Violetta Giurgiu, une gamine de 12 ans (Anamaria Vartolomei) est élevée par son arrière grand-mère, une vieille femme fatiguée, car sa mère, Hannah (Isabelle Huppert), n’est jamais là pour s’occuper d’elle. Elle n’est tout simplement pas faite pour être mère. L’affection est là, mais elle ne sait pas comment l’exprimer. Et de toute façon, Hannah est tout le temps en vadrouille, acoquinée à des artistes qui lui servent de mentor et d’amants.
L’un d’eux, Ernst (Denis Lavant) lui offre un appareil photo. Un cadeau qui va changer sa destinée, et celle de la jeune Violetta…
En effet, Hannah trouve sa voie artistique dans la photographie d’art. De passage à la maison, elle demande à Violetta de poser pour elle. La fillette, trop contente de pouvoir enfin partager quelque chose avec sa mère, accepte volontiers et se retrouve plongée dans l’univers artistique étrange de Hannah, entre morbidité et érotisme.

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Les photos sont réussies, plaisent aux galeristes et à la presse. Hannah devient une photographe réputée et demandée. Violetta, elle, devient une icône artistique, une égérie demandée aussi bien dans les milieux branchés parisiens que dans l’underground londonien…
Au début, les photos sont très soft, mais au fur et à mesure des séances, les poses se font de plus en plus suggestives, et la fillette est de moins en moins habillée… Alors que la polémique sur la pédopornographie enfle et que de plus en plus de personnes s’alarment de cette relation mère-fille atypique, quasi “insectueuse”, comme le disent les jeunes camarades de Violetta, des tensions de plus en plus manifestes se font jour entre Hannah et sa fille…

De prime abord, cette histoire d’amour/haine entre une mère fantasque et une ado rebelle semble trop énorme pour être vraie. Et pourtant, c’est bien dans ses souvenirs d’enfance qu’a puisé Eva Ionesco pour écrire le scénario de My little princess, son premier long-métrage. Sa mère, Irina Ionesco est bien une célèbre photographe et l’a effectivement utilisée comme modèle, à douze ans, pour des photos érotiques (1), avant d’être rattrapée par la polémique.
Très tôt habituée à l’objectif des appareils photo et des caméras (2), Eva Ionesco est devenue une actrice assez connue et n’a plus arrêté de travailler dans le milieu du théâtre et du cinéma.

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Elle raconte ici avec une indéniable sincérité son histoire, la blessure de ne pas avoir eu d’enfance. Et c’est peut-être pour cela qu’elle prend le parti d’enrober son récit dans une atmosphère particulière qui lui donne l’allure d’un conte de fées… Mais un conte de fées déviant, où il ne fait pas bon être princesse, surtout sous la coupe d’une marâtre étouffante (3). Un conte de fées qui oscille entre chronique réaliste et fantasmagorie tout droit héritée des films italiens des années 1970. Elle y fait notamment référence via les affiches présentes dans la maison de Hannah – celle de Suspiria de Dario Argento et celle de La Baie sanglante de Mario Bava…
Le studio de Hannah/Irina est une pièce ténébreuse,surchargée de symboles morbides ou érotiques, où les robes de princesses côtoient des objets étranges. Il évoque plus le repaire d’un tueur en série ou d’une créature maléfique qu’un atelier d’artiste… Eva Ionesco présente ici sa mère comme une sorte de créature vampirique qui a aspiré son innocence juvénile et sa vertu, une sorcière maléfique, une ogresse… Son appareil photo est comme une arme. Chaque flash, chaque déclic d’obturateur est comme un coup de feu ou un coup de poignard invisible dont la gamine ne réalisera les effets que plus tard, quand les photos osées ressortiront, à intervalles réguliers, dans diverses publications, au gré des humeurs de l’artiste…

