour une fois, le relief a son utilité dans la chose – et la reconstitution de New-York est particulièrement soignée.
De plus, Antonov a insisté pour que l’esthétique  du film s’inspire de l’art contemporain, et certaines toiles de Hopper notamment, pour donner une ambiance mi-réaliste mi-fantastique qui colle parfaitement au sujet.
Visuellement, c’est de la belle ouvrage. Rien à redire…

… de notre point de vue, en tout cas.
Oh, bien sûr, certains déploreront un graphisme et une animation rudimentaire, techniquement dépassés au regard de ce que font aujourd’hui Pixar ou Dreamworks animation. Mais l’équipe de The Prodigies ne dispose pas franchement du même budget – 10 fois moins qu’un Toy Story 3, par exemple… – et se moque de toute façon des petits détails.
L’important, c’est de développer un univers cohérent,  que les personnages soient crédibles et que l’on puisse être tout de suite entraîné dans l’ambiance du film. Et de ce point de vue, c’est parfaitement réussi.
Mieux, le côté “rudimentaire” du graphisme amplifie l’aspect inquiétant des personnages.

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Par ailleurs, l’ambiance sonore est également soignée. Le casting vocal, emmené par Mathieu Kassovitz (dont Charreyron fut le collaborateur sur Babylon A.D. – un gros navet, celui-là…) est convaincant et la musique, signée Klaus Badelt, accompagne à merveille les hausses de tensions du récit.

En fait, le seul reproche valable que l’on pourrait faire au film concernerait certains partis-pris scénaristiques et les libertés prises avec le matériau original.
Autant le dire tout de suite, nous n’avons pas lu le roman de Bernard Lenteric et nous sommes donc mal placés pour juger de la fidélité de cette adaptation cinématographique. Néanmoins, on comprend aisément qu’il a fallu moderniser l’intrigue (en 30 ans, la technologie a considérablement évolué) et trancher pas mal de scènes pour se plier au format de 90 mn et éviter les problèmes avec la censure. Il est fort probable, par exemple, que la psychologie des personnages était bien plus fouillée dans le roman que dans le film. Cela dit, pas besoin de longs discours pour admettre que  le viol de leur camarade est un motif suffisant pour enclencher leur colère et leur besoin de vengeance.

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Renseignements pris, plusieurs modifications ont été effectuées. Déjà, le nombre d’adolescents surdoués passe de sept dans le roman à cinq dans le film – sans doute pour des raisons de budget – et les personnages en question n’ont plus seulement une intelligence très supérieure à la normale, mais sont dotés de pouvoirs psychurgiques et télépathiques – qui, à l’écran, permettent un déroulement de l’action plus rapide.
Autres changements par rapport au bouquin : l’émission de téléréalité à laquelle les surdoués sont contraints de participer (dans le livre, ils étaient présentés comme des bêtes de foire – ce qui revient un peu au même, en pire…) et la fin, apparemment…
La relation entre Jimbo et Lisa, l’adolescente agressée, a également été expurgée d’une grande partie de son ambiguïté, afin de ne pas en rajouter une couche dans le sujet polémique.

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Il faut dire qu’un enfant maltraité et un viol montré sans détour, c’est déjà très audacieux pour un film de ce genre-là… Pas sur que les âmes sensibles supportent les scènes en question…
Mais ce n’est pas de la violence gratuite ou complaisante, ça non…
La violence, la colère, la peur sont au centre du récit, et concerne chaque personnage.
Jimbo a déjà donné libre cours à sa violence et cherche depuis lors à canaliser sa colère, mais il sent que ces pulsions bouillonnent encore en lui, et c’est sans doute là sa peur la plus profonde.
Sa compagne n’est pas violente, mais elle peut aussi avoir des réactions brutales sous l’effet de la peur. Notamment la peur de ne pas réellement connaître Jimbo, et de le voir sombrer dans la folie.
Quant aux enfants-rois, ils ne sont que colère, haine et rébellion, même si leurs motivations sont différentes : sentiment d’abandon, d’exclusion, jalousie ou dépit amoureux,

En tout cas, le film pose la question de la violence des enfants et des adolescents. Un thème on ne peut plus d’actualité, à une époque où des lycéens pètent les plombs et zigouillent leurs camarades de classe, où des écoliers se suicident ou jouent à des jeux dangereux. A une époque, aussi, où les plus jeunes sont exposés à des images violentes, dans les média ou les jeux vidéos…

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Il est clair que The Prodigies va diviser, les fans du roman original comme les cinéphiles, et tant sur le plan de la technique que de la narration ou des thèmes abordés.
Pour nous, en tout cas, il s’agit d’une très bonne surprise qui, malgré quelques défauts très mineurs, confirme l’émergence d’une forme de cinéma d’animation destiné aux adultes et reposant sur des histoires fortes.
On n’ira pas jusqu’à dire que c’est “prodigieux” – ce serait un mauvais jeu de mot et ce n’est pas le genre de la maison, euh… – mais on a quand même pris une belle petite claque sur ce coup-là, et on recommande donc chaudement ce film…
… à un public averti et peu sensible.

(1) : “La Nuit des enfants rois” de Bernard Lenteric – éd. Le Livre de Poche
(2) : Le film est d’ailleurs interdit aux moins de douze ans…
(3) : Des designers de chez Marvel ont été engagés pour dessiner les personnages (Humberto Ramos & Francisco Herrera)

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The ProdigiesThe Prodigies
The Prodigies

Réalisateur : Antoine Charreyron
Avec les voix de : Mathieu Kassovitz, Féodor Atkine, Claire Guyot, Thomas Sagols
Origine : France, Royaume-Uni, Belgique, Canada
Genre : Les enfants sont formidââbles…
Durée : 1h27
Date de sortie France : 07/06/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Rob Gordon

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