On imaginait mal John Cameron Mitchell, l’auteur des déjantés Hedwig & the angry inch et Shortbus, capable d’un film aussi sobre, épuré, que Rabbit Hole. Et aussi douloureux et funèbre…

Ses deux premiers films étaient irrigués par une énergie communicative, une impressionnante force vitale, un “trop plein” d’images, de sons et de sensations… Son nouveau long-métrage traite d’une absence insoutenable et d’un deuil impossible, de l’enfer “ordinaire” vécu par un couple après la mort accidentelle de leur fils unique, âgé de quatre ans. Le cinéaste y décrit un univers – la maison familiale – qui se retrouve soudain en proie au vide et au silence, comme si la vie qui y régnait encore huit mois auparavant avait été aspirée, ne laissant derrière elle qu’une bâtisse désespérément calme et une ambiance mortuaire. Les rires d’enfant, les aboiements du chien, les discussions des amis dans le jardin ont cédé place à un silence de plomb. Les dessins enfantins aux couleurs vives qui ornaient les murs ont été enlevés, laissant le blanc et des couleurs ternes envahir l’espace.

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Becca (Nicole Kidman)  et Howie (Aaron Eckhart) ont beau faire des efforts pour donner, en public, l’impression qu’ils surmontent cette cruelle épreuve – cela fait huit mois, après tout… – personne n’est dupe. Ils sont encore sous le choc, dévastés, anéantis, incapables de supporter le bonheur des autres ou de les voir poser sur eux des regards plein de compassion… Ils évitent au maximum de rencontrer leurs amis, à plus forte raison ceux qui ont des enfants, et rejettent les conseils de proches qui ne cherchent pourtant qu’à les aider.

Mais comment pourraient-ils supporter les autres, le monde extérieur, alors qu’ils ne sont même plus capables de communiquer normalement au sein de leur couple ? Oh, ils ne se haïssent pas, ne se rejettent pas mutuellement la responsabilité de la mort de leur enfant, comme le font certains couples après une telle tragédie. Ils savent que c’était un accident, qu’ils n’y sont pour rien… Cependant, ils ne sont plus sur la même longueur d’onde. Chacun rumine son chagrin dans son coin, tentant de faire le deuil à sa façon.

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Lui s’accroche désespérément aux objets qui lui rappellent son fils. Un rehausseur dans la voiture, un dessin, ou la dernière vidéo qu’il a pris de lui, qu’il se passe en boucle.
Elle essaie au contraire de faire le vide, d’ôter de sa vue tout ce qui peut évoquer son enfant. Elle ne peut plus supporter de rester seule dans cette grande maison vide où chaque pièce, chaque objet, la ramène à ce fils décédé et à la douleur de sa perte. Elle aimerait gommer ce drame pour tout recommencer à zéro. Mais c’est évidemment impossible…
Becca est au bord du gouffre. Elle se replie totalement sur elle-même, hostile aux autres, blessante et rude parfois.

On a l’impression que Howie parvient à mieux faire face au drame. Il semble plus ouvert aux autres, plus apaisé. Il fait des efforts pour que son épouse sorte de sa torpeur, pour relancer son couple en perdition… On le croit fort.
Evidemment, ce n’est qu’une façade. Cet homme est lui aussi complètement dévasté de chagrin et tente aussi, vaille que vaille, de redonner un sens à sa vie…

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La grande force du film vient justement de ces fêlures qui menacent de briser les deux personnages, des liens de plus en plus fragiles qui les unissent et qui menacent de se rompre à jamais sous le poids de ce deuil impossible.
Puisque John Cameron Mitchell a opté pour une mise en scène d’une simplicité exemplaire, sans artifices, les acteurs se retrouvent en première ligne, avec la lourde charge de faire naître l’émotion chez le spectateur. Et ils assurent cette mission avec un talent qui force le respect.
Il convient de saluer la performance d’Aaron Eckhart, qui dégage une impression de solidité, de maturité, une grande force morale, et est également capable, par son jeu, de dévoiler peu à peu la douleur et la colère contenues de son personnage.

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Et on ne peut qu’applaudir au grand retour de Nicole Kidman, qui, après avoir compris que le botox est une vraie cochonnerie, semble avoir enfin retrouvé un visage plus expressif. Elle en a profité pour livrer une de ses plus belles prestations. Via des regards intenses, des petits tremblements du visage, elle communique tout le désarroi qui traverse son personnage, femme en colère contre les autres, contre elle-même, contre cette injustice, cette aberration qu’est la mort d’un enfant… Un rôle majeur qui lui a valu une nouvelle nomination à l’oscar de la meilleure actrice, en février dernier.

A ces performances, il convient aussi d’ajouter celles des personnages secondaires, qui vont jouer un rôle crucial dans l’avancée du travail de deuil de Becca et Howie, et oeuvrer, sans en avoir conscience, pour le rapprochement du couple :
Sandra Oh, touchante en femme marquée, elle-aussi, par la perte d’un enfant, huit ans auparavant, et par l’explosion de son couple ; Diane Wiest, émouvante en mère de famille désemparée face au chagrin et la colère de sa fille ; Miles Teller en jeune homme timide et secret, brisé par le drame qu’il a provoqué…

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Il ne manque pas grand chose à Rabbit Hole pour être un grand film. Peut-être une pointe d’émotion supplémentaire ou un peu plus d’audace dans la mise en scène…
Cela dit, les choix de John Cameron Mitchell se défendent. Une réalisation plus ostentatoire, plus mélodramatique aurait certainement eu un effet tire-larmes plus conséquent, mais aurait aussi plombé le film, en le faisant se vautrer dans le pathos et les grosses ficelles scénaristiques…
Rabit Hole n’est pas un film facile. Il se mérite et doit s’apprivoiser. Il faut accepter son rythme lancinant et chercher la force de l’oeuvre là où elle se trouve, dans les interstices, dans la marge, dans les non-dits et les silences pesants…
Et dans le glacial constat final : on ne peut pas se remettre de la perte d’un enfant. La douleur est là et ne peut pas partir, l’absence est un poids avec lequel il faut apprendre à vivre… Alors, il faut continuer à avancer, pas à pas, et cacher le chagrin derrière l’illusion d’une vie ordinaire, même si rien ne pourra plus être comme avant… Bouleversant…

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Rabbit hole Rabbit Hole
Rabbit Hole

Réalisateur : John Cameron Mitchell
Avec : Nicole Kidman, Aaron Eckhart, Diane Wiest, Miles Teller, Sandra Oh, Tammy Blanchard
Origine : Etats-Unis
Genre : film funèbre pour deuil impossible
Durée : 1h32
Date de sortie France : 13/04/2011
Note pour ce film : ●●●●●

contrepoint critique chez :  Metro

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