Voilà donc le fameux film que tout le monde annonçait comme l’événement du 64ème festival de Cannes…
Ah, ça, on en a entendu des choses sur La Conquête, avant l’ouverture de la manifestation et jusqu’à sa grande première. On allait voir ce qu’on allait voir!
L’objet de ce buzz médiatique ? Le film de Xavier Durringer et Patrick Rotman a pour héros… Nicolas Sarkozy. C’est la première fois qu’en France, une fiction (certes très inspirée de la réalité) prend pour personnage principal un chef de l’Etat encore en exercice. De quoi intriguer, surtout que si on savait quel allait être le sujet du film – la conquête de l’Elysée par Nicolas Sarkozy, de sa nomination au Ministère de l’Intérieur jusqu’à l’annonce des résultats du second tour de l’élection présidentielle de 2007 – on ignorait tout du ton qu’allaient adopter les auteurs et quelle image ils allaient donner des personnages.

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Certains redoutaient une hagiographie du Président, d’autres, un film à charge contre l’homme public, et tout cela, à un an de la prochaine élection présidentielle…
En tout cas, on nous promettait des débats animés entre partisans et opposants de Sarkozy, partisans et détracteurs du film. On nous promettait du sulfureux, du caustique, du pamphlet virulent. On nous promettait de la polémique…
Et, potentiellement, une montée des marches très politique avec la venue du principal intéressé…

Mais le Président de la République n’a finalement pas fait le déplacement sur la Croisette. Il a même annoncé qu’il ne souhaitait pas voir le film (mon oeil! Vive la langue de bois) et que ce n’était pas à lui de juger  le travail des artistes. Les états-majors des partis politiques de droite et de gauche n’ont pas non plus foulé le tapis rouge du Palais des Festivals…
Quant au film lui-même, hé bien, après l’avoir vu, on reste perplexes et amers, incapables de se débarrasser de l’impression que tout ce charivari autour de l’oeuvre correspond à beaucoup de bruit pour rien – ou pour pas grand chose.
Pour reprendre une petite phrase chiraquienne célèbre (les auteurs ne s’en privent pas…), il s’agit d’un film “qui fait pschitt”, qui se dégonflent comme une baudruche…

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Alors qu’on attendait de l’audace, de l’impertinence, une plongée dans les arcanes de la politique et des hautes sphères du pouvoir, on se retrouve face à un objet filmique d’une platitude assez affligeante, qui se contente de relater l’irrésistible ascension de Sarkozy vers le pouvoir en l’entrelaçant, assez maladroitement d’ailleurs, avec ses déboires conjugaux, sans lui apporter le moindre relief.

Certes, les performances des acteurs sont louables. Ils ont tous travaillé à fond leurs personnages, épousant le phrasé, les mimiques et les gestuelles des politiciens qu’ils incarnent, pour un résultat saisissant.
En premier lieu, il y a Denis Podalydès, impeccable, qui a su se glisser dans la peau de Nicolas Sarkozy avec un mimétisme parfait et mettre toute l’intensité de son jeu d’acteur pour restituer le charisme naturel du chef de l’Etat.
Il y a aussi Bernard Le Coq et Samuel Labarthe, très bons en sosies de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin, Saïda Jawad, qui campe une Rachida Dati convaincante, et Hippolyte Girardot en clone de Claude Guéant…
Toutes leurs compositions sont de haut niveau. Rien à redire là-dessus.

Mais à quoi bon rechercher le réalisme si c’est pour le plomber avec des dialogues tellement appuyés, tellement truffés de petites phrases percutantes – réelles ou “à la façon de…” – qu’ils tirent le film vers la parodie.
Cela dit, une comédie pour représenter une “comédie du pouvoir” aurait pu être un parti-pris intéressant. On aurait volontiers voté pour un pamphlet politique au vitriol, dénonçant les travers de nos politiciens et leurs basses manoeuvres pour faire main basse sur les électeurs potentiels… Au moins, on en aurait eu pour notre argent…

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Las, le film revient systématiquement à un premier degré  totalement inintéressant, et on ne cesse de se demander quel est le but du film.
Nous révéler des secrets croustillants?
Pfff… On n’apprend rien sur Nicolas Sarkozy, sur les coulisses de sa campagne, sur ses difficultés conjugales de l’époque. En fait, il y a eu tellement de communication orchestrée autour de sa personne que le grand public connaît déjà toutes les étapes-clé de son ascension vers le pouvoir.

