Ce n’est pas parce que le premier long-métrage de Louis-Julien Petit s’appelle Discount et qu’il sort en plein pendant les Soldes qu’il s’agit pour autant d’un film au rabais. Cette petite comédie, qui fleure bon l’artisanat local, se distingue même assez nettement des produits bon marché, tantôt insipides, tantôt frelatés, proposés au rayon “comédie française” des gros producteurs. Ici, pas de romance improbable, mais un propos à forte portée sociale, dans l’air du temps, qui invite à la réflexion et à la rébellion. Pas de caricature grossière du Français moyen, beauf, raciste et égocentrique, mais le portrait de gens ordinaires, essayant de gagner leur vie dans un contexte difficile.

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Discount, c’est l’histoire de cinq employés d’un supermarché de “hard-discount” dans le nord de la France, qui se révoltent à leur façon contre leur licenciement programmé. Leur patronne, Sofia Benahoui (Zabou Breitman), mise sous pression par les dirigeants du groupe pour accroître les profits et limiter les coûts, a décidé d’installer des caisses automatiques. Ceci implique évidemment le licenciement de plusieurs agents de caisse. Elle a convoqué un par un tous ses employés pour leur expliquer la situation. Dorénavant, tous se retrouvent en compétition les uns avec les autres. Seuls les plus efficaces seront conservés et les autres seront renvoyés sans ménagement. Christiane (Corinne Masiero), Alfred (Pascal Demolon), Gilles (Olivier Barthélémy), Emma (Sarah Suco) et Momo (M’Barek Belkouk) encaissent le coup, conscients qu’ils feront sûrement partie des premiers à être virés.

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Pour eux, cette compétition fratricide entre les employés est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Passe encore qu’ils doivent travailler dur pour gagner le SMIC, qu’ils se ruinent le squelette à répéter les mêmes gestes matin, midi et soir… Passe encore qu’ils doivent supporter le “bip” des lecteurs de codes-barres et les humeurs des clients. Passe encore qu’ils soient fouillés à la sortie par les vigiles, comme de vulgaires voleurs. Mais voilà qu’on leur colle des garde-chiourmes censés surveiller tous leurs faits et gestes, les chronométrer, les évaluer, qu’on leur supprime les chaises en caisse, parce qu’ils devraient mieux travailler debout, ou qu’on leur réduit leurs rares pauses à une poignée de secondes… Et en plus, on leur demande de garder le sourire, d’être avenants avec les clients et le reste du personnel. Trop, c’est trop! Mais que faire contre ces injustices? Comment lutter contre ces conditions de travail indignes?
Se rebeller contre leurs “geôliers”? Cela ne fera qu’accélérer leur licenciement et, coincés pour faute lourde, ils ne toucheront même pas leur maigre prime de licenciement… Faire grève? Leurs salaires seront amputés du temps passé à manifester. Impossible, donc, car la plupart d’entre eux ont absolument besoin d’argent pour boucler des fins de mois difficiles. Tant qu’ils en ont la possibilité, ils doivent continuer à travailler. Cela ne fait que repousser l’inéluctable échéance, mais c’est toujours ça de gagné.
Gilles propose alors un plan audacieux à ses petits camarades. La prime de licenciement, ils vont se la constituer eux-mêmes, en escamotant des produits des rayons pour les revendre clandestinement dans leur propre magasin de hard-discount solidaire. Le principe est celui des ventes privées. Une clientèle triée sur le volet de gens très modestes, chômeurs, retraités et smicards, a la possibilité d’acheter de nombreux produits à très bas prix. Le bénéfice net des ventes va directement dans les poches des cinq complices, à parts égales, de quoi doubler ou tripler son salaire en seulement quelques heures.

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Evidemment, cela n’est pas très légal. On peut même appeler cela du vol, ce qui refroidit quand même quelques-uns des membres du groupe. Leur fierté, c’est de ne jamais avoir volé qui que ce soit, d’avoir travaillé honnêtement, d’avoir payé leurs impôts…
Gilles parvient malgré tout à les convaincre. Le supermarché détruit chaque jour des dizaines de kilos de marchandises sur le point d’être périmées. Les conserves abîmées sont jetées aux ordures. Les fruits, les légumes, les barquettes de viandes sont piétinées puis arrosées d’eau de javel pour que personne ne puisse les récupérer. Les dirigeants de la chaîne s’enrichissent sur le dos des petits producteurs agricoles et préfèrent gâcher la nourriture que la distribuer à ceux qui crèvent la faim, dans les quartiers avoisinants. Détourner ces denrées destinées à être détruites, c’est faire un acte citoyen. De toute façon, est-il illégal de voler des voleurs? Est-il vraiment malhonnête de récupérer la prime qu’ils méritent tout en aidant d’autres pauvres gens à survivre?
Les vrais voleurs, ce sont les banques, qui facturent des agios à des personnes qui essaient de survivre avec de tous petits salaires. Ce sont les propriétaires qui louent à des taux usuriers. Ce sont les entrepreneurs qui licencient sans vergogne, malgré d’importants bénéfices.
Ensemble, les cinq employés vont donc jouer les Robins des Bois et mettre en place leur marché parallèle, rencontrant une forte adhésion de la population locale.

