Le jeu de la reine affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle?

Du jeu dangereux de la Reine Catherine Parr (Alicia Vikander), épouse du Roi Henri VIII d’Angleterre & d’Irlande (Jude Law, méconnaissable), qui, profitant de l’absence de son époux et du statut de régente que celui-ci lui a confié pendant qu’il est parti guerroyer en France, rend visite à une amie d’enfance, Anne Askew. Pourquoi dangereux, nous direz-vous? Qu’y a-t-il de mal à rendre visite à une vieille amie? Eh bien cette-dernière est devenue l’égérie des Protestants, considérés comme hérétiques par l’Eglise Anglicane, et une farouche opposante au régime en place, incitant à la révolte contre Henry VIII. S’il venait à prendre connaissance de cette rencontre, le bonhomme risquerait fort de se mettre en colère, ce qui ne serait pas une bonne chose vu le sort qu’ont connu ses cinq premières épouses : Catherine d’Aragon ? Expulsée de la cour, envoyée dans un couvent après l’annulation du mariage, juste pour ne pas avoir su lui donner un héritier mâle…  Anne Boleyn? Décapitée après avoir été accusée d’adultère et d’inceste… Jeanne Seymour? Décédée durant son accouchement… Anne de Clèves ? Mariage annulé rapidement, sa tête ne revenant pas au roi – mais au moins l’a-t-elle gardée sur les épaules, elle. C’est Cromwell, conseiller d’Henri VIII, qui a pris à sa place… Couic! Décapité et la tête bouillie – on n’est jamais trop prudent… Catherine Howard? Couic! Décapitée! Elle folâtrait avec deux autres hommes que son royal époux…
Bref, au vu des antécédents du souverain, mieux vaut être dans ses bonnes grâces, surtout s’il est dans une phase paranoïaque et irritable. Mais évidemment, tant que personne ne dénonce Catherine Parr, celle-ci n’a rien à craindre. Heureusement, ce n’est pas le genre des familles proches de la cour de colporter les ragots… Oh wait!
Evidemment, certains voient l’occasion rêvée de se débarrasser de la reine. Certaines familles nobles se disent qu’ils pourraient placer une septième femme dans le lit du souverain, si possible appartenant à leur clan, ou, conscients que la fin du roi est proche, la faute à un vilain ulcère au pied, tentent de se rapprocher des héritiers ou des héritières potentielles. D’autres, hostiles aux positions progressistes de Catherine en matière de religion, se disent que ce soutien indirect aux protestants pourrait même permettre de la faire condamner pour hérésie. Ce qui signifie “couic!”, donc…

Pourquoi on se barbe (bleue) devant ce film ?

Comme beaucoup de festivaliers, nous avions beaucoup aimé le film précédent de Karim Aïnouz, La Vie invisible d’Euridice Gusmao, Grand Prix Un Certain Regard en 2019. Ce drame flamboyant, à l’image des grands mélodrames du cinéma hollywoodien d’antan, ceux de Sirk ou Minelli en tête, s’articulait autour des destins de deux femmes, deux soeurs, essayant de sortir du carcan patriarcal de la société brésilienne des années 1950 pour accomplir leurs rêves.
Aussi, on attendait de voir ce que le cinéaste pourrait tirer de cette histoire-là, également construite autour d’une figure féminine forte, cherchant à trouver sa place dans un microcosme régi par des hommes tyranniques, des conseillers religieux s’abritant derrière des dogmes pour conserver leur petit pouvoir et des familles de nobliaux prêts à intriguer pour gagner les faveurs du souverain. Il dresse effectivement un beau portrait de Catherine Parr, parfaitement incarnée par Alicia Vikander, en dépeignant une femme autonome, forte, aux convictions politiques et religieuses affirmées, mais suffisamment intelligente pour savoir quand se mettre en retrait, de façon à ne pas irriter le roi. Sauf, évidemment, la fois où elle montre un peu trop de compassion pour le sort réservé à Anne Askew – Double couic! Ecartelée et brûlée vive – ce qui provoque la colère d’Henry VIII et marque la fin de son état de grâce.

