– Interview de Florent Maudoux (Freaks Squeele) –

Le festival Quai des Bulles fut une jolie occasion de se retrouver entre passionnés de bande dessinée, d’assister à de belles expositions autour du neuvième art, mais aussi de rencontrer des auteurs dans d’agréables conditions, et discuter tranquillement avec eux sur fond de mer et de ciel bleu.

L’auteur du jour sera Florent Maudoux, l’auteur de Freaks Squeele (click), l’un des meilleurs divertissements bédégraphiques du moment, où seule la qualité – tant scénaristique que graphique – égale le plaisir de lecture qu’il procure.

PaKa : Dans ton style graphique, on retrouve un habile mélange de franco-belge, de manga, et de comics ; quelles sont tes influences en matière de BD ?

Florent Maudoux : Mes premières BD, ça date des Picsou Magazine, Super-Picsou Géant, ensuite, je dévorais toutes les BD qui étaient « interdites », les fumetti, tout ce qui me passait entre les mains…
J’en ai beaucoup beaucoup lu, c’est vraiment un médium sur lequel j’avais une facilité : j’adorais les lire, et assez rapidement, j’ai été fasciné !
A un moment donné, on m’ a aussi filé tout une collection de vieux comics Marvel, à l’époque où les X-Men se battaient avec des costumes super-moches, genre bien bleu et jaune, et puis le costume de cyclope avec cette espèce de cagoule abominable… bref, je les ai dévoré aussi !
Et après ça, au moment de mon adolescence, les mangas sont arrivés, et là, il s’es passé quelque chose, quoi ! Akira, c’était énorme ! Et puis c’était un format qui me plaisait… C’est comme ça que j’ai commencé à dessiner mes propres BD, d’ailleurs : des trucs de 20 à 50 pages, des fois complétement foireux, mais dans lesquels tu retrouverais déjà quelques éléments de Freaks… le fait que se passe dans un univers scolaire, le côté un peu fantastique, tout ça…
Ensuite, je me suis plutôt penché du coté des BD de Métal Hurlant. J’ai eu ma période Moebius, tout ça…
Et aujourd’hui, je lis de tout ! D’où les influences très très mélangées…

Pk. : Oui, beaucoup de choses différentes ! Et toi, comment y es-tu venu ? Surtout avec un premier bouquin si abouti ?

FM : Bah, si ça te parait si abouti c’est peut-être parce que j’ai fait beaucoup de BD en amateur quand j’étais gamin : vers 12, 13 ans, j’ai commencé à en faire pour mes potes, mes parents, les amis de mes parents… donc j’ai pu pas mal confronter mon style de narration à un lectorat.
Ensuite, j’ai fait une école d’animation, et l’anim’ et la BD, c’est des média qui sont assez cousins : les codes sont pas tout à fait les mêmes, mais en grugeant un peu tu peux adapter les codes du cinéma à la bédé, grâce au découpage, notamment.
Je suis aussi venu à la BD grâce à ma compagne : à l’époque j’étais illustrateur, elle sentait bien que ça ne me suffisait plus, et comme elle aimait bien les p’tite BD que je faisais dans mon coin, elle m’a encouragé à m’y lancer vraiment. Du coup, j’ai dessiné 200 pages de story-board assez poussées pour que ce soit lisible, et je l’ai fait tourner autour de moi. J’étais0 revenu à mes fondamentaux comme quand j’étais ado’ : faire lire mon truc à plein de monde, et voir que ça fonctionnait bien, qu’il y avait un truc qui se passait !
Et puis je pense que ça ma réappris à faire de la BD, histoire de me dérouiller un peu avant de me lancer dans un premier album.

Pk. : Tu as présenté ton story-Board directement à Run [directeur de la collection où parait Freaks’Squeele, NDLR] ?

FM : En,2005, 2006, j’avais envoyé mon projet à des maisons spécialisées dans le manga, mais j’avais reçu un accueil un peu froid. Pendant un moment, j’ai même bossé un peu pour Dupuis, mais ils avaient une approche un peu trop franco-belge, et ça marchait pas trop non plus, du coup j’pensais que mon projet était mort…
Et puis, je tombe sur Mutafukaz et Maliki, deux trucs pas mal différents, mais entre lesquels je sentais que j’avais bien ma place, pile au milieu. Donc, j’envoie mon truc à Ankama, à tout hasard, et direct, j’ai Tot au bout du fil qui me dit : « Florent, ton projet, il m’fait bander, faut qu’on s’voit ! »
Là, j’ai rencontré Tot et Run, on a vu qu’on avait plein de trucs en commun, et voilà : c’était parti !

