Chrys, Iris, Nadine, Nora, Sue Ellen, Baloo, Bamako, Fred, Gabriel, Mathieu,…
Ces femmes et ces hommes partagent la même vie, faite d’interrogatoires, de procès verbaux, de rapports écrits, de filatures, d’enquêtes de terrain, de traque de criminels et d’arrestations musclées : ils sont flics.
Pour son nouveau film, Maïwenn a choisi de s’immerger dans le quotidien d’une brigade de policiers, de suivre les différentes phases de leur travail sur le terrain ou au poste de police. Pardon : de Polisse, comme l’indique le titre du film.
 
Cette faute d’orthographe très enfantine dévoile l’univers particulier dans lequel évoluent les personnages. Ils appartiennent tous à la BPM ou Brigade de Protection des Mineurs, spécialisée dans les affaires de moeurs impliquant des enfants ou des adolescents. Parfois, leur travail se borne à sermonner des jeunes livrés à eux-mêmes et agissant de manière irresponsable. Mais souvent, les dossiers à traiter sont plus lourds, plus complexes à gérer.  “Pédophilie”, “inceste”, “enfance maltraitée” sont des mots qu’ils utilisent très fréquemment, trop fréquemment, au cours de leurs journées de travail.

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Leur mission est délicate. Ils doivent être capables de faire preuve d’autorité, de hausser le ton face à des ados rebelles ou des suspects agités et menaçants. Et dans le même temps, ils doivent rester très calmes, très doux et pédagogues avec les jeunes victimes. Leur expliquer que si leurs parents vont en prison, c’est à cause des abus qu’ils ont commis et pas à cause d’eux. Les rassurer, les apaiser, et trouver des solutions pour qu’ils puissent continuer à grandir dans de meilleures conditions.
Ils ont l’obligation d’être proches des enfants, mais aussi de rester à bonne distance, afin de ne pas trop s’attacher à eux, de déceler d’éventuelles affabulations de leur part, et, d’une manière générale, de ne pas se laisser guider par l’affect. Pas toujours évident…
Pas évident, non plus, de garder son sang-froid quand les personnes en garde à vue font preuve d’une mauvaise foi évidente ou pire, réussissent à échapper à la justice en faisant intervenir des appuis en haut-lieu, malgré l’ignominie de leurs actes.
Ils doivent prendre sur eux, encaisser les coups durs, absorber la misère et la détresse humaine des victimes qu’ils croisent chaque jour. La seule façon qu’ils ont de gérer tout cela, hormis l’humour, qui fait souvent office de soupape de sécurité,  est de se retrouver ensemble après le travail, pour évacuer tout cela en allant boire un verre – ou plus – ou en allant se défouler sur les pistes de danse. Ils ont du mal à parler de leurs journées avec leurs proches, car ils n’ont pas envie de les mêler à toute cette horreur. Mais en même temps, leur vie privée est souvent affectée par leur travail, par les horaires aléatoires, par les sautes d’humeurs liées au manque de sommeil, au stress, à l’agressivité rencontrée, au sentiment d’impuissance qui les envahit parfois…
Non, ce n’est pas un métier facile…

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Pour donner une vision assez exhaustive des problèmes rencontrés au quotidien par ces policiers, restituer l’ambiance et la vie de la brigade, montrer à quel point ce métier est dévorant, Maïwenn a choisi la forme narrative du film-choral. Exercice sacrément casse-gueule, car il suffit que l’une des histoire développées soit un peu plus faible, qu’un personnage soit moins bien loti qu’un autre pour que tout l’édifice s’écroule.
Ce n’est pas le cas ici…

D’emblée, on s’attache à ces personnages, tous différents et un brin stéréotypés : le dur au coeur tendre, le chef rebelle, l’intello, la bonne copine, la dépressive en pleine crise de couple…
Des poncifs, d’accord, mais nécessaires. Pour permettre, d’une part, de montrer la diversité de caractères, de personnalités, d’opinions derrière le terme restrictif, voire méprisant, de “flic”, et d’autre part,  de faciliter la narration en permettant au spectateur d’identifier clairement chaque personnage.
Des poncifs que Maïwenn sait aussi nuancer avec intelligence et finesse. Tous ses protagonistes sont plus complexes qu’ils ne le paraissent derrière les étiquettes qu’on leur a attribuées. Et chacun est traité avec le même respect, le même soin.

