Le voilà enfin sur les écrans, ce film qui défraie la chronique depuis plusieurs mois maintenant.
Avant même sa première projection, dans le cadre du 63ème festival de Cannes, Hors-la-loi le nouveau film de Rachid Bouchareb, s’est attiré les foudres d’élus de droite et d’extrême-droite dénonçant un “appel à la haine raciale”, une “manipulation de faits historiques” et un film “honteusement partisan”… sans que ceux-là aient vu la moindre image du film, bien sûr (1)…
La journée de projection avait été perturbée par des manifestations d’anciens combattants, harkis, pieds noirs et militants pro-colonialisme, sans oublier les politiciens désireux de se mettre en avant pour l’occasion. Mais la séance elle-même s’était déroulée relativement calmement, hormis les sifflets d’un ou deux excités.

Mais voilà que la polémique reprend de plus belle avec la sortie nationale du film de Rachid Bouchareb : Certaines avant-premières ont suscité des réactions virulentes de la part d’une frange hostile du public, et des municipalités songent même à interdire la diffusion du film pour motif de trouble à l’ordre publique – la belle affaire…
Preuve que le sujet de la Guerre d’Algérie est encore tabou et que les blessures du passé ne sont pas encore cicatrisées. Preuve aussi qu’il y a encore un gros travail à mener pour éradiquer l’intolérance et l’obscurantisme au sein de la population…
Parce que franchement, toute cette affaire fait beaucoup de bruit pour pas grand chose…

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On peut reprocher bien des choses au film de Rachid Bouchareb sur le plan artistique, sur les partis-pris de mise en scène, sur le rythme du récit, etc…, mais l’accuser d’être provocateur, haineux, anti-français est totalement injustifié et profondément idiot – et je pèse mes mots…

Déjà, il faut bien préciser qu’il ne s’agit pas d’un documentaire mais d’une fiction. Un aspect d’autant plus marqué qu’il s’agit d’un film de genre – un polar doublé d’une grande fresque familiale – dans l’esprit du cinéma italo-américain des années 1960/1970, des oeuvres de Francis Ford Coppola ou de Sergio Leone.
Rachid Bouchareb ne cherche pas à livrer une reconstitution historique précise, juste à ancrer son récit dans un contexte donné, et se focaliser sur les destins croisés de ses personnages.

Il nous invite à suivre les parcours de trois algériens, trois frères issus d’une famille de paysans assez pauvre, dont la vie bascule à deux reprises.
La première scène se déroule au début des années 1930. Messaoud (Roschdy Zem), Abdelkader (Sami Bouajila) et Saïd (Jamel Debbouze) voient leurs parents se faire expulser de leurs terre au motif qu’ils ne possèdent pas de titre de propriété. Ils ont beau protester, rappeler qu’ils vivent ici depuis plusieurs générations, rien n’y fait… Le caïd du village (2) les fait déguerpir manu militari, pour installer à leur place une riche famille de colons français.
La famille se réfugie dans la banlieue de Sétif, dans une maison minuscule et y habite tout le temps de la seconde guerre mondiale, pendant laquelle Messaoud combat pour la libération de la France.

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Le 8 mai 1945, tous les français célèbrent la victoire des alliés et la Libération, d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée. Indigènes et colons se pressent dans les rues de Sétif pour fêter le retour de la paix… d’une bien courte durée, hélas.
Constatant que des militants nationalistes algériens, partisans de l’indépendance, ont profité de la liesse générale pour afficher leurs revendications, l’armée française les fait taire par la force. Des émeutes éclatent, suivies de représailles sanglantes, d’un côté comme de l’autre…
A partir de ce fait traumatisant, les trois frères suivent des voies très différentes même si leurs chemins se recroiseront plus tard, à Paris  : Abdelkader rejoint les rangs des indépendantistes et sera l’un des leaders du FLN, Saïd s’installe avec sa mère dans le bidonville de Nanterre et écoeuré de cette vie de misère, cède à la tentation de l’argent facile en rejoignant la pègre, et Messaoud continue de servir l’armée française jusqu’à ce qu’il soit récupéré lui-aussi par le FLN…
C’est depuis la métropole que les trois hommes traversent les années 1950, évoluant en marge de la loi et, de façon plus ou moins forcée, au coeur des revendications indépendantistes algériennes.

