Toni Servillo

Le grand public français le connaît peu, voire pas du tout, mais pourtant, Toni Servillo est l’un des meilleurs acteurs italiens, ayant accumulé les rôles marquants au théâtre et au cinéma.
Il a notamment glané trois David Di Donatello du meilleur acteur (l’équivalent italien des César), deux European Film Awards du meilleur acteur. Et au théâtre, il vient de remporter trois prix importants, dont meilleure pièce, meilleur metteur en scène et meilleur comédien pour “La Voci di Dentro”.
En France, les cinéphiles l’ont particulièrement remarqué lors du Festival de Cannes 2008, où il brillait à la fois dans Gomorra et Il Divo, tous deux primés par le jury. Et il a joué aux côtés de Jean Dujardin et Marie-Josée Croze dans Un Balcon sur la mer.
Aujourd’hui, il se montre une fois de plus remarquable dans Viva la libertà de Roberto Ando, où il incarne deux frères jumeaux aux personnalités radicalement opposées. A l’occasion de la sortie du film en salles, nous avons eu la chance de pouvoir l’interviewer.
Rencontre avec un homme volubile, charmeur, chaleureux, mais très humble, malgré son impressionnante carrière.

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Après “Il Divo” et “La Belle endormie”, c’est la troisième fois que vous incarnez un homme politique. Vous adorez jouer ce genre de rôle?

Non, franchement, c’est un hasard. Et les rôles sont de toute façon très différents. Dans Il Divo, j’incarne un personnage qui a vraiment existé, et qui est une figure marquante de l’histoire politique italienne. Même s’il y a beaucoup de fantaisie dans le film, le rôle exigeait beaucoup de rigueur pour coller au personnage réel.  Le film de Bellocchio n’est pas à proprement parler sur la politique mais sur l’euthanasie, un sujet de société qui a suscité de longs et profonds débats en Italie. Mon personnage est un politicien, mais sa fonction n’est pas importante. Ses interrogations sur ce sujet délicat sont celles qui auraient traversé n’importe quel autre être humain. Le film d’Ando, lui, a une structure de fable, de conte. Il utilise un vieux procédé de théâtre qui est la substitution d’un jumeau par un autre. Le politicien que j’incarne, Enrico,  a choisi cette profession pour s’éloigner de la vie, mais il est frappé par une profonde dépression qui l’incite à se retirer de la vie publique et de la vie politique pour se partir se ressourcer loin du tumulte romain.
Son entourage lui substitue son frère jumeau, Giovanni,  qui souffre de troubles bipolaires. Ce n’est pas un fou, mais un maniaco-dépressif. Un intellectuel qui a un rapport complètement différent à la vie. C’est quelqu’un qui n’appréhende pas la politique comme
quelque chose d’abstrait, théorique, mais au contraire comme quelque chose de concret. Il accepte qu’il puisse y avoir une succession de hauts et de bas. On tombe, mais on se relève, encore et encore, et on continue d’avancer… C’est pour cela qu’il est très proche des gens.

Et il remplace ainsi avantageusement son jumeau…  De ce fait, ne pensez-vous pas qu’il faut un peu de folie pour réussir en tant qu’homme politique?

Je pense que dans tous les métiers où il y a une grande ambition, il  faut quelque chose qui dépasse la frontière de la rigidité et de l’abstraction, quelque chose d’imprévisible. C’est ce qui me fascine chez Giovanni. Son côté totalement imprévisible, imprédictible. C’est très bien restitué dans le film. Au moment le plus important de la campagne électorale, il décide d’organiser un meeting pour parler à une grande foule alors que cela ne se fait plus trop en Italie, les politiciens préférant désormais les débats télévisés. Et il utilise les mots d’un poète – Bertold Brecht – pour toucher ses auditeurs. Des mots qui lui viennent comme ça, parce que la foule a besoin de les entendre.

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L’idée la plus belle de “Viva la libertà” est de vous offrir ce double rôle. Car ainsi, on profite doublement d’un des meilleurs acteurs italiens. 

Merci. Cela me flatte beaucoup. Je suis surtout très reconnaissant à Roberto Ando de m’avoir offert ce double rôle. C’est un rêve pour un acteur, de pouvoir incarner deux personnages aussi complexes.

Comment s’est organisé le tournage? Vous avez alterné les deux rôles tout au long du tournage ou bien avez vous d’abord tourné les scènes concernant le premier jumeau avant de tourner d’un bloc toutes les scènes du second?

