2022_CANNES_SIGNATURES_WEB_72dpi_400x400_2On dit généralement que les films présentés à Cannes sont le reflet de l’état du monde. Eh bien au vu des films présentés aujourd’hui en compétition officielle, nous sommes fichus! La fin du monde est imminente! Au mieux, le bouleversement balayera “seulement” nos civilisations occidentales et le modèle économique dominant. Mais l’hypothèse plus pessimiste prévoit une extinction pure et dure de l’espèce humaine, pour permettre à la nature de reprendre ses droits.

Dans R.M.N. Cristian Mungiu ausculte son pays, la Roumanie, mais aussi l’Union Européenne, grâce à son dispositif clinique analysant chaque strate de la société. Cela lui permet de diagnostiquer différentes pathologies, concernant l’environnement (surconsommation de viande, pollution des rivières par les rejets chimiques), l’économie (système de subventions inique, crise de l’emploi, salaires misérables), ou la société (exode des populations, dérives patriarcales, comportements violents). Mais le symptôme principale consiste en une grosse tumeur de 17 mn. Minutes, pas millimètres. C’est à dire la durée d’un hallucinant plan fixe captant l’agitation d’une réunion citoyenne visant à faire expulser les trois travailleurs Srilankais venus “envahir” leur petit village transylvanien. Xénophobie, haine, repli communautaire… Toute la bêtise humaine remonte à la surface. Pas sûr que cela soit opérable. Le plan final, complètement fou, pourra s’interpréter de diverses façons, mais il laisse peu de place à l’optimisme. L’interprétation la plus probable est le présage d’un retour prochain à l’état sauvage, quand ce qui caractérise notre humanité aura disparu.

Pour Ruben Östlund, le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui va également connaître quelques secousses violentes, radicales. Mais ce n’est pas forcément un mal, tant ses personnages sont insupportables : top-model décérébré, influenceuse déconnectée, entrepreneurs véreux, vieilles peaux friquées, tous embarqués dans une croisière de luxe, avec des dizaines de larbins aux petits soins pour eux. Le cinéaste suédois utilise ce microcosme pour créer l’allégorie d’une humanité à la dérive, d’un monde sur le point de sombrer, non pas dans le triangle des Bermudes, mais dans le non moins redoutable  Triangle of sadness. Si le titre parle de tristesse, cela n’est pas le cas à l’écran. Le film est drôle, parfois hilarant, à condition d’aimer l’humour corrosif. Certains rats des salles obscures ont eu le mal de mer et quitté le navire. Les autres en sont quittes pour des crampes aux zygomatiques. En tout cas, le nouveau film du réalisateur de The Square n’a laissé personne indifférent.

Chez Quentin Dupieux aussi, la fin du monde est proche. Benoît Poelvoorde, extra-terrestre mi-homme mi-lézard, comme les envahisseurs de la série télévisée V, diffusée dans les années 1980, a décidé de rayer de la carte cette petite planète bleue peuplée de fous. Ils vont la détruire à petit feu, de toute façon, alors autant abréger leurs souffrances, hein… La seule chance de survie pour l’humanité, c’est la Tabac Force, un groupe de vengeurs en costume en polyester moulant, un peu comme le groupe de Bioman, mais en utilisant le pouvoir nocif du tabac. Nicotine, Methanol, Mercure et les autres n’ont que quelques heures pour se préparer à l’invasion et doivent resserrer leurs liens pour agir collectivement. Alors, ils partent en séminaire de cohésion de groupe et se racontent des histoires qui font peur au coin du feu. Des histoires où il est évidemment question de pollution, d’exploitation de l’homme par l’homme ou de pulsions de violence. Pas de quoi inciter à l’optimisme! A moins que brusquement, s’amorce un “changement d’époque” salvateur. C’est tout le propos de Fumer fait tousser, finalement assez profond, derrière son air (pollué) de comédie déjantée ou de trip hallucinatoire. On ne sait pas si l’adage du titre est vérifié, mais assurément fumer de l’herbe débride la créativité…

Espérons juste que le monde attende encore un peu pour disparaître. Nous n’en sommes pas encore tout à fait à la moitié du festival 2022 et il reste encore quelques oeuvres magnifiques à découvrir.

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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