Pk. : Et à quel rythme ! Un album par an, 150 pages par album… la folie !

FM : J’essaye de m’y tenir, mais je dois dire que c’est de plus en plus difficile : en gros, je sors une page par jour, 5 jours par semaine, mais ça fait des longues journées. Surtout qu’au début, je faisais que du noir et blanc, mais comme j’ai réalisé qu’avec une demi-heure de travail en plus je pouvais passer à la couleur, je me suis mis à recoloriser tout ce que j’avais déjà fait !

Pk. : Ce rythme effréné, on le retrouve aussi à l’intérieur des albums : les répliques fusent dans tous les sens, l’action est omniprésente… et pourtant, dans le cinquième tome, on ressent une sorte d’assagissement, d’apaisement. Un moment de calme avant la tempête, ou le besoin de se recentrer un peu sur les personnages principaux ?

FM : C’est exactement ça : se recentrer sur les personnages. Dans ce tome, on apprend beaucoup sur eux, sur la fac elle-même ; c’est un moment de respiration que je voulais imposer sur le rythme de l’histoire, parce que justement, j’avais prévu le 4 sur quelque chose de complétement explosif, très film d’action années 80…

Pk. : La poursuite en pédalo, grand moment !

FM : Ah ça, pour moi, c’est clairement l’héritage des vieux dessin-animés que faisait Miyazaki quand on était gosses, tu vois ? Les Sherlock Holmes, où ça partait à toutes berzingues, et ça se finissait à vélo, en vieilles voiture, en avion…
Le tome 4, c’est un peu dans cet esprit-là, ou celui d’un gros gros film d’action !
Alors le 5, je le voulais vraiment dans cet autre esprit : parce que si j’étais parti sur de l’action, les gens aurait pu dire qu’il y avait une surenchère et en attendre encore plus, ou au contraire, se dire que là, l’action elle est moins bien que dans le 3 et dans le 4.
J’avais aussi envie de revenir au coté un peu plus intimiste du 3 pour faire un tremplin sur le 6 et le 7, qui cloraient l’arc scénaristique des études dans une apocalypse totale !

Pk : Le tome 7 sera donc une fin de cycle ?

FM : Oui, oui. On pourra ensuite suivre les personnages sur d’autres choses, mais pour l’instant je le vise en 7 tomes. Le 6 est écrit, j’en suis déjà à 55 pages, et pour l’écrire, il fallait que j’aie déjà le tome 7 en tête pour savoir exactement où j’allais.

Pk. : En parallèle de la série principale, tu avais annoncé travailler en collaboration avec d’autres dessinateurs sur des spin-off concernant les origines de Funérailles et la jeunesse de Xiong Mao. C’est toujours d’actualité ?

FM : Oui, ça reste d’actualité, par contre Funérailles, je le fais moi-même. Au départ, je devais le faire avec un autre dessinateur, mais il était pas trop dispo’ et au final j’me suis dis : « allez, c’est mon bébé, c’est moi qui le fais ! »

Pk. : Tu t’y mettras à la suite de Freaks ou tu gères les deux projets en parallèle ?

FM : En ce moment, je travaille sur Funérailles, et Freaks, je l’ai mis un peu en pause, comme ça, ça me permet de revenir dessus un peu plus frais après…
Avec Funérailles, je change d’univers : c’est beaucoup plus sombre. Au début, je prévoyais de faire un aparté sur sa jeunesse dans Freaks, mais ça c’est pas très bien goupillé parce que Freaks c’est un univers qui est bien trop shinny par rapport à tout ce que je voulais raconter.
Là, on revient complètement sur les origines de Funérailles, on voit comment lui et Scipio sont arrivés là où ils sont dans Freaks.
En fait, ça parle des mêmes thèmes, mais dans un contexte complètement différent et ancien, tu vois ? Le titre de la série, ce sera Fortunate Son, et c’est pas un hasard : c’est une chanson sur la guerre du Vietnam, et je voulais ce coté un peu survivor. Dans Freaks, on voit comment les jeunes peuvent faire pour se démarquer dans un monde qui est à la fois en paix et un peu décadent, en crise, alors que dans Funérailles, c’est dans le monde d’avant, qui était en guerre, un monde à la fois hostile et qui va se finir…

 

Pk. : Ce sera un One Shot ?

