En 2007, on a beaucoup entendu parler du romancier américain Cormac McCarthy. L’adaptation d’un de ses romans, No country for old men (1), enthousiasmait la Croisette et le Palais des festivals de Cannes, quelques mois avant de triompher aux Oscars, et son dernier bouquin, « La route » (2) remportait le prestigieux prix Pulitzer après un beau succès en librairie.

De quoi lancer sans attendre l’adaptation cinématographique de cette nouvelle œuvre, voyage d’un père et de son jeune garçon au cœur d’une Amérique post-apocalyptique, frappée par une sorte d’hiver nucléaire qui a dévasté totalement la flore et la faune de la planète et qui a fait sombrer les rares hommes encore en vie, livrés à eux-mêmes et privés de nourriture, dans la barbarie et le cannibalisme…

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Cette fois-ci, ce ne sont pas les frères Coen qui opèrent derrière la caméra. Leur humour noir avait parfaitement collé au scénario de No country for old men, mais ne convenait probablement pas à l’ambiance glaciale de La route. Il fallait un cinéaste qui soit capable d’instaurer un climat de tension permanente, de dépeindre un monde froid, sombre et désespéré en peu de scènes, d’évoquer la barbarie sans abuser des effets gores.
D’ailleurs, même si le film est très fidèle au texte original, la violence y est un peu édulcorée, ou du moins, plus suggérée. Le passage le plus atroce – la vision d’un bébé rôti à la broche par trois cannibales (bon appétit, bien sûr…) – a même été supprimé. Déjà pour éviter des problèmes devant la commission de censure, mais aussi, et surtout, pour ne pas focaliser l’attention des spectateurs sur des détails peu représentatifs du propos général du film. Car le récit n’est nullement à vocation horrifique. Plutôt une réflexion sur la définition de l’humanité dans un univers sans foi ni loi, où se réaffirment les instincts primaux au détriment de tout ce que la civilisation a apporté…

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Le père et son jeune garçon se lancent dans un périple qui doit les conduire vers le sud, vers l’océan. Pour gagner quelques degrés de plus et vérifier s’il n’y a pas, dans ces régions que les rumeurs disent moins touchées, des zones encore vivables. Le voyage a tout du geste désespéré. Le père se doute qu’il n’y a que très peu de chances que l’avenir soit plus radieux ailleurs, mais ils ne peuvent pas rester sur place, sous peine de mourir de froid, ou sous les assauts des bandes organisées bien décidées à transformer en steaks tout humain croisant leur route. Et il sait aussi qu’il est mourant : il crache de plus en plus fréquemment du sang. Alors, pendant le temps qui lui reste, il tente d’inculquer à son fils les notions de dignité, de bonté, de respect de l’autre, de solidarité et d’amour. Des valeurs fondamentales, mais bien dérisoires dans cet enfer gris glacé, où tout n’est que chaos, désespoir et d’abominations. Il s’agit de garder intacte la flamme de l’humanité, réduite à une maigre étincelle enfouie au fond des cœurs et des âmes, qui seule pourrait permettre un jour de recréer une société, une civilisation…

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C’est à l’australien John Hillcoat qu’a été confiée la tâche de réaliser cette adaptation, et au vu du résultat, il ne fait nul doute qu’il était l’homme de la situation. Il faut dire que le cinéaste maîtrise le sujet, puisque ce thème de la subsistance de l’humanité dans un milieu qui n’a plus rien d’humain est au centre de son œuvre. On se rappelle des détenus de Ghosts… of the civil dead, son premier long-métrage, poussés à bout par des matons de plus en plus sadiques, jusqu’au déchaînement de la violence. Ce film, étude froide, clinique, des comportements, à bonne distance des personnages, est caractéristique du style du metteur en scène, qui fait merveille ici.

Autre atout : Hillcoat a prouvé qu’il savait parfaitement tirer le meilleur de ses acteurs. Et vu le casting qui lui a été offert, cela donne des performances de tout premier ordre. Il y a Charlize Theron, magnifique personnage féminin au bout du rouleau, incapable, après avoir fait l’effort de donner la vie, de supporter la barbarie environnante. Elle a peu de temps de présence à l’écran, mais elle parvient en quelques scènes à montrer toute l’étendue de son talent. Il y a aussi le jeune Kodi Smit-McPhee, impressionnant malgré son jeune âge (13 ans). Certes, le jeune garçon est issu d’une famille d’acteurs et a déjà quelques rôles derrière lui. Mais il a indéniablement ce petit quelque chose qui fait les grands acteurs. S’il persévère dans ce métier, nul doute qu’une belle carrière l’attend… A ses côtés, Viggo Mortensen est une fois de plus excellent, montrant toutes les nuances de ce personnage moins monolithique qu’il n’y paraît.
Mais tous se font voler la vedette, le temps d’une scène, par l’immense Robert Duval, bouleversant dans un rôle de vieillard aveugle, presque agonisant. La scène où il raconte son histoire à Viggo Mortensen est d’une formidable intensité et est à elle seule un très beau moment de cinéma. Au cœur du récit, elle est emblématique du reste du film, et de sa densité psychologique et humaniste.