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L’objectif du cinéaste, c’est d’ouvrir le regard des spectateurs, les inviter à se révolter contre un système inique qui accentue la fracture sociale. C’est montrer qu’un autre modèle est possible, mettant en exergue la solidarité, l’entraide, le partage, l’écoute mutuelle. Ce qui mine les sociétés occidentales, ce sont les comportements individualistes, égoïstes, le repli sur soi, le manque de considération pour autrui.
Il montre l’application de cette logique individualiste, pilier du libéralisme économique, en décrivant les différentes strates composant l’organigramme du supermarché. Tout en haut de la pyramide, un groupe de financiers qui ne cherche qu’à accroître ses bénéfices, insensible à ce qu’il se passe à la base. Leur logique économique est implacable. Une machine est plus rapide qu’un être humain et coûte moins cher. Donc, pour augmenter ses bénéfices, il faut licencier les caissières et les remplacer par des automates. Mais hors de question de faire la salle besogne eux-mêmes. Pour cela, il y a la gérante de la superette. Sofia Benahoui subit la pression “amicale” de ses supérieurs au siège de la chaîne et comprend qu’elle va devoir suivre leur logique pour garder son poste. On comprend qu’elle a travaillé dur pour obtenir cette responsabilité, au détriment de sa vie privée. Elle ne peut pas se permettre de perdre cela. Alors, elle applique les consignes à la lettre, et tant pis pour les employés les moins efficaces…
Les vigiles ne sont pas forcément de mauvais bougres, mais pour garder leur poste, ils n’hésitent pas à malmener leurs collègues caissiers ou manutentionnaires. Et les employés eux-mêmes sont prêts à entrer en compétition pour garder leur poste.
Les cinq Robins des Bois constituent un peu l’exception à la règle, avec leur système solidaire. Mais là encore, l’équilibre est très précaire. Tant que tout va bien, le groupe reste uni, mais dès les premières difficultés, les membres se remettent à penser à leurs intérêts personnels, et la petite entreprise se met à vaciller.

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Pourtant, le modèle qu’ils défendent mérite qu’on s’y intéresse. En proposant des produits à bas coût, les cinq rebelles permettent aux plus démunis l’accès à des produits qu’ils ne pouvaient plus se payer, faute de moyens. Ils les réinsèrent dans la société de consommation. Ils créent aussi du lien entre les personnes. Entre personnes âgées et jeunes désoeuvrés. Entre chômeurs et actifs.
Autour de leur commerce solidaire, de nombreuses initiatives se mettent en place. Une sorte de “soupe populaire” où tout le monde peut manger et boire à moindre coût et pendant laquelle les gens peuvent discuter. Un troc de services, qui permet, là encore, d’obtenir l’aide voulue en utilisant au mieux les compétences des autres…
La perspective de pouvoir compter sur l’aide de ses voisins est tout de même plus réjouissante que celle de crever de faim et de froid seul dans son coin, non?
Evidemment, l’idée ne plait pas à tout le monde. A commencer par les commerçants, qui considèrent cela comme de la concurrence déloyale. Mais avec le nombre de chômeurs qui augmente et le pouvoir d’achat des classes moyennes qui diminue, il y aura de moins en moins de monde capable de payer au prix fort les articles vendus en magasin… Et puis, dans le cas des hypermarchés, l’idée de concurrence déloyale fait gentiment sourire. Le enseignes de grande distribution sont connues pour étrangler leurs fournisseurs avec un système de marges et de ristournes des plus contraignants, pour favoriser les gros producteurs que les petits exploitants agricoles, et pour faire péricliter les petits commerces de proximité, incapables de s’ligner sur leurs tarifs. Quant à la politique de destruction à la javel des produits alimentaires sur le point d’être périmés, elle est appliquée dans bien des enseignes, au mépris total des plus démunis…

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Louis-Julien Petit a le mérite de mettre un gros coup de pied dans la fourmilière, dénonçant les conditions de travail difficiles, souvent à la limite de l’esclavage, subies par les employés de ces supermarchés. On aime beaucoup Discount pour cela. Pour son côté militant, son humanisme, sa générosité. Des qualités qui font oublier les défauts du film, comme le manque d’ampleur de la mise en scène ou les baisses de régime du scénario.
Et puis, il y a cette formidable troupe d’acteurs, tous remarquables. On connaissait déjà le talent hors normes de Corinne Masiero, formidable dans Louise Wimmer, l’un de nos coups de coeur des années passées, et de Pascal Demolon. On découvre celui de Sarah Suco, touchante en mère célibataire luttant pour joindre les deux bouts. Et on redécouvre celui d’Olivier Barthélémy et de M’Barek Belkouk. On sent chez eux une véritable complicité, une envie de porter à l’unisson les idéaux défendus par le cinéaste. Solidaires.

Enfin, saluons la démarche de la production du film, qui applique à la lettre cette idée d’économie solidaire en reposant sur un budget minimaliste, complété par le recours à une plateforme de financement participatif.

Pas sûr, en revanche, que les salles de cinéma cassent les prix des billets pour voir Discount. Hélas… Mais bon, pour une place achetée, vous aurez droit à une bonne dose d’humanisme, de générosité et d’optimisme offerte. C’est ce qui s’appelle un bon deal…

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Discount

Réalisateur : Louis-Julien Petit
Avec : Corinne Masiero, Pascal Demolon, Olivier Barthélémy, Zabou Breitman, Sarah Suco, M’Barek Belkouk
Origine : France
Genre : militant
Durée : 1h45
date de sortie France : 21/01/2015
Note :
Contrepoint critique : Les Inrockuptibles

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