Steve Lopez est journaliste au L.A.Times, où il écrit des chroniques sur des personnalités atypiques et des événements incongrus qui surviennent à Los Angeles.

En 2005, il rencontra par hasard un sans-abri noir du nom de Nathaniel Anthony Ayers Jr. L’homme avait élu domicile dans un parc, sous la statue de Ludwig Van Beethoven, et tentait vaille que vaille de sortir des sons d’un violon mal en point, à qui il ne restait que deux malheureuse cordes. Dans la conversation, il lui apprit qu’il avait été scolarisé dans l’école de musique de Juilliard, l’un des conservatoires les plus prestigieux du monde. Le journaliste, surpris, a vérifié ses propos. Il a ainsi découvert que ce clochard excentrique avait bien été un musicien surdoué et avait suivi les cours de la célèbre école pendant deux ans, avant d’abandonner, en proie à des troubles mentaux de type schizophréniques. A la mort de sa mère, chez qui il résidait, il est devenu SDF, passant le plus clair de son temps à jouer sous des ponts d’autoroutes et des parcs publics.

Le soliste - 3

Lopez a écrit cette extraordinaire histoire dans les colonnes de son journal et a décidé de l’aider à se sortir de la rue et de ses conditions de vie très rudes. Avec l’aide de généreux lecteurs, il a réussi à lui procurer un violoncelle intact, puis l’a mis en relation avec un centre d’accueil et enfin, lui a trouvé un appartement…
Il ne pouvait en revanche pas faire grand-chose pour aider Nathaniel Ayers a surmonter ses graves troubles psychologiques, encore accentués par des années d’errance. Hormis lui offrir son amitié et son assistance…

De cette histoire improbable mais vraie, poignante et magnifique, il a tire un livre : “The Soloist: A Lost Dream, an Unlikely Friendship, and the Redemptive Power of Music » (*). Et ce livre, après avoir glané quelques belles récompenses et obtenu un beau succès en librairie, a séduit Steven Spielberg et les grands pontes de Dreamworks, qui ont illico lancé son adaptation cinématographique, Le soliste.

Il y avait de quoi craindre le pire, car ce genre de récit humaniste, passé à la moulinette des studios hollywoodiens, se transforme généralement en film dégoulinant de mièvrerie et de morale bien-pensante, plombé par des effets kitsch et une musique sirupeuse saturée de violons – fussent-ils de circonstance comme ici…

Mais voilà, c’est à Joe Wright qu’a été confiée la réalisation de ce film, et cela change pas mal de choses… Le cinéaste nous avait enchantés en 2006 avec son adaptation d’Orgueil & préjugés, et surtout, l’an passé, avec Reviens-moi, magnifique mélodrame porté par une mise en scène extraordinaire.

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C’est encore le cas ici. Sans réitérer la prouesse technique que constituait le long plan-séquence de la bataille de Dunkerque dans Reviens-moi (10 mn !), Joe Wright nous offre de nouveau de splendides mouvements d’appareil : course d’un chariot amenant un colis dans les bureaux du L.A.Times, envol de la caméra depuis un tunnel de Downtown où Ayers joue du violoncelle jusqu’à un plan aérien de la ville, soudain embellie par l’intensité de la musique, etc…
Certes, cette virtuosité de mise en scène est ici trop souvent gratuite, un peu vaine, quand elle ne tombe pas dans le piège de la mièvrerie facile (Ce ballet aérien de pigeons sur fond de Beethoven, était-il bien nécessaire ?…). Mais cela fait du bien de voir un réalisateur s’exprimer dans un langage cinématographique soutenu, parfaitement maîtrisé.
Et quand Joe Wright utilise son talent pour dévoiler, en un splendide plan-séquence, l’étendue de la misère condensée dans les bas-fonds de Los Angeles, montrant tous ces sans-abris entassés les uns près des autres, dans la crasse, la peur et la résignation, le film fait mouche, révolte et bouleverse en même temps, s’élève au-delà de son simple sujet. Rien que pour cette scène, le film vaut le coup d’œil.

