Dans un dialogue devenu culte de Pulp Fiction, un personnage vantait les “petites différences” de la culture européenne par rapport à la culture américaine.
Une nouvelle preuve nous en est donnée avec Gold, le film de Thomas Arslan. S’il s’agit bien d’un western pur jus – le genre de film typiquement américain – il a été écrit, réalisé et interprété par une équipe complètement allemande. Et c’est ce qui fait toute la différence.
Premier point de décalage, la zone géographique concernée. D’ordinaire, quand on parle de western, logiquement, l’action se déroule dans l’Ouest américain. La Californie, le Nouveau-Mexique, l’Arizona, l’Utah… Ici, le périple des personnages les entraîne plutôt vers le Nord-Ouest, de New-York jusqu’à Dawson, en Colombie Britannique, au cours de la ruée vers l’or du Klondike.
Seconde différence, et de taille. Alors que la plupart des westerns américains ont pour héros des mâles virils, c’est une femme qui tient ici le rôle principal.
Emily Meyer (Nina Hoss) est une allemande qui a émigré vers les Etats-Unis et qui, après quelques années d’une vie morne à Chicago et un mariage raté, investit ses économies dans le voyage vers Dawson City, le soit-disant Nouvel Eldorado. Elle s’insère dans un groupe d’immigrés allemands, comme elle, dirigé par Wilhelm Laser (Peter Kurth). Ses compagnons de voyage sont Otto et Maria Dietz (Wolfgang Packhäuser et Rosa Enskat), Joseph Rossmann (Lars Rudolph) et Gustav Müller (Uwe Bohm), un journaliste qui ne tarde pas à lui faire les yeux doux en jouant les protecteurs. Mais Emily n’a rien d’une “pied-tendre” et n’a pas vraiment besoin qu’on s’occupe d’elle. Elle est plus taillée pour l’aventure que ses compagnons de voyage : plus courageuse, plus intelligente, plus sage. Elle préfère sympathiser avec Carl Boehmer (Marko Mandic), le porteur du groupe, également en charge des chevaux, qui a l’air un peu plus malin que les autres.
Autant qu’un western, Gold est le portrait d’une femme moderne – en avance sur son temps, pour l’époque – qui sait parfaitement ce qu’elle veut et qui gère sa vie seule, sans mari ni attaches. Une battante, une travailleuse qui ne fuit pas devant les responsabilités. Une amazone qui sait aussi se montrer féminine et sensible quand il le faut. Pour un western, ce n’est pas banal, même s’il y a eu quelques personnages féminins forts incarnés par Marilyn Monroe, Barbara Stanwyck, Joan Crawford…
En fait, le film de Thomas Arslan ressemble beaucoup à La Dernière piste de Kelly Reichardt, sorti il y a deux ans et qui lui aussi était axé autour d’un personnage féminin fort, s’imposant dans un milieu plutôt macho. Une autre Emily, campée par Michelle Williams.
Outre la place prépondérante occupée par leur personnage féminin, les deux films développent des arcs narratifs communs, des thématiques communes et un rythme là encore atypique pour un western hollywoodien traditionnel.
L’action y est plutôt rare, les cinéastes préférant prendre le temps de s’intéresser à leurs personnages et aux liens qui les unissent, offrant aux acteurs la possibilité de donner la pleine mesure de leur talent.
Dernière différence par rapport au western américain, les motivations des personnages.
Dans le film hollywoodien classique, les héros qui entament une ruée vers l’or sont motivés exclusivement par l’appât du gain. Et souvent, comme dans Le Trésor de la Sierra Madre, les personnages se déchirent par cupidité et par jalousie.
Ici, le petit groupe qui part pour le fin fond du Canada sauvage est certes attiré par l’opportunité de trouver de l’or et de faire fortune, mais aussi et surtout parce qu’ils n’ont plus d’autre option que de risquer leurs dernières économies et leur vie pour pouvoir prétendre à un avenir meilleur.
Otto et Maria ont vendu leur restaurant, peu rentable, pour tenter de trouver de l’or et s’offrir ainsi de vieux jours plus tranquilles. Joseph est un père de famille qui veut pouvoir loger sa famille autrement que dans l’appartement newyorkais minuscule et miteux qu’ils occupent actuellement. Il part pour Dawson avec l’espoir d’y gagner suffisamment pour permettre à ses enfants de vivre décemment. Emily veut fuir un mariage raté et une vie au service des autres. Le Canada est pour elle une destination comme une autre. Seuls Laser et, dans une moindre mesure, Müller, expriment ouvertement leur envie de faire fortune. Et encore, on les soupçonne d’entreprendre aussi ce voyage pour le plaisir de diriger un groupe, d’affirmer leur leadership sur leurs compagnons d’équipage…
Et si l’unité du groupe finira par voler en éclats, ce sera plus pour des questions d’ordre moral ou, tout simplement, parce que la plupart des voyageurs ne sont pas suffisamment forts pour aller jusqu’au bout de l’aventure. Car évidemment, le périple de New-York jusqu’à Dawson n’est pas une partie de plaisir. Entre le climat, les animaux sauvages, les rivières, les pentes montagneuses, les guides indiens pas toujours honnêtes et la “route” non-balisée, les dangers sont multiples…
C’est peut-être là que le film pèche un peu. On ne ressent pas assez le côté périlleux de l’équipée, hormis lors d’une scène d’opération chirurgicale de fortune qui fera probablement blêmir les âmes les plus sensibles. On aurait aimé que le cinéaste nous communique un peu plus le désarroi des personnages perdus dans des espaces trop grands pour eux, nous fasse éprouver la chaleur, le froid, le souffle des loups ou des ours sauvages. Bref ce que l’on aime (quand même!) dans le western classique.
Autre petit défaut notable, le dénouement, qui repose sur un rebondissement un peu trop scénarisé, trop “fabriqué” pour convaincre, et qui tranche avec l’approche réaliste adoptée jusque-là. Dommage…
A cause de ces petits reproches, Gold n’est pas, hélas, une pure pépite cinématographique 24 carats. Mais attention, ce n’est pas non plus un nanar plaqué or, loin s’en faut. Vous pouvez donc chevaucher en toute confiance jusqu’à la salle obscure la plus proche pour le découvrir. A priori le périple ne devrait pas être trop compliqué, même pour le plus “pied-tendre” d’entre vous, et à l’arrivée, vous verrez une intéressante relecture du western, forte de ces “petites différences” qui font le charme de la Vieille Europe…
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Gold Gold Réalisateur : Thomas Arslan |
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