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Une réussite qui s’accompagne, sur nos écrans, de la sortie d’un autre film de John Hillcoat, réalisé en 2005, mais bizarrement inédit jusqu’alors : The proposition.
Il s’agit d’un western, ou plutôt d’un « eastern » puisque toute l’action se déroule en Australie. Cela dit, peu de différences fondamentales entre les deux. Les indiens ont été remplacés par des aborigènes, les outlaws yankees par des bandits de l’outback, les shérifs par des soldats pacificateurs… Même l’intrigue est assez « conventionnelle » : Le capitaine Stanley, envoyé par l’armée pour « civiliser » un coin reculé d’Australie, en matant notamment les révoltes aborigènes, doit déjà faire cesser les exactions d’un gang local, les frères Burns. Ceux-ci ont notamment attaqué une ferme du village et massacré une famille complète. Deux des quatre frangins, Charlie et Mike, ont été arrêtés, tandis qu’Arthur, le plus âgé et le leader, est parti se terrer dans les montagnes. Stanley fait alors à Charlie la proposition du titre : S’il retrouve et tue son frère aîné, il sera gracié et Mike aura la vie sauve. Il n’a que neuf jours, jusqu’à Noël, pour remplir son contrat…

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Seuls le rythme et le ton adoptés sont assez différents des films américains. L’œuvre est en effet assez curieuse. Elle alterne des séquences d’action violentes et nerveuses avec des moments plus contemplatifs, presque poétiques. On y croise des personnages surprenants : un chasseur de primes alcoolique qui cite des extraits des essais de Darwin sur l’évolution, un tueur impitoyable qui sait apprécier la beauté d’un coucher de soleil, un couple qui a la curieuse idée de célébrer Noël alors que la chaleur environnante est étouffante… Tout ceci permet à John Hillcoat d’éviter la facilité d’un affrontement manichéen entre la justice et les gangsters et de s’attacher au contraire à décrire des personnages complexes, ambigus, imparfaits, appartenant à un univers tout aussi imparfait.

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Ici, les bandits sont violents, mais presque à regret, attendant que quelqu’un les empêche de nuire ou que la vie leur donne l’occasion de s’affranchir de toute cette sauvagerie. Et de toute façon, sont-ils vraiment pires que les forces de l’ordre, composées, à l’exception du capitaine Stanley, d’un ramassis de brutes illettrés et racistes ? Ou que la population, prête à se faire justice elle-même et à lyncher le jeune prisonnier, pauvre hère un peu demeuré, visiblement innocent ?
En débarquant dans ce coin paumé, Stanley avait l’espoir utopique de réussir à civiliser les « sauvages ». Une obsession un peu mégalomane, comparable à la folie du colonel Kurz dans Apocalypse now. Le pauvre homme n’avait sans doute pas imaginé l’ampleur de la tâche. Il ne s’agit pas seulement de faire accepter aux aborigènes le principe du colonialisme et de la civilisation, mais aussi et surtout de changer les mentalités de la population blanche…

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Le film montre les changements qui s’opèrent en lui, et au sein des autres protagonistes, entraînés malgré eux dans une déferlante de violence. Du pain béni pour les acteurs, qui trouvent ici matière à un jeu tout en subtilité. Ray Winstone est époustouflant dans le rôle de Stanley, tour à tour manipulateur sadique et ardent défenseur de la justice et de l’honneur et victime pathétique. Face à lui, Guy Pearce et Danny Huston campent des criminels torturés qui sont loin des caricatures outrancières des bad guys hollywoodiens. On retrouve aussi avec bonheur John Hurt, dans une performance mémorable et la trop rare Emily Watson, seule touche de grâce – là encore, ambiguë, dans cet univers d’hommes…

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Comme dans La route, John Hillcoat s’interroge sur les notions d’humanité, de bonté, de justice, dans un lieu où règnent les instincts animaux, la haine et la loi du plus fort. Toujours avec ce style froid et sombre qui tranche avec la luminosité aveuglante des paysages. On pense évidemment au grand cinéaste Sam Peckinpah, qui n’aurait probablement pas renié ce western – pardon, cet eastern- crépusculaire et les antihéros qui le peuplent.
Certains trouveront peut-être la comparaison exagérée entre le génial metteur en scène de La horde sauvage et ce réalisateur quasi-inconnu. Peut-être, mais quand un cinéaste aborde des thématiques récurrentes – et passionnantes – de film en film, on appelle cela un « auteur »… Quand lesdits films sont des œuvres denses, fortes, profondes, jouées magistralement par des comédiens parfaitement dirigés, on appelle cela un auteur « majeur »… Sam Peckinpah en était un. Nul doute que John Hillcoat aussi…

Alors découvrez vite sur grand écran ces deux films forcément très sombres, mais visuellement splendides, d’un lyrisme à couper le souffle, et portés par les superbes bandes-sons de Nick Cave (3)…

(1) : le roman : « Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme » de Cormac McCarthy – éd. Points / le film : No country for old men d’Ethan et Joel Coen
(2) : « La route » de Cormac McCarthy – éd. Points
(3) : Le chanteur, ami de Hillcoat, a d’ailleurs écrit le scénario de
The proposition et joué dans  Ghosts… of the civil dead  

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la routeLa Route
The road

Réalisateur : John Hillcoat 
Avec : Viggo Mortensen, Kodi Smit-McPhee, Robert Duvall, Charlize Theron
Origine : Australie, Etats-Unis
Genre : road-movie apocalyptique
Durée : 1h59
Date de sortie France : 02/12/2009

Note pour ce film : ˜˜˜˜˜

contrepoint critique chez : suite101.fr

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The propositionThe proposition
The proposition

Réalisateur : John Hillcoat 
Avec : Guy Pearce, Ray Winstone, Danny Huston, Emily Watson, John Hurt
Origine : Australie
Genre : eastern crépusculaire
Durée : 1h44
Date de sortie France : 16/12/2009

Note pour ce film : ˜˜˜˜˜

contrepoint critique chez :
                                      Rob Gordon a toujours raison _________________________________________________________________________________________________________________________________________

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