En République de Bubunne, qui n’a de “Populaire et Démocratique” que le nom, les femmes ont le pouvoir. La Cheffe suprême, la Générale (Anémone) veille sur son peuple d’une main de fer, chargeant la Chérife (Valérie Bonneton), d’éliminer les opposant(e)s au régime et d’étouffer toute tentative de rébellion masculine. Sa fille, la Colonelle (Charlotte Gainsbourg) a en charge les forces armées du pays, en attendant de pouvoir succéder à sa génitrice. 
Comme partout, il y a des différences de classes sociales assez manifestes. Certaines femme travaillent à l’usine pour un salaire de misère tandis que d’autres, plus bourgeoises, se la coulent douce à des postes administratifs et commerciaux.
Et les hommes, dans tout ça? Eh bien ils restent à la maison pour s’occuper des enfants, faire le ménage et préparer la cuisine – en fait, une infâme bouillie blanchâtre qui sort directement des robinets, cadeau de la Générale à son peuple chéri. Ils n’ont le droit de sortir que s’ils cachent leur pilosité tentatrice sous des voilures colorées. Cela fait partie de leurs traditions, de leurs coutumes ancestrales. Tout comme la vénération des… chevalins sacrés, qui sont à Bubunne ce que les vaches sont à l’Inde…

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Le héros, Jacky (Vincent Lacoste) est l’un des plus beaux jeunes garçons du royaume. Plusieurs familles sont venues demander sa main à sa mère, mais toutes les requêtes ont été ignorées, car le jeune homme  rêve d’épouser la Colonelle et veut à tout prix défendre ses chances lors bal de la grande Bubunnerie, au cours duquel la belle choisira son mari. Mais Jacky n’est pas le seul à avoir ce rêve. Parmi ses plus sérieux rivaux se trouvent ses cousins, Vergio (William Lebghil) et Juto (Anthony Sonigo), qui ont l’avantage de venir d’un milieu plus aisé et de pouvoir se payer les plus belles voilures, les plus beaux bijoux. Mais cela n’altère en rien la motivation de Jacky.
Toutefois,  ses rêves ne vont pas tarder à se briser.  Suite à un drame familial, il est recueilli par son oncle et sa tante qui en font immédiatement leur larbin. Plus question pour lui d’aller au bal. Il doit s’effacer pour laisser le champ libre à ses crétins de cousins…
Heureusement, une “bonne fée” – ou du moins son équivalent (Michel Hazanavicius, torse-poil)- va lui venir en aide, transformant son apparence pour qu’il puisse entrer dans la salle de bal sans invitation, et lui fournissant un carrosse pour s’y rendre – juste le chevalin, ça fera l’affaire… 

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Les plus sagaces d’entre vous auront reconnu l’intrigue de “Cendrillon”, car c’est bien une variante du conte de Perrault qu’a choisi de réaliser Riad Sattouf, pour son second long-métrage. Une variante loufoque et décalée, certes. Débile, diront certains, excédés…
Ah, ça, il faut bien reconnaître que c’est du brutal… Du Pascal Brutal, même… C’est en effet dans le deuxième tome des aventures de ce personnage de bandes-dessinées à la virilité affirmée que Riad Sattouf a pour la première fois imaginé un monde entièrement dominé par les femmes et où les rôles seraient inversés. De sa courte histoire, il n’a gardé que le contexte politique – un état totalitaire régi par les femmes, où les hommes sont réduits au rang de simples faire-valoir – et l’humour particulier, assez potache, qui ne plaira pas à tout le monde.
Pour passer un bon moment, mieux vaut adhérer tout de suite aux gags absurdes proposés par le cinéaste et ses acteurs. Sinon, la projection va vite tourner au supplice. Il est vrai qu’à première vue, le cinéaste ne fait pas dans la finesse. La parodie brasse large, très large, tournant en dérision aussi bien les régimes totalitaires de la planète, de la Corée du Nord à la Biélorussie, que les rapports de force hommes-femmes, et les situations tournent souvent au grotesque.