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Mais Le soliste a encore d’autres cordes à son arc (ou plutôt à son violoncelle) pour séduire les cinéphiles. Le travail sur l’architecture et la géométrie des plans était l’un des points forts de Reviens-moi. C’est encore le cas ici.
Il y a déjà la ville, Los Angeles, que Joe Wright filme de manière inhabituelle, mettant en valeur des lieux atypiques, composant ses cadres comme des tableaux où éclate l’opposition entre un univers urbain déshumanisé et la population qui y habite…
Les plans aériens, qui captent le flux de la circulation, évoquent à la fois les enchevêtrements de sons, les notes sur une portée musicale ou la vie qui grouille au sein de la cité des anges… 
Les plans moyens saisissent la solitude des personnages dans cet univers de bruit et de fureur. Les gros plans, eux, tentent de percer leurs secrets, de dénicher leurs démons intérieurs, leurs motivations profondes,… Voir ce plan convenu, mais néanmoins magnifique, où Nathaniel s’entraîne au violoncelle alors qu’un incendie éclate en arrière-fond…
Joe Wright réussit même à pénétrer carrément dans le mental du personnage de Nathaniel Ayers, dans une scène incroyable où, écoutant un morceau de Beethoven, les yeux clos, le bonhomme visualise les sons sous formes d’éclats lumineux et colorés. Une séquence expérimentale dans un film hollywoodien, il fallait oser !
Audace et élégance. Deux qualités suffisamment rares dans le cinéma américain actuel pour être soulignées…

Enfin, il convient d’applaudir le très beau travail sur le son mené par le cinéaste et son équipe (le mixeur son Jose Antonio Garcia et le monteur Christopher Scarabosio). Là aussi, tout est d’une précision admirable. Les sons de la ville sont exacerbés, mis en avant, puis littéralement enveloppés par la musique. Et la crasse disparaît sous la grâce…

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Dommage que tous ces talents soient mis au service d’une histoire intéressante, mais un peu trop formatée pour appâter le spectateur. Un peu à l’image des comédiens, qui, sentant un potentiel « rôle à Oscar » frôlent le cabotinage. Jamie Foxx en fait des tonnes dans le rôle de Nathaniel Ayers Jr, même s’il parvient relativement bien à montrer la complexité de cet homme capable de passer de la bienveillance à l’agressivité, du génie virtuose à l’excentricité lunatique. Robert Downey Jr, assez sobre, s’en sort un peu mieux, même si son jeu est également un peu forcé par moments. A sa décharge, le personnage du journaliste a été un peu corrigé par rapport au bouquin, et se retrouve ici affublé de problèmes de couple qui accentuent inutilement le côté moraliste de l’œuvre.

Sans ces petits défauts inhérents à la grosse machinerie hollywoodienne, Le soliste aurait pu être un très grand film. Il faudra ici se contenter d’une œuvre mélodramatique classique mais efficace, qui confirme tout le bien que l’on pensait de Joe Wright. Ce type-là est assurément un virtuose de la mise en scène. On attend maintenant qu’il s’affranchisse un peu du carcan du cinéma commercial pour s’attaquer à des projets plus personnels. Et là, ça devrait être grandiose…

(*) : “The Soloist: A Lost Dream, an Unlikely Friendship, and the Redemptive Power of Music » de Steve Lopez – éd. Berkley Trade/ Mti edition (en anglais, pas de traduction française disponible pour le moment)

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Le solisteLe soliste
The soloist

Réalisateur : Joe Wright
Avec : Jamie Foxx, Robert Downey Jr, Catherine Keener
Origine : Etats-Unis
Genre : histoire extraordinaire et mise en scène virtuose
Durée : 1h57
Date de sortie France : 23/12/2009

Note pour ce film : ˜˜˜˜˜

contrepoint critique chez : Suite 101 .fr

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