2022_CANNES_SIGNATURES_WEB_72dpi_400x400_2Le cinéma, c’est un scénario où au moins une vague note d’intention artistique, des images, avec un travail sur la lumière plus ou moins poussé, une composition des plans nécessitant un peu de mise en scène. Eventuellement des acteurs, du son, de la musique, des décors, des effets spéciaux…
C’est aussi le montage, étape importante qui donne du rythme, voire du sens au film, communique l’émotion, permet d’imprimer durablement un plan dans la mémoire du spectateur. Le montage est l’un des éléments-clés du langage cinématographique mais apparemment, certains cinéastes ont tendance à l’oublier, proposant des œuvres d’une durée anormalement longues. 2h, 2h20, 2h45? Qui dit mieux? Cette année, c’est Marco Bellocchio et les 5h d’Esterno notte.

Avant, ce type de film-fleuve était rare au cinéma, réservé aux grandes fresques historiques, aux sagas familiales étalées sur plusieurs époques ou à des documentaires imposants. La plupart des films avaient une durée comprise entre 1h30 et 2h. Certes, cela était surtout induit par le tournage sur pellicule qui obligeait à raisonner en termes de bobines et ne permettait pas d’accumuler les scènes à volonté. Le numérique permet de stocker des heures de films en ultra haute définition sur des cartes mémoires de la taille d’un timbre-poste, de les transférer sur ordinateur en un clic, l’effacer en un rien de temps. Le fichier passe directement à l’étalonnage et au montage avec des logiciels puissants. Mais est-on bien certain qu’avec le numérique, Hitchcock, Hawks ou Ozu auraient allongé de façon démesurée la durée de leurs œuvres? Rien n’est moins sûr…

Ici, 2h15 pour l’adaptation du roman de Denis Johnson, Stars at noon, c’est beaucoup trop, d’autant que l’intrigue est assez famélique : Trish (Margaret Qualley, une journaliste américaine, se retrouve bloquée au Panama, en plein bouleversement politique et alors que la crise du COVID bat son plein. L’armée lui a confisqué son passeport et elle a commis l’erreur de changer tous ses dollars contre la monnaie locale, qui ne vaut plus rien. Elle se prostitue occasionnellement pour tenter de gagner les faveurs de personnalités influentes et survivre dans ce chaos. Un soir, elle rencontre Daniel (Joe Alwyn),  homme d’affaires anglais. Elle entame avec lui une liaison amoureuse, d’abord parfaitement intéressée, puisqu’avec ses dollars, il peut l’aider à sortir du pays, puis totalement déraisonnée, alors qu’il devient lui aussi une cible pour certaines des forces en présence. Le volet “espionnage et aventures” du récit est assez léger. Il donne essentiellement lieu à une longue partie de cache-cache entre le couple et leurs poursuivants, d’un hôtel à un autre, entre deux parties de jambes en l’air. Le mystère tient surtout sur le fait que les forces en présence nous semblent assez opaques : PS, PLC, FSLN, CIA? Peu importe… Et le suspense vient du fait qu’ils sont potentiellement dangereux, même si, in fine, il ne se passe absolument rien de terrifiant, hormis un chauffeur de taxi trépané à coups de smartphone.
Ce qui semble avoir plus intéressé Claire Denis, c’est la naissance d’une passion amoureuse dans ce climat moite et instable. Il faut reconnaître que certaine de ses séquences ne manquent pas de sensualité. Mais pour l’érotisme torride, on repassera. La faute, essentiellement, à un couple qui ne fonctionne pas. Margaret Qualley fait ce qu’elle peut mais Joe Alwyn est aussi sexy qu’une endive, aussi expressif qu’un morceau de bois, même quand il se lâche soudain, pour exprimer ses fantasmes les plus fous (“Suck me!”).  La morne répétition des scènes n’arrange rien à l’affaire. On s’ennuie ferme d’un bout à l’autre. Le montage aurait au moins permis d’abréger nos souffrances.

Dodo, présenté dans la section Cannes Premières, dure 2h12. Pour une comédie, exercice nécessitant un sens du rythme assez aigu, cela semble excessif. Mais est-ce vraiment une comédie? On peut se le demander, parce qu’une comédie, c’est censé être drôle… En tout cas, c’est présenté comme tel, avec un point de départ prometteur : les préparatifs d’un mariage à la grecque dans une famille bourgeoise (mais ruinée suite à des placements hasardeux) se voient perturbés par l’irruption d’un dodo, animal censé être disparu depuis plusieurs siècles, mais aussi d’un.e transsexuel.le non-binaire, un comédien farfelu, un migrant syrien et sa fille, et d’autres personnages hauts en couleurs. Cela aurait pu donner un film burlesque irrésistible, un jeu de massacre jubilatoire, a minima un règlement de comptes familial aux dialogues percutants. Il y avait aussi de quoