Bernard Rose est un cinéaste inégal, capable de belles choses (Paperhouse, Chicago Joe & the showgirl, et, dans une moindre mesure, le premier Candyman) et d’oeuvres plus ambitieuses mais moins convaincantes (sa trilogie autour des oeuvres de Leon Tolstoï Anna Karenine / Ivans XTC / The Kreutzer sonata).
Bonne nouvelle : son nouveau film, Mr. Nice appartient sans conteste à la première catégorie…

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Il y raconte comment Howard Marks (Rhys Ifans), un jeune gallois sérieux et bien sous tous rapports, est devenu, en l’espace de quelques années, l’un des plus grands trafiquants de marijuana de la planète (on dit qu’il a contrôlé à lui seul jusqu’à 10% de la production mondiale de cannabis !).

Commençons par le commencement : Enfant timide et sage, régulièrement brimé par ses petits camarades, Howard se réfugie dans les études. Ainsi, il reçoit d’excellentes notes et peut s’inscrire dans la prestigieuse université d’Oxford, en Angleterre. Jusque-là, on est loin du parcours classique du criminel de base, entre violence incontrôlable et échec scolaire…  Et on ne voit pas trop comment le jeune Howard Marks va pouvoir devenir trafiquant de drogue dans un lieu aussi collet monté que l’université d’Oxford…

Erreur : sous l’apparente quiétude des lieux, derrière ces murs chargés d’histoire et de rigueur morale, on découvre en même temps que le personnage un univers secret et enfumé où tout le monde peut s’adonner à des plaisirs interdits.
Sex, drugs & rock’n roll…

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Rapidement consommateur de haschich, Marks se met aussi à en dealer, notamment pour s’attirer les faveurs des filles.
Cette période enfumée dure jusqu’à ce qu’il se fasse prendre en flagrant délit de bad trip. Il doit alors promettre de se calmer et de rentrer dans le rang. Il obtient son diplôme, se marie, devient un honorable professeur dans la prestigieuse école anglaise, et surtout, arrête toute consommation de drogues…

Mais cette accalmie ne va évidemment être que de courte durée…
Un jour, un de ses anciens camarades de débauche lui annonce qu’il a été arrêté à la douane, coincé pour trafic de stupéfiants entre la Hollande et l’Angleterre. Son cas est réglé, il va devoir moisir quelques temps en prison. Mais ce serait dommage de laisser également moisir la partie de la marchandise qui n’a pas été saisie par les douaniers. Il demande à son vieux copain Howard de venir récupérer cette importante cargaison de cannabis et de la convoyer jusqu’en Angleterre.

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Marks réussit à rapporter la marchandise et à la vendre en un temps record, si bien que les producteurs afghans lui confient rapidement des quantités de haschich de plus en plus importantes à écouler.
Pour contourner les douanes, le jeune homme a l’idée géniale de s’acoquiner avec un révolutionnaire de l’IRA, et d’importer sa drogue jusqu’en Irlande par les réseaux de contrebande du mouvement révolutionnaire, en faisant passer ses cargaisons pour des armes… Personne ne soupçonne la supercherie chez les indépendantistes comme chez les flics britanniques…

Parallèlement à ce petit trafic, Marks est également approché par le MI6, les services secrets anglais, pour servir d’informateur sur les activités de l’IRA…
Ce double jeu étonnant va lui permettre de se sortir de toutes les situations délicates, notamment ses innombrables procès pour trafic de stupéfiants, jusqu’à son ultime arrestation, au début des années 1990 qui lui vaudra sept ans de prison.

