[RMN affproCompétition Officielle]

De quoi ça parle ?

La R.M.N ou résonnance magnétique nucléaire est le une technique de spectroscopie utilisée à des fins d’analyse médicale. Elle permet de réaliser les I.R.M., imagerie, strate par strate, d’un organe, afin d’identifier, par exemple, un trouble neurologique ou une tumeur cancéreuse.
R.M.N. est aussi une abréviation possible pour “Roumanie”.
Assez logiquement, R.M.N. de Cristian Mungiu  est donc l’examen clinique d’une Roumanie malade. Le cinéaste roumain ausculte une zone spécifique de son pays, un petit village de Transylvanie, observant chaque couche sociale, chaque sous-groupe, pour comprendre les maux auxquels ils sont confrontés.

L’intrigue tourne essentiellement autour des remous provoqués par l’arrivée au village de trois travailleurs Sri-Lankais pour assurer, faute de candidats locaux, le bon fonctionnement  de la seule usine encore active du coin et surtout d’obtenir des aides de l’Union Européenne.  Il y a aussi le retour au pays compliqué de Matthias (Marin Grigore), contraint de fuir son boulot, en Allemagne, après avoir agressé un contremaître qui, il est vrai, avait commis l’erreur de le traiter de “gitan paresseux”. L’homme se retrouve coincé entre sa femme Ana (Macrina Bârlădeanu), qui lui reproche son infidélité et ses absences à répétition, et sa maîtresse Csilla (Judith State), pas vraiment enthousiaste à l’idée de le voir débarquer chez elle. Matthias doit aussi composer avec un père mourant et un fils devenu mutique suite à un mystérieux traumatisme.

Pourquoi nos E.C.G. et E.E.G. s’affolent?

Le film pourrait être un film d’art & essai classique qui s’attache à dépeindre une situation assez conventionnelle. Mais le cinéma roumain réussit à chaque fois à nous surprendre. L’an passé, Radu Muntean avait marqué la Quinzaine des Réalisateurs avec Intregalde, oeuvre étrange qui flirtait avec les codes du film d’horreur évoluant vers une fable puissante sur la tolérance et la solidarité. Ici, Christian Mungiu opte aussi pour un récit complexe, entremêlant naturalisme et fantastique, approche brute, quasi-documentaire et éléments mystérieux, chargés de symbolisme. Pardon, il ne les entremêle pas. Ils les empile, comme les différentes strates d’une I.R.M. Il faut ensuite tenter de les analyser, les décrypter, les interpréter pour comprendre le mal du patient.