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Mais il faut bien comprendre la démarche du cinéaste. Le parti-pris du film est d’inverser totalement le point de vue du spectateur. Dans son univers, le système de société patriarcale dans laquelle nous évoluons est remplacé par son équivalent matriarcal. Les humiliations et violences faites aux femmes – du simple sifflement dans la rue au port du voile, ce sont ici les hommes qui les subissent. Et ce qui, pris au premier degré, pourrait choquer, révolter et être d’une tristesse abyssale se mue logiquement en comédie bête et méchante.
De par son humour grinçant et sa crétinerie assumée, dissimulant un propos bien plus subtil qu’il n’y paraît, Jacky au royaume des filles n’est pas si loin du ton de comédies de Sacha Baron Coen, qui abordent par le rire et la provocation des sujets polémiques.

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Riad Sattouf dénonce les comportements sexistes, la domination masculine et toutes les mesures qui empêchent les femmes d’être libres. De façon plus générale, il s’interroge sur les stéréotypes rattachés aux genres. Sur la place réservée aux hommes et aux femmes dans les contes de fées, par exemple. Ou sur les métiers plus “masculins” ou plus “féminins”.
Mais, autant que de guerre des sexes, il parle de lutte des classes. Car, au-delà du clivage hommes/femmes, la république fictive où se déroule l’intrigue entretient une séparation entre la bourgeoisie dominante, qui a accès aux palais dorés et aux mets les plus raffinés, et la populace, qui vit dans des maison minuscules et doit se contenter de l’infâme bouillie servie par le régime. Vu la tendance actuelle, qui voit une poignée d’individus concentrer toutes les richesses de la planète quand de plus en plus de personnes vivent en-dessous du seuil de pauvreté, la caricature n’est pas si loin de la réalité…

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Enfin, le cinéaste profite de sa trame narrative pour s’élever contre toutes les discriminations, qu’elles soient politiques, morales ou religieuses. Et il invite les spectateurs à s’interroger sur leur propre comportement face à l’Autre, face la différence. 
La fin du film, notamment, qui s’éloigne du traditionnel “happy-end” des contes de fées, montre qu’il est plus facile de sombrer dans l’obscurantisme et l’intolérance que de s’affranchir du joug des tyrans. Les peuples qui ont souffert de la tyrannie et de l’oppression, peuvent eux aussi faire preuve d’intolérance et se montrer hostiles envers ceux qui évoluent en dehors des normes.

Evoluer en dehors des normes, c’est bien ce que fait le cinéaste avec ce long-métrage atypique, qui oscille entre comédie bouffonne et fable politique cinglante. Qu’on aime ou non son humour particulier, le jeu parfois outrancier de ses comédiens, il faut au moins lui reconnaître une certaine audace, qui tranche avec ces comédies franchouillardes formatées, sans prise de risques, auxquelles nous a habitué le cinéma français depuis quelques temps. Son imagination débridée, son sens de la provocation et son découpage très vif, inspiré par la bande-dessinée, constituent de véritables bouffées d’oxygène pour notre septième art hexagonal.
On savait que Riad Sattouf était un auteur de bande-dessinées avec qui il fallait compter. En deux long-métrages, il a aussi montré qu’il était un vrai metteur en scène, inspiré et intelligent. On attend donc avec impatience de découvrir la suite de sa filmographie.

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Jacky au royaume des filles Jacky au royaume des filles
Jacky au royaume des filles

Réalisateur : Riad Sattouf 
Avec : Vincent Lacoste, Charlotte Gainsbourg, Michel Hazanavicius, Anémone, William Lebghil  
Origine : France
Genre : fable renversante
Durée : 1h30
Date de sortie France : 29/01/2014
Note pour ce film :●●●●
Contrepoint critique : L’Humanité

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