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En même temps, ce n’est pas un règlement de comptes auquel on assiste. Bien sûr, Eva Ionesco en veut et en voudra toujours à sa mère de l’avoir ainsi exploitée, mais elle n’en fait pas complètement un monstre. Dans le film, Hannah aime réellement Violetta et cette affection est réciproque, mais les fondations de cette relation mère-fille sont branlantes. Elles reposent sur la frustration née de plusieurs années de séparation, puis de plusieurs mois d’une relation exclusive qui sort des cadres conventionnels.
Hannah est plus une artiste qu’une mère. Elle est tellement obsédée par son art qu’elle est déconnectée de la réalité et ne réalise même pas le mal qu’elle fait à sa fille. Et elle a pour elle la circonstance atténuante d’avoir eu elle aussi une enfance tourmentée et une relation conflictuelle avec sa propre mère. Elle répète inconsciemment ce schéma avec Violetta/Eva…
Eva Ionesco a tenu à humaniser le personnage pour le rendre plus intéressant, cinématographiquement parlant, pour lui donner plus d’ambiguïté, de complexité que la véritable Irina Ionesco.
Ceci lui permet aussi d’apporter un éclairage plus doux sur cette figure maternelle étouffante, excessive et fantasque.
Selon les dires d’Eva Ionesco, la réalité est bien plus sordide que cette fiction d’inspiration autobiographique. C’est à quatre ans, et non à douze, que la future actrice/cinéaste a commencé à poser pour sa mère et l’exploitation a duré des années avant que la fillette ne se rebiffe et que la justice lui en ôte la garde. Et Irina Ionesco n’a apparemment jamais éprouvé le moindre remords à l’égard de sa fille. Elle a continué à vendre des clichés indécents la mettant en scène tout au long de sa carrière…

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Mais ce choix est à double tranchant. Même si on est touché par les thématiques abordées par le film et par la façon courageuse avec laquelle la cinéaste se met à nu, on n’est pas remués comme on devrait l’être, ni même scandalisés…
Du coup, le film perd de sa force dramatique, et nous laisse un peu sur notre faim.

Restent, quand même, deux superbes numéros d’actrices : Isabelle Huppert évolue dans son registre de prédilection et nous compose une fois de plus un formidable personnage déglingué, aux frontières de la folie, comme elle seule est capable de les jouer… Et la jeune Anamaria Vartolomei, formidable de naturel et d’intensité, est une révélation.
On attend avec impatience de suivre son évolution sur grand écran, chez d’autres auteurs, mais surtout chez Eva Ionesco, qui a d’ores et déjà annoncé que le personnage de Violetta reviendrait dans deux autres films, à d’autres époques de sa vie…
Souhaitons à la cinéaste et sa jeune actrice le même succès que, jadis, le duo François Truffaut/Jean-Pierre Léaud dans la saga Antoine Doisnel…

(1) : Eva Ionesco a tenté de faire interdire la diffusion et le commerce de ces photos à trois reprises, mais la justice a toujours donné raison à sa mère. L’affaire n’est toujours pas réglée et les deux femmes ne communiquent plus que par avocats interposés.
(2) : Eva Ionesco a tourné ses premiers films à l’âge de onze ans : Le locataire de Roman Polanski et Spermula de Charles Matton.
(3) : Dommage de n’avoir pas gardé le titre de travail du film “I’m not a fucking princess!”

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My little princess

Réalisatrice : Eva Ionesco
Avec : Anamaria Vartolomei, Isabelle Huppert, Denis Lavant, Louis-Do de Lencquesaing, Nicolas Maury
Origine : France
Genre : anti-conte de fées autobiographique
Durée : 1h45
Date de sortie France : 29/06/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Le Figaro

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1 COMMENT

  1. Comme d’habitude, on a peur de la critique alors on édulcore, j’ai peur d’être déçu en voyant « My little princess », ce ne sera pas du Aki Kaurismaki… J’avais vu Irina (Ionesco) en 1987 ou 8, dans son « Perfecto blanc », perchée sur un tabouret de bar, qui s’envoyait des grands whiskys, et déjà à cette époque on voyait qu’elle avait dû être belle dans sa jeunesse…
    Quant à sa fille Eva, je l’avais croisé à peu près à la même époque vers la place de la Bastille et elle m’avait parue déjà une belle adolescente-pimbêche. J’avais vu de très beaux tirages N&B dans un labo photo du centre (de Paris), et c’est à sa magnifique chevelure que je l’ai reconnue… Je ne sais pas si elle a grandi depuis, mais à l’époque elle était plutôt petite avec de bonnes joues de poupon bien nourri…
    C’est drôle les destins… Qui seraient ces 2 femmes si le Génial Eugène n’avait existé???

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