Nous montrer comment les politiciens arrivent à embobiner le peuple à l’aide de discours calibrés au mot près?
Pfff… Tous ces ouvriers qui ont perdu leur travail après avoir reçu l’assurance du contraire de la bouche du Président de la République, tous ceux qui ont “travaillé plus” pour gagner la même chose – voire moins – tous ceux qui ont vu leur pouvoir d’achat baisser, tous ceux à qui on a imposé des réformes injustes, n’ont pas besoin du film de Durringer pour comprendre cela…

Nous montrer le décalage entre le programme annoncé et le bilan du Président Sarkozy?
Pfff… Vous rêvez?  Il n’y a aucun recul critique vis-à-vis de la politique menée par Sarkozy puisque le film ne s’intéresse qu’à sa campagne. Point.
D’accord, il n’apparaît pas toujours sous son meilleur jour. On le voit parfois odieux avec ses proches, et son caractère manipulateur et calculateur est clairement démontré. Mais finalement, cela reste très soft.
C’est même Nicolas Sarkozy qui, parmi les politiciens, s’en sort le mieux à l’issue du film. La fin de son histoire avec Cécilia le rend vulnérable, donc humain, malgré tout, et touchant… Dans le même temps, Chirac apparaît comme un caïd vieillissant et rancunier. Dominique de Villepin, lui, s’en prend plein la figure. Il est dépeint comme un beau parleur haineux, prêt à tout pour écraser son rival, y compris à la calomnie. C’est d’ailleurs le seul point vraiment polémique du film : livrer un point de vue à charge dans l’affaire Clearstream alors que l’affaire est justement en train d’être jugée en appel et que l’ex-premier ministre risque d’être condamné. Mouais… Même sous le biais de la fiction, c’est quand même une atteinte à la présomption d’innocence, non?

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Quant à l’opposition, elle est tout simplement inexistante… Tout juste le nom de Ségolène Royal est-il évoqué, pour se faire railler, humilier, laminer par un conseiller en image de Sarkozy. La manoeuvre est d’autant plus douteuse et inélégante que c’est Dominique Besnehard qui joue ce rôle, et que le bonhomme avait été grassement payé pour être le conseiller en communication de la socialiste, avant de se brouiller avec elle. Il règle manifestement ses comptes ici, et personnellement, on trouve cette mentalité assez détestable…

Et on trouve aussi assez détestable l’image de la politique véhiculée par le film. Les politiciens de droite et de gauche l’ont bien cherché, c’est vrai, avec leurs promesses non tenues, leurs discours populistes, leurs volte-faces ridicules, mais la vision de Durringer et Rotman est quand même extrêmement réductrice. Quid des idées, des idéaux? Quid de l’engagement politique, de la défense de certaines valeurs républicaines? Quid du sacrifice de la vie privée pour satisfaire à ces obligations publiques? La Conquête n’en parle finalement que très peu.
C’est juste une caricature. Mais une caricature dépourvue de distance humoristique et de finesse, qui décrédibilise le discours politique et fait le jeu, finalement, des partis extrémistes…

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Sur un thème similaire, le festival de Cannes a proposé cette année deux autres oeuvres sur le jeu politique et ses conséquences humaines, bien plus pertinentes et plus subtiles : Pater d’Alain Cavalier, variation pertinente et pleine d’humour sur les idéaux politiques et leur versatilité et surtout L’Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller, plongée passionnante dans le quotidien d’un ministre en pleine ascension. Dense, profond, intelligent, surprenant, ambigu, humain, il est tout ce que n’est pas La Conquête

En fait, le film de Xavier Durringer ressemble beaucoup à son sujet et protagoniste principal, Nicolas Sarkozy.
Il appâte les spectateurs/vaches à lait avec des effets d’annonce et des belles promesses, il déploie tout un attirail de moyens bling-bling (les performances d’acteurs, les dialogues calibrés…) pour masquer la vacuité du fond. Et finalement, il il cumule les bourdes et n’offre rien du spectacle attendu.
Un petit, très petit film…

 

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La Conquête La Conquête
La Conquête

Réalisateur : Xavier Durringer
Avec : Denis Podalydès, Bernard Le Coq, Samuel Labarthe, Florence Pernel, Saïda Jawad, Hyppolite Girardot, Mathias Mlekuz
Origine : France
Genre : politique en toc
Durée : 1h45
Date de sortie France : 18/05/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Télérama

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