En 2011, un film noir atypique, originaire du plat pays, a constitué l’une des sensations de l’année cinématographique. Sélectionné à la Berlinale, Bullhead a ensuite été montré dans de nombreux festivals, où il a produit son petit effet. Primé au FanTasia de Montréal, au festival du film policier de Beaune, ou au festival de Saint-Jean de Luz, il a ensuite été représenté la Belgique à l’Oscar du Meilleur Film en langue étrangère. Une exposition qui a définitivement fait connaître l’acteur Matthias Schoenaerts et le réalisateur, Michaël R. Roskam. Le profil de ce dernier, capable de transcender un genre et de livrer un film abouti et très personnel avec un faible budget, a fortement intéressé les producteurs indépendants américains.

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C’est ainsi que le cinéaste belge s’est vu proposer la réalisation de Quand vient la nuit, un film de commande, adapté d’une nouvelle de Dennis Lehane (1). Une offre qu’il a bien évidemment acceptée. Quand on vous propose de travailler sur un script signé par l’auteur de Shutter Island, Mystic River ou Gone baby gone, difficile de refuser. Mais la tâche est loin d’être aussi aisée qu’il n’y paraît.

Premier problème, le texte originel est court, très court et l’intrigue est des plus classiques.
Tout tourne autour d’un bar de nuit, dans les bas-fonds de Brooklyn. Comme la plupart des établissements du coin, il est utilisé par la pègre pour blanchir de l’argent. Mais il sert aussi de coffre-fort où sont déposées toutes les mises des paris clandestins gérés par les truands. Le soir du Superbowl, le bar s’apprête à recevoir l’intégralité des paris liés à cet évènement sportif. Des sommes colossales qui vont évidemment attiser la convoitise… Pas de surprise, on se doute bien que le bar va être braqué, le soir en question et le scénario fait monter la tension autour de cet enjeu dramatique.
Mais le coeur du récit est ailleurs, focalisé sur le personnage du barman, Bob, qui tient le comptoir la nuit et aide son cousin, Marv  à s’occuper des affaires courantes le jour. Une nuit, alors qu’il s’apprête à rentrer chez lui, Bob trouve un pitbull laissé pour mort dans une poubelle du voisinage et décide de l’adopter. Le même soir, il fait la connaissance de la belle Nadia et se met pour la première fois à envisager une autre vie que son existence solitaire et taciturne. Mais Eric, un type patibulaire qui se trouve être à la fois le propriétaire du chien abandonné et l’ex-boyfriend de Nadia, ne semble pas l’entendre de cette oreille. Là aussi, la tension monte, d’autant que le bonhomme est soupçonné d’avoir tué un client du bar, quelques temps auparavant…

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Roskam doit se débrouiller pour tenir en haleine le spectateur avec ces deux arcs narratifs dans lesquels, il faut bien le dire, il ne se passe pas grand chose de spectaculaire, hormis deux coups de théâtre que nous ne révèlerons pas, de peur d’être coulé dans le béton par un nervi de la mafia newyorkaise. Tout passe donc par la mise en place d’une ambiance poisseuse, digne des meilleurs romans noirs américains. Et à ce petit jeu-là, le cinéaste sait y faire. Il maîtrise les codes du genre et connaît ses classiques, notamment les oeuvres de Sidney Lumet et de James Gray. Bien aidé par son chef-opérateur,  Nicolas Karakatsanis, Roskam restitue l’ambiance particulière de Brooklyn et crée une succession de tableaux où l’ombre et la lumière s’affrontent constamment, prémisses des affrontements à venir ou allégorie des psychés tourmentées des personnages. Rien à redire, c’est du bon travail.

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Le second problème auquel est confronté Roskam est, justement, de trouver les acteurs qui pourront incarner les personnages et de réussir à exploiter au mieux leur jeu d’acteur. Pour incarner l’inquiétant Eric, il a choisi de faire une nouvelle fois confiance à Matthias Schonaerts. Sans surprise, ce dernier est très convaincant dans la peau de cet homme massif, voyou imprévisible et violent. Pour jouer Marv, le gérant du bar,  Roskam a fait appel à James Gandolfini. Bonne pioche! Avec sa carrure imposante et son air désabusé, l’acteur (2) campe parfaitement ce loser magnifique, courant en vain après sa gloire passée.
Même inspiration concernant l’acteur principal, chargé d’incarner le mystérieux et discret Bob. Le cinéaste a opté pour l’excellent Tom Hardy qui, comme a son habitude, se fond dans le personnage avec une facilité déconcertante. Si le film fonctionne, il le doit beaucoup à la performance subtile de Hardy.
Petit bémol, en revanche, concernant le rôle féminin. Non pas que Noomi Rapace, qui incarne Nadia, soit mauvaise actrice. Mais le rôle est un peu moins complexe que celui de ses homologues masculins et Roskam n’arrive pas à la mettre suffisamment en valeur. Un petit défaut déjà perceptible dans  Bullhead, où l’on pouvait noter un déséquilibre certain entre le personnage joué par Schoenaerts et celui joué par Jeanne Dandoy.

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Troisième problème, et non des moindres : réussir à transcender l’intrigue par le biais de la mise en scène. Là, on reste un peu sur notre faim. On respecte le parti-pris de privilégier une mise en scène sobre, effacée, mais on aurait quand même aimé quelques mouvements de caméra plus ambitieux. Un plan-séquence pour décrire le braquage à la fin du film, par exemple. Ou des angles de prise de vue différents, pour dynamiser un peu la narration.
Là, on ne retrouve pas le style original et inspiré qui portait Bullhead, et il en découle une certaine frustration.

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Certains ne pardonneront sans doute pas ce manque d’audace. Mais force est de constater que le contrat est malgré tout bien rempli. A l’écran, on retrouve bien le style et les thématiques de Dennis Lehane. Le cinéaste réussit à raconter son histoire à l’aide d’une mise en scène sobre, efficace, en faisant surtout confiance à ses acteurs principaux, Tom Hardy en tête, et en s’attachant à créer une ambiance singulière, propice au film noir. Quand vient la nuit est un film de facture très classique qui ravira bon nombre d’amateurs de polars. En tout cas, il confirme tout le bien que l’on pensait de Michaël R. Roskam. Pour un film de commande, une première expérience sur le sol américain, en langue anglaise, le résultat est tout sauf honteux.

(1) : “Sauve qui peut” de Dennis Lehane, réédité chez Rivages/Thriller sous le titre “Quand vient la nuit”
(2) : James Gandolfini est mort l’an passé, juste après le tournage de ce film, qui lui est dédié. 

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the dropQuand vient la nuit
The Drop

Réalisateur : Michaël R. Roskam
Avec : Tom Hardy, James Gandolfini, Noomi Rapace, Matthias Schoenaerts, John Ortiz, Elizabeth Rodriguez
Origine : Etats-Unis
Genre : polar classique mais efficace
Durée : 1h47
date de sortie France : 12/11/2014
Note :
Contrepoint critique : Télérama

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