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L’histoire semble trop énorme pour être vraie. Et pourtant…
Howard Marks existe bel et bien! Mr. Nice s’inspire de ses mémoires (1) et relate son parcours “criminel”. Les guillemets sont de mise, car bien qu’agissant dans l’illégalité la plus totale, l’homme n’a jamais eu recours à la violence ou aux armes à feu. C’était un bandit attachant, intelligent et charismatique. Un authentique “gentil” (nice, en anglais)…
Et il faut bien préciser que lui-même ne s’est jamais vu comme un criminel. Il n’a toujours dealé que des psychotropes “doux”, principalement du cannabis et un peu de LSD, et pour lui, la marijuana n’est pas une drogue, juste une marchandise comme une autre dont il est absurde d’interdire la commercialisation.
Même s’il est aujourd’hui assagi, Marks continue d’ailleurs de militer pour la légalisation du cannabis, et probablement d’en consommer – mais ça, ça ne nous regarde pas…

C’est sans doute ce point qui hérissera le poil de certains spectateurs ou de certains critiques, qui trouveront que le film fait l’apologie de la marijuana et de la légalisation des drogues douces, qu’il est moralement douteux, etc…
D’autres seront, eux, d’accord avec la démarche militante d’Howard Marks.
Au moins, le film a le mérite d’ouvrir le débat…

cannabis

Nous nous garderons bien de polémiquer sur le sujet de la légalisation des drogues douces. Cet antre traite^plus du festival de Cannes que du festival de cannabis…
Mais nous prenons ouvertement parti pour le film de Bernard Rose face à ses détracteurs.

Pour nous, le film ne fait pas l’apologie de la drogue, pas plus que l’hagiographie de Howard Marks. Oh bien sûr, le personnage est attachant, drôle et sympathique, comme l’homme dont il s’inspire. Et si le film est manipulateur, c’est pour coller à la personnalité d’Howard Marks, un type hâbleur, charismatique, roublard et doté d’un irrésistible sens de la répartie, qui était capable d’embobiner les juges, les barbouzes du MI6 ou les révolutionnaires de l’IRA avec la même prestance. Et qui continue de séduire son audience, sur scène, lors de ses one-man shows autobiographiques…
De plus, l’homme est quand même montré dans tous ses excès, avec tout ce que cela a entraîné comme conséquences sur sa vie de famille et sur sa liberté. Marks a bien profité des sommes d’argent colossales qu’il a gagnées avec son “petit” business, mais il a aussi payé le prix fort pour ses activités illicites…
Bernard Rose ne le juge pas et ne le glorifie pas. Il dresse simplement le portrait d’une personnalité atypique, attachante et agaçante en même temps.

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De toute façon, au-delà de son propos, c’est par sa forme que le film séduit.
Outre une distribution étincelante emmenée par Rhys Ifans, excellent dans ce registre que l’on pourrait qualifier d’exubérance nonchalante et physiquement assez proche de son modèle, et comprenant Chloë Sevigny, David Thewlis – génial en irlandais révolutionnaire frappadingue – Luis Tosar et Elsa Pataky, Mr. Nice bénéficie d’une mise en scène soignée et efficace.
On salue notamment un gros travail sur l’image, chaque tranche du film étant traitée différemment, selon les critères esthétiques correspondant aux époques évoquées, noir et blanc, clairs-obscurs et plans en 4/3 pour les années 1960, images granuleuses et couleurs chaudes pour les années 1970, pellicule plus classique et couleurs naturelles pour les années 1980, avec des mouvements en Dolly plus élégants…

Franchement, on ne s’attendait pas à une réalisation aussi soignée de la part de Bernard Rose, qui, de film en film, semblait avoir perdu en route l’inspiration de ses débuts.
Il n’en est rien, donc, et son Mr. Nice est un “nice movie”…

(1) : “Mr. Nice” d’Howard Marks – éd. Mamma éditions

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Mr. Nice Mr. Nice
Mr. Nice

Réalisateur : Bernard Rose
Avec : Rhys Ifans, Chloë Sevigny, David Thewlis, Luis Tosar, Elsa Pataky, Crispin Glover
Origine : Royaume-Uni
Genre : grandeur et décadence d’un dealer de hasch
Durée : 2h01
Date de sortie France : 13/04/2011
Note pour ce film : ●●●●●

contrepoint critique chez :  Télérama

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