Ici, les possibilités d’interprétations ne manquent pas, car certaines scènes sont particulièrement déroutantes. La scène d’ouverture, par exemple, montrant le fils de Matthias marcher en forêt, avant, brusquement, d’être pris de panique face une vision effrayante, laissée hors champ, et fuir en courant. Qu’a-t-il vu pour avoir été ainsi terrifié, au point de perdre la parole? Le spectateur ne peut que faire des suppositions. Il apprendra un peu plus tard, ce que l’enfant a vu, mais cette révélation apportera davantage de questions que de réponses au regard de la suite des évènements.
La scène finale fait écho à la séquence inaugurale. Matthias se retrouve confronté à une vision tout aussi énigmatique que celle de son fils. Cette fois-ci, le cinéaste la partage avec nous, mais les images sont tellement incongrues, tellement inattendues qu’il nous est impossible, sur le moment, de leur donner un sens. Il sera nécessaire de décrypter ce dénouement, dérouler ses différentes possibilités d’interprétation pour saisir toute la complexité du film. Mais même si le spectateur peut se sentir frustré et perdu face à cette fin étrange, déstabilisante, ceci n’est pas bien grave. Une IRM ne permet pas de résoudre tous les mystères de la psyché humaine, juste de cerner ce qui ne va pas. Ici, c’est assez évident, car parmi les différentes couches de narration, une scène attire l’attention, imposante, puissante, maligne. Comme une tumeur. Il s’agit d’un plan fixe de 17 minute décrivant une réunion citoyenne houleuse, où les habitants se déchirent à propos du sort à réserver aux migrants Srilankais, globalement rejetés par la population. Les arguments fusent, pour la plupart affligeants de bêtise. La xénophobie des locaux se révèle au grand jour. Ils ne veulent pas voir ces migrants “envahir” leur village comme ils ont déjà envahi la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Et encore moins des Musulmans qui, forcément, sont des terroristes en puissance. Csilla tente de parer l’argument. L’un des trois travailleurs est catholique. Oui, mais il est noir de peau, donc vecteur de maladies. C’est le médecin du village qui affirme cette énormité raciste, avec un aplomb qui laisse pantois…  Les clichés racistes qui ont déjà, par le passé, divisé la communauté refont surface. On maudit les gitans, qui ont finalement été contraints de quitter le village, à l’usure, ou la minorité hongroise du village. D’autres voix viennent se mêler à cette parodie de débat. Elles crachent leur haine vis-à-vis de l’Union Européenne, vue plus comme une source de problèmes qu’une solution, des pays les plus puissants qui s’enrichissent sur le dos des plus faibles ou plus généralement des patrons qui exploitent les classes laborieuses. Certains visent les paresseux qui se contentent de touchers les allocations de l’état, d’autres les lâches qui ont fui le pays pour toucher des salaires plus élevés en Allemagne ou en France.

En un seul plan, Cristian Mungiu réussit à montrer l’étendue du malaise qui frappe non seulement son pays, mais aussi les pays de l’Union Européenne et, plus généralement le reste du monde. Ce conservatisme, ce repli identitaire, cette peur de l’autre, cette haine viscérale ont tendance à se généraliser un peu partout de le monde, comme le montre la poussée des mouvements nationalistes et extrémistes lors d’élections récentes en Europe. Mais le plus effrayant que cela se fait en suivant un processus démocratique, par vote majoritaire. Quand des individus s’expriment sous le coup de la colère ou de la haine, quand ils sont aveuglés par la bêtise, ils font rarement les bons choix. L’Histoire l’a démontré à maintes reprises.

Si cette longue scène correspond au symptôme principal de la maladie. Mais d’autres problèmes sont diagnostiqués dans les autres strates du récit : société patriarcale, violences perpétrées contre les femmes ou les enfants, pollution des eaux par les déchets industriels, surconsommation de viande, réintroduction compliquée de certaines espèces sauvages près des habitations humaines… Pas de doute sur le diagnostic : l’espèce humaine souffre de sa bêtise et de son inconséquence. La maladie est à un stade avancé.
Dans cette logique, le plan final peut se voir comme une implacable prémonition, annonçant, au mieux, un retour à l’état sauvage, au pire, la disparition du genre humain.

Palmomètre :

Vincent Lindon a parlé, dans son discours inaugural, de son amour d’un cinéma engagé, concerné par les problème des gens ordinaires. Du coup, R.M.N. semble un parfait candidat pour la Palme d’Or ou le Grand Prix du Jury. Pour l’instant, c’est la claque du festival…
A défaut, ses comédiens pourraient défendre leurs chance pour les prix d’interprétation.

Contrepoints critiques :

“Mungiu arrive en 2 h à regrouper avec une intelligence dingue l’ensemble des problématiques de nos sociétés contemporaines (notamment la peur xénophobe). 1 scène reste gravée,celle d’un débat municipal d’une puissance inouïe. Vrai candidat à la Palme”
(@Mister_ig sur Twitter)

”Le film s’enlise dans la chronique de ce village enneigé, traversé d’anecdotes successives anodines dont il ne ressort aucune dramaturgie. Pourquoi pas ? Mais l’on se demande où Mungiu veut en venir avec ce collier de perles, aux épisodes répétitifs.”
(Jacky Bornet – France info)

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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