Pathétique au football, ridicule au rugby, laborieuse au volley-ball, l’équipe de France a encore une petite chance de s’illustrer dans les compétitions de… puzzle.
Le principe est simple : des binômes tentent d’assembler des puzzles plus ou moins complexes, et les plus rapides remportent le match…
Comment ça, ça n’existe pas ? Bien sûr que si ! La preuve avec Puzzle, de la jeune réalisatrice argentine Natalia Smirnoff.

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Ce premier film raconte comment Maria Del Carmen, femme au foyer à l’existence bien rangée, voit sa vie bouleversée par le puzzle que des proches lui ont offert pour son anniversaire. Elle se découvre une vraie passion pour ce jeu, et même un véritable don pour assembler des modèles compliqués. Suite à sa rencontre avec Roberto, un autre joueur acharné, elle décide de lui servir de partenaire pour un tournoi local, sésame pour d’autres compétitions internationales, et part fréquemment s’entraîner avec lui, en cachette de son mari et de ses enfants…
Suspense : Maria et Roberto vont-ils remporter la coupe? Et, de façon annexe, vont-ils céder à cette attirance qu’ils éprouvent l’un pour l’autre ?

A ce point de la critique, vous vous dites sûrement qu’un film d’une heure et demie sur une ménagère de tout juste cinquante ans qui, quand elle ne s’occupe pas des courses, de la popote et des états d’âme de sa petite famille, assemble des petites pièces de puzzle, ça ne doit pas être très passionnant…
Eh bien, vous avez tort ! Oh, bien sûr, Puzzle n’est pas vraiment un film d’action, mais il est déjà bien plus intéressant à suivre que Joueuse, à la trame très similaire, dans lequel Sandrine Bonnaire incarnait une femme de ménage devenant une reine des échecs.    

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Principal point fort de cette chronique délicate, la performance de Maria Onetto, actrice dont on avait déjà pu constater le talent dans La femme sans tête de Lucrecia Martel. Grâce à elle et à son jeu subtil, communiquant parfaitement les émotions parfois contraires qui agitent son personnage, on croit à cette histoire, à la métamorphose de cette femme qui, entamant une nouvelle période de sa vie, se découvre enfin une passion et cherche à lui faire une place entre ses devoirs de mère et d’épouse.

Car, à travers le parcours de Maria, Natalia Smirnoff traite de la question de l’émancipation des femmes en Amérique du Sud. En Argentine et dans les pays voisins, elles sont trop nombreuses à ne pas travailler, à ne pas avoir leur indépendance. Elevées dans une conception patriarcale – et un brin macho – de la société, elles sont souvent cantonnées à des rôles de femmes au foyer, chargées d’assurer seules les tâches domestiques et l’éducation des enfants.
Vers cinquante ans, beaucoup sont soudain abandonnées par leurs conjoints et, n’ayant jamais travaillé ni connu la solitude, elles se retrouvent un peu perdues…

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Maria ne semble pas vraiment malheureuse auprès de son mari, mais plusieurs séquences du film montrent que sa situation n’est pas toujours très confortable. Son mari et ses fils la prennent souvent de haut, faisant peu de cas de ses opinions, la considèrent un peu comme leur domestique, lui faisant des reproches quand elle oublie un article en courses ou qu’elle rentre un peu trop tard le soir. Elle est enfermée – et s’enferme d’elle-même – dans cette fonction de femme au foyer, dans un état proche de la soumission, du dévouement aveugle… Et elle n’est même pas à l’abri de certaines déconvenues, à voir son mari flirter ouvertement avec une autre femme, plus jeune…  

La découverte de sa passion pour le puzzle va lui permettre de s’ouvrir à d’autres horizons. D’autres personnes et d’autres classes sociales. Roberto est un homme raffiné, cultivé, qui lui offre généreusement de vieux puzzles de sa collection, lui prête des livres, lui donne à boire du champagne, lui laisse miroiter des voyages à travers le monde, en Europe et ailleurs… Evidemment, Maria, qui vient d’un milieu plus modeste, est sous le charme…

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Cependant, son émancipation ne viendra pas de tout ceci – c’est bien connu, l’argent ne fait pas le bonheur… – mais de la prise de conscience qu’elle est libre de choisir sa propre existence, qu’elle a toujours l’opportunité de changer de cap, de faire d’autres choses, qu’elle a les capacités de prendre en main sa propre destinée… 

Puzzle est le récit de cette prise de conscience progressive, assez lente et par petites étapes, comme on assemble les pièces d’un puzzle. 
La mise en scène de Natalia Smirnoff accompagne le mouvement, se calque sur le tempérament du personnage et le jeu de Maria Onetto : d’apparence très sage, calme, posé, mais abritant en son coeur un feu ardent…
Elle joue habilement sur tout ce qui se passe hors champ, sur les non-dits, les pièces manquantes, pour que le spectateur éprouve aussi le plaisir ludique de compléter les trous de l’histoire… 
Evidemment, ce n’est pas aussi spectaculaire et divertissant qu’un match de football (un bon, du moins…), mais c’est nettement plus subtil et enrichissant, qu’on se le dise…  
Alors profitez-en, la fête du cinéma dure jusqu’au 2 juillet…

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Rompecabezas

Réalisatrice : Natalia Smirnoff
Avec : Maria Onetto, Gabriel Goity, Arturo Goetz, Julian Doregger, Felipe Villanueva
Origine : Argentine
Genre : portrait de femme façon puzzle
Durée : 1h28
Date de sortie France : 23/06/2010

Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Critikat
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

2 COMMENTS

  1. félicitations aux acteurs et au metteur en scène
    film subtil avec peu de dialogue,mais qui traduit merveilleusement les sentiments.

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