Ce qui semble provoquer la colère des détracteurs du film, c’est la “vision déformée et partisane” des événements de Sétif et la stigmatisation du comportement des policiers français face aux “groupes terroristes du FLN”.
Il est vrai que le sujet de la guerre d’Algérie en général, et des massacre de Sétif et de Guelma en particulier, fait l’objet de violentes querelles d’historiens. Certains affirment que la manifestation, initialement pacifiste,  a dérapé vers la violence quand des militants indépendantistes ont assassiné des français, et que la réaction des soldats français, certes disproportionnée, a été exacerbée par ce climat hostile et dangereux…  D’autres précisent que, si des militants ont bien tué des français, cela fait suite à des provocations et à la tentative des policiers d’interdire la manifestation des nationalistes algériens, pourtant très calmes…
Tout le monde a le droit de se forger sa propre opinion du déroulement de ce massacre et des responsabilités de chacun des deux camps. Et il est évident que ceux qui ont vécu directement les événements, ou ont dans leur entourage des proches y ayant participé, ont une vision partisane et pleine de ressentiment…

Mais connaître qui a réellement commencé les hostilités importe peu aujourd’hui. On sait maintenant que cette guerre d’Algérie a été une “sale guerre”, que des exactions impardonnables ont été commises par les deux camps, avec notamment un usage de la torture, que la violence des affrontements a laissé des traces durables…   Les massacres de Sétif et de  Guelma ne représentent qu’une partie des horreurs commises pendant ce conflit. Mais ils ont leur importance dans l’escalade de la violence qui a mené à la guerre civile…
Le bilan humain de ces massacres fluctue sensiblement d’une version à l’autre mais, le nombre de victimes est nettement plus important côté arabe (1000 à 45000 morts)  que côté français (102 morts et à peu près autant de blessés). Quelque soit le déroulement des opérations, la répression a donc été totalement disproportionnée et meurtrière. Pas franchement un exemple de démocratie…  Le gouvernement français a d’ailleurs officiellement reconnu la responsabilité de la France dans ces événements et a demandé pardon au peuple algérien…
Il est donc sûr et certain, c’est que ce massacre, dans l’esprit des arabes d’Algérie, a été vécu comme une profonde injustice, ce qui a rallié de nombreux citoyens à la cause indépendantiste, et mené de nombreux modérés à la radicalisation armée. Il est évident que cette violence a été l’un des éléments déclencheurs de la guerre d’Algérie.

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Evidemment, dans son film, Rachid Bouchareb épouse le point de vue des algériens. Comment pourrait-on l’en blâmer ? Il n’est pas historien. Il ne raconte pas l’Histoire, mais une histoire. Et dans cette histoire, il faut bien expliquer comment les trois protagonistes sont passés à la clandestinité – comme gangsters ou comme militants armés…
C’est parce qu’ils ont eu l’impression d’être spoliés, abandonnés, humiliés par le pouvoir local et l’état français que ces hommes ordinaires ont, d’une manière ou d’une autre choisi de se rebeller, en usant de la violence… Une attitude qui, aujourd’hui et en temps de paix, peut choquer, mais qui, à l’époque, leur semblait légitime…

On notera d’ailleurs que Rachid Bouchareb ne cautionne à aucun moment les actions de ses personnages. Il ne porte sur eux aucun jugement négatif, certes, mais il ne les glorifie pas pour autant… Abdelkader est un type froid et antipathique, un idéaliste prêt à tout pour défendre ses idéaux, y compris à sacrifier ses propres frères. Saïd se moque totalement du mouvement indépendantiste, et ne pense qu’à ses intérêts personnels, acquis grâce au meurtre et à l’exploitation d’autres êtres humains plus faibles que lui. Messaoud est sans doute le plus modéré des trois frères, mais il a déjà tué – c’était son métier : soldat – et est prêt à le refaire pour aider les siens…
Et, quand il se lance dans la description du camp opposé – la police française, représentée par le Colonel Faivre (Bernard Blacan), il en fait un homme dur, obéissant aux ordres, mais conscient que les choses sont en train de changer, que les algériens vont acquérir leur indépendance – et peut-être même favorable à ce changement…