Le cinéaste la filme avec une admiration non-dissimulée et montre l’impact qu’elle a pu avoir sur sa belle-fille, Elizabeth (Junia Rees). La fille d’Henry VIII et Anne Boleyn, en troisième position dans la succession royale, arriva sur le trône sous le titre d’Elizabeth 1ère, en 1559, après la mort de son père et les règnes assez courts de son demi-frère Edward (VI) et sa demi-soeur Mary (1ère, “Bloody Mary”). Elle occupa la fonction de reine pendant plus de 44 ans, soit plus longtemps que la plupart des souverains d’Angleterre de cette époque et mis en place de nombreuses réformes, notamment en matière de religion.
Toute cette partie n’est pas dans le film – mais dans les films de Shekhar Kapur, avec Cate Blanchett. En revanche, Karim Aïnouz préfigure, avec le personnage de Catherine Parr, ce que peut être une femme politique moderne, plus fine et habile que la moyenne.

Le problème, c’est que tout cet aspect politique est quelque peu relégué au second plan pour laisser place à une description de la relation orageuse entre Catherine et Henry VIII et à une sorte de thriller plus terre-à-terre, dont le seul enjeu est le sort que celui qui inspira, plus tard, le conte de Perrault, “Barbe Bleue”, réserve à sa sixième épouse. Evidemment, quand on connaît un peu l’histoire d’Angleterre de cette période, ce qui est probablement le cas de nombreux spectateurs ayant vu le film d’Alexander Korda, La Vie privée d’Henry VIII, celui de George Sidney, La Reine Vierge ou, plus récemment, la série Les Tudors, le suspense est un peu tué dans l’oeuf.
On aurait aimé une vraie fresque historique, une oeuvre plus tortueuse, plus complexe, montrant les intrigues de palais et leurs conséquences sur les personnages et on aurait aimé que le film se prolonge au-delà de la mort d’Henry VIII, montrant notamment les conséquences funestes de cette période de transition du pouvoir sur plusieurs des protagonistes (Thomas Seymour, Edward VI, Jeanne Grey, John Dudley). Hélas, Karim Aïnouz a décidé de faire relativement court (2h) et de se concentrer sur les joutes verbales entre Alicia Vikander et Jude Law. Certes, ils sont très bons tous les deux, mais c’est insuffisant pour nous captiver. On finit par s’ennuyer poliment, d’autant que la mise en scène est bien trop sage et se refuse – le choix se défend – de montrer des choses horribles à l’écran, excepté l’ulcère purulent du brave Henry. Pas de couic face caméra, mais du beurk, donc…

Sur la Croisette, l’accueil a été mitigé, tiède en projection de presse, un peu plus chaleureux lors de la projection officielle. Peut-être le film saura-t-il attirer des spectateurs grâce à son casting luxueux, qui, outre ses deux acteurs principaux, s’appuie aussi sur de solides acteurs britanniques (Sam Riley, Simon Russell Beale, Eddie Marsan, Bryony Hannah, Andy Milligan…).  Sinon, il y a fort à craindre que son sort soit vite scellé… Couic! Coupez!

Contrepoints critiques :

”Dans la forme, le film de Karim Aïnouz coche toutes les cases d’un film historique réussi, sans en renverser les codes : costumes d’époque, décors fidèles, ambiance tamisée à lueur des bougies et intrigues de cour, mais ce sont surtout les acteurs qui s’illustrent. (…) Alicia Vikander maîtrise son jeu : tantôt intrigante ou dépassée par ses sentiments, elle joue habilement de l’amour que Henri VIII, malgré toute sa cruauté, assure lui porter, et de sa relation avec ses beaux-enfants, issus des mariages précédents de ce roi marié six fois et auquel elle ne parvient pas à donner un autre héritier(…). Jude Law, de son côté, est formidable en monarque tyrannique et difforme, rongé par la paranoïa.”
(Kahina Sekkai – Vanity Fair)

”On tient peut-être la catastrophe industrielle de cette compétition : Karim Aïnouz, auteur du remarqué La Vie invisible d’Eurídice Gusmão, signe un film en costumes qui ferait passer le dernier Maïwenn pour Barry Lyndon. Si le cadre du récit historique met encore plus en lumière la pulsion académique pour le sujet qui innervait déjà sa précédente fiction (…) on a du mal à croire qu’il s’agit du même cinéaste : le résultat ressemble à un téléfilm de luxe impersonnel”
(Josué Morel – Critikat)

”Firebrand est un huis clos vénéneux absolument redoutable qui revient sur la vie de Catherine Parr, dernière épouse du roi Henri VIII. Alicia Vikander et Jude Law sont éblouissants et incarnent le film de Karim Aïnouz avec une extraordinaire force de conviction.”
(Le Ciné du Projo – @CineProjo sur Twitter)

Crédits photos : copyright Brouhaha Entertainment – image fournie par le Festival de Cannes

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Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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