En fait, l’ordre du tournage a été imposé par les lieux de tournages. On a d’abord tourné en Italie, ce qui constitue la plus grande partie du film, puis le tournage s’est poursuivi en France, ce qui concerne donc plutôt le personnage d’Enrico.

Vous parlez parfaitement français…

Non, je ne dirais pas que je le parle parfaitement. Il est vrai que je le maîtrise mieux que d’autres langues étrangères, mais je ne suis pas parfaitement bilingue, loin de là!

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Pour en revenir au(x) rôle(s), le film parle des masques que portent les individus en société, et notamment les politiciens, qui doivent cacher leur véritable nature derrière l’image que l’on attend d’eux. Il est aussi question du métier d’acteur, à travers le personnage de Valeria Bruni-Tedeschi.
Est-ce que ce parallèle entre le politicien et l’acteur, qui doivent toujours porter des “masques” en public, vous a aussi incité à participer à ce projet? 

Oui, bien sûr. Le film tourne un peu autour de cela. Le personnage du réalisateur, mari de Valeria Bruni-Tedeschi dans le film, établit clairement un lien lien entre l’homme politique et l’acteur. Et tout le jeu autour de l’interchangeabilité des deux frères, sans que personne ne puisse déceler la supercherie, montre bien les similitudes entre les deux professions.
Mais la vraie question, la plus intéressante selon moi, est de savoir si l’attitude du politicien repose uniquement sur le mensonge ou s’il n’y a pas une part de vérité dans ce mensonge. C’est un paradoxe passionnant…

Vous jouez également au théâtre, à Bobigny, dans “La voci di dentro”, d’Eduardo De Filippo, que vous mettez aussi en scène. Comment vivez vous cette double casquette d’acteur et de metteur en scène?

Je suis metteur en scène de théâtre comme bien d’autres comédiens bien plus importants que moi l’ont été avant moi. C’est à dire que je me considère moins comme un chef d’orchestre que comme un Premier Violon dans un concerto d’instruments à cordes. Par convention, je m’attribue le titre de metteur en scène, mais je suis plutôt un Premier Acteur, celui qui donne le tempo et entraîne les autres.

Le voci di dentro 
Di Eduardo De Filippo
Regia di Toni Servillo
Nella foto da sx Peppe Servillo (Carlo Saporito), Toni Servillo (Alberto Saporito)
Foto di Fabio Esposito
una coproduzione Piccolo Teatro, Teatro di Roma, Teatri Uniti in collaborazione con Théâtre du Gymnase Marseille

Pensez-vous aussi mettre en scène un film?

Non. On ne peut jamais dire jamais, mais il n’est pas dans mes intention de passer à la réalisation au cinéma. Au cinéma, ce qui me plaît vraiment, c’est de faire l’acteur. Et je ne me sens pas capable de faire quelque chose de bien derrière une caméra. Il y a tant d’acteurs qui, dans l’histoire du cinéma, sont passé à la réalisation et livré des films sublimes, comme Chaplin, Welles, De Sica, que cela inhibe chez moi toute envie de me lancer sur leur traces. Je ne suis rien par rapport à leur génie.

Vous avez remporté récemment le titre de meilleur acteur européen de l’année, pour votre rôle pour “La Grande Bellezza”. Pensez-vous que cette reconnaissance est une bouffée d’oxygène dans un cinéma italien en crise actuellement?

Quel secteur d’activité, quel pays, ne connaît pas la crise actuellement? C’est le système qui est en crise, pas la vitalité et l’imagination des jeunes artistes italiens. Bien sûr, certains projets sont plus difficile à monter financièrement, mais le cinéma italien continue de prouver chaque année sa vivacité. Des auteurs comme Paolo Sorrentino, Matteo Garrone et bien d’autres connaissent des succès dans les festivals internationaux et leurs films réussissent à traverser l’Atlantique pour être projetés et admirés aux Etats-Unis. Et ce qui est beau, c’est que ce sont des oeuvres audacieuses qui parviennent à trouver leur public. Les prix, nous les recevons comme un  encouragement à persévérer dans cette voie, à continuer à faire des films audacieux.

Merci beaucoup, Toni Servillo. Nous espérons que “Viva la libertà” saura être apprécié par le public français!

[Entretien réalisé le 14 janvier 2014, dans les locaux de Bellissima Films.
Merci à Agnès Leroy, Alexis Delage-Toriel (Le PublicSystème Cinéma) et Laetitia Antonietti (Bellissima Films) pour l’organisation de cet entretien]

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