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Le film ne se veut pas du tout provocateur. Au contraire !
Dans la lignée d’Indigènes, le cinéaste utilise le biais de la fiction historique, appuyée par des faits réels, pour ouvrir le débat sur un sujet donné, ayant trait aux relations souvent complexes entre les peuples français et algérien.
Que le film suscite autant de controverses est bien la preuve de la nécessité d’un tel débat autour des plaies encore ouvertes de la Guerre d’Algérie.
Il faudra bien, un jour, que l’on puisse aborder cette période avec calme et ouverture d’esprit, que les camps jadis opposés arrivent à se réconcilier et que l’on puisse vivre en bonne intelligence les uns avec les autres…
Et si ce film ne parvient pas à toucher le public, un autre y parviendra dans un an, dix ans ou cent ans…
Donc, n’écoutez pas ceux qui hurlent au scandale tout en créant une polémique qui n’a pas lieu d’être, qui crient à l’intolérance alors qu’ils font tout pour censurer une simple oeuvre d’art, qui dénoncent une manipulation des faits historiques en s’appuyant sur les avis d’experts jadis membres de l’armée française – difficile de croire à leur parfaite objectivité… Si vous avez envie d’aller voir Hors-la-loi, allez-y, et forgez-vous votre propre opinion…

Maintenant, abandonnons le terrain politico-historique (hystérique?) et parlons un peu cinéma… Car si Hors-la-loi n’est pas vraiment attaquable quant à son sujet et à ses intentions, il est plus discutable dans ses choix de mise en scène.
Rachid Bouchareb livre un film de facture très classique – “efficace” pour certains, “académique” pour d’autres… De fait, si certaines séquences impressionnent de par leur élégance et l’amplitude des mouvements de caméra, l’impact certain des plans larges, d’autres restent désespérément plates, empêchant la montée de l’émotion.
On peut donc rester totalement imperméable à ce spectacle mené sans temps morts, mais qui peine un peu à nous entraîner, à nous choquer, à nous bouleverser…

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D’autant que les acteurs, si bons dans Indigènes, sont cette fois moins convaincants. Malgré toute l’estime que l’on peut avoir pour Sami Bouajila et Jamel Debbouze, il faut bien reconnaître qu’ils ne convenaient pas vraiment à ces rôles-là.
Le premier n’est pas crédible en leader charismatique du FLN, le second n’a pas vraiment le physique-type du gangster sans pitié… Bernard Bancan, un peu trop raide, n’est guère plus convaincant en fonctionnaire/philosophe…
Seul Roschdy Zem tire un peu mieux son épingle du jeu, dans un rôle il est vrai assez proche de celui qu’il jouait dans Indigènes. Et Chafia Boudraa est elle-aussi impeccable dans le rôle de la mère de cette fratrie en pleine tempête…

Si Hors-la-loi lorgne du côté des films de Leone et de Coppola, il n’en possède hélas pas l’ampleur narrative, trop classique et un brin timoré dans ses choix de mise en scène, et pèche du côté de ses acteurs, pas mauvais mais moins bons que prévus. C’est néanmoins une fresque romanesque qui ne manque pas de souffle, nous permettant de suivre sans ennui les destinées de trois hommes plongés dans un contexte politique et social très trouble. Et le film, qu’on l’accepte ou non, a le mérite d’entrouvrir la porte à une question encore taboue sur nos écrans : le traumatisme de la guerre d’Algérie…

(1) : Lionnel Luca, député UMP de la région PACA, a été l’un des premiers à critiquer le film, s’axant sur la critique du scénario qu’en ont faite des membres du Service Historique de la Défense. Il a depuis vu le film et est toujours aussi virulent… (le contraire eût-été étonnant…
(2) : Caïd : Notable nord-africain ayant une fonction administratives, judiciaire, financière. et/ou religieuse. Une sorte de chef de village, ou de tribu.

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Hors-la-loi

Réalisateur : Rachid Bouchareb
Avec : Sami Bouajila, Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Bernard Blancan, Sabrina Seyvecou, Chafia Boudraa
Origine : Algérie, France, Belgique
Genre : fresque familiale historique  mâtinée de thriller.
Durée : 2h18
Date de sortie France : 22/09/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Laterna Magica
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