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Quand on a l’impression qu’un protagoniste est un peu délaissé par rapport aux autres, vlan!, il a droit à une scène magistrale où il est mis en valeur. On ne compte pas les morceaux de bravoure qui émaillent le film : les coups de gueule homériques, les scènes de beuveries, les moments d’émotion, les fous rires devant l’absurdité des situations. Ah! cette mère de famille qui affirme que si son petit garçon de deux ans pleure tout le temps, c’est parce qu’elle a “arrêté de le branler le soir pour l’endormir” ou cette ado qui a effectué sans broncher des fellations à de jeunes voyous pour récupérer son téléphone, comme si c’était normal – “oui mais c’était un beau téléphone quand même..". Edifiant, mais bien réel…

Oui, réel… Comme le personnage qu’elle incarne dans le film, une photographe effectuant un reportage en immersion dans une équipe de police, Maïwenn a, pendant plusieurs mois, accompagné de véritables policiers sur le terrain, écouté leurs anecdotes, assisté aux interrogatoires et aux moments de détente nécessaires pour supporter le côté sordide de certaines situations.
De la masse de petites histoires qu’elle a récoltées, la cinéaste a construit, avec l’aide d’Emmanuelle Bercot, un scénario assez malin, qui respire l’authenticité, mais qui est structuré comme une fiction, avec  des pics narratifs et des dialogues ciselés, drôles ou percutants, qui permettent de garder intacte la force du propos.
On passe d’une histoire à une autre, d’un policier à l’autre, avec beaucoup d’aisance et de fluidité. Pas le temps de s’ennuyer!
Et la mise en scène dynamique de Maïwenn, très précise malgré cette impression de documentaire improvisé dans l’urgence, donne de l’ampleur au récit, en procurant au film une énergie folle, la même qui traversait ses deux premiers longs-métrages, Pardonnez-moi  et  Le Bal des actrices.

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Enfin, pour bien distinguer son film d’une démarche documentaire, Maïwenn a eu la bonne idée de confier les rôles à d’excellents acteurs. La démarche est un peu la même que celle accomplie par Claire Simon dans Les Bureaux de Dieu, qui avait recueilli des témoignages réels de personnes travaillant au planning familial ou venus y chercher de l’aide, et avait fait jouer ces scènes par des comédiennes confirmées. Mais ici, le résultat est encore plus probant.
Tous sont absolument fabuleux, les policiers autant que les victimes ou leurs bourreaux : Karin Viard, Marina Foïs, Karole Rocher, Emmanuelle Bercot, Naidra Ayadi, Sandrine Kiberlain, Audrey Lamy, Lou Doillon, Frédéric Pierrot, Nicolas Duvauchelle, Riccardo Scamarcio, Jérémie Elkaïm, Wladimir Yordanoff, Anthony Delon et bien d’autres encore que l’on aimerait citer pour rendre hommage à leurs performances dans ce film… 
Et puis, il y a JoeyStarr, qui, époustouflant de naturel et de force brute, vole un peu la vedette aux autres, malgré leurs performances de haut-vol… On ne peut que saluer son travail sur ce film, tout en trouvant cocasse que celui qui a si souvent, dans ses textes, crié sa haine de la police, trouve là son plus beau rôle sur grand écran…

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A ce concert de louanges, il convient toutefois d’ajouter un bémol.
On a dit plus haut que l’agencement des petites histoires par le truchement de la fiction était une des qualité du film. C’est le cas, mais c’est aussi, hélas, son principal défaut, car dans certaines scènes, les ficelles sont trop visibles et on perd alors beaucoup en authenticité et force.
Or, malheureusement, Maïwenn a eu la mauvaise inspiration de boucler son film sur une de ces “sorties de piste”. Elle a opté pour un dénouement tragique trop lourd et bien inutile. Une fin discrète, laissant en suspens les destins de ces policiers aurait probablement eu plus d’impact… Du moins, tel est notre point de vue…

Cela dit, même si ce petit point négatif nous empêche de considérer Polisse comme un grand film, le troisième long-métrage de Maïwenn n’en est pas moins une belle réussite, humaniste et généreuse, énergique et sincère. Le jury du dernier festival de Cannes, présidé par Robert De Niro, a, semble-t-il, lui aussi été séduit par l’oeuvre puisqu’il l’a récompensée d’un Prix du jury amplement mérité.

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Polisse Polisse
Polisse 

Réalisatrice :  Maïwenn 
Avec : Karin Viard, JoeyStarr, Nicolas Duvauchelle,  Karole
Rocher, Marina Foïs, Maïwenn, Frédéric Pierrot
Origine : France
Genre : flic story
Durée : 2h07
Date de sortie France : 19/10/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Critikat

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