FM : Oh non, une série ! Une grosse série, même. J’ai trop d’éléments dans Funérailles
Au début, je voulais faire genre une trilogie, et puis au fur et à mesure, j’ai réalisé qu’il me faudrait beaucoup plus. En fait, ça parle la gémellité, et c’est un sujet qui est vraiment énorme, parce que finalement, qu’est-ce qui démarque un vrai jumeau d’un autre ? Des fois, c’est un élément de la vie, c’est un hasard… Dans Funérailles, ça parle de ça, et finalement, je me suis amusé sur tout ce qu’on peut trouver d’appareillé dans le monde dans lequel on vit : l’ADN et sa double-hélice, les deux serpents du caducée…. Et puis rien que le lieu où ça se passe : Rem, c’est une cité qui est le pendant de Rome, construite par des jumeaux ! Et puis c’est aussi un petit jeu de mot avec REM, Rapid Eye Movement, qui symbolise le rêve…
Et puis, c’est un projet qui me tenait à cœur parce que quand j’ai écrit Freaks, Funérailles, je le voyais un peu comme mon Dark Vador !

Pk. : Et pour Rouge ?

FM : Rouge, c’est dessiné par Surya, je l’ai écrit pour lui. C’est très différent de ce qu’il y a dans Freaks ou Funérailles, mais Surya y imprime un rythme et une narration qui sont très différents des miens. C’est en voyant ça que j’ai eu envie de travailler avec lui : avec son style un peu fragile, sensible, je le trouvais parfait pour raconter la jeunesse de Xiong Mao, jeune et pleine de doutes…

PK : A tout ça, on peut aussi ajouter tes participations à Doggy Bags, qui sont encore une autre extension de ton univers.

FM : Oui, mais justement, c’est ça qui m’amuse ! A l’origine, Run me demande si je voudrais pas participer à Doggy Bags. Je lui di pas de problème, mais j’ai envie de dessiner des filles sexys, parce que pour moi, c’est vraiment un aspect de ce principe d’exploitation, dans les vieux films de Ross Mayer, les films un peu interdits que je regardais quand j’étais petit… Ce coté un peu années 80, où y avait des gros mots et des belles nénettes, tu vois ?!
Donc, je réfléchis sur ça, et je me dis que ça pourrait marcher avec la mère de Xiong Mao, ça. Et puis j’vois un massicot, le truc pour couper les feuilles, et je me dis ça sonne pas trop mal, ça comme nom… Et puis, petit à petit, tous les éléments ce sont mis bout à bout, et au final, ça se rejoint bien et ça rajoute encore à mon univers.
En fait, j’ai créé cet univers super-large et le plus vaste possible afin de jamais m’ennuyer, et c’est vraiment là dedans que je m’éclate, donc pour l’instant j’me vois pas trop faire d’autre choses…

PK : Un p’tit dessin-animé, peut-être, pour compléter encore le trip ?

FM : Ah ça, c’est pas l’envie qui manque ! On avait même un peu travaillé le truc avec des japonais, déjà, mais c’était un peu délicat avec le studio, on a avait pas rencontré les bonnes personnes… Donc l’envie est toujours là, mais ça reste très dormant.
Par contre, on a un jeu vidéo qui sortira en début d’année prochaine, un petit jeu vidéo i-phone, androïd, toutes ces plates formes… Ca, ça s’est monté quasiment en un mois : on a trouvé un producteur, on a bossé dessus, on l’a montré à Ankama, et ça sort dans la foulée…
Mais le dessin-animé, c’est beaucoup plus compliqué, parce que c’est pas 500000 euros qu’il faut pour faire un dessin-animé, c’est des millions. Même pour faire une série pour la télé.
C’est pour ça que je préfère partir sur un petit jeu vidéo modeste, creuser mon trou avec, ensuite éventuellement lancer un autre projet de jeu vidéo, continuer la BD, continuer le dessin, les séries dérivées, faire grandit l’univers, et ensuite quand on aura la puissance de frappe et les ressources, on pourra commencer à viser le top du top… et pourquoi pas se lancer carrément dans un long métrage ?!
Parce que, après tout, c’est vrai que le film long métrage, c’est quand même un espèce de St Graal…!

Pk. : Hé bien, encore une fois bravo pour cet univers tentaculaire et hallucinant que tu es en train de créer, et un grand merci pour ce précieux temps que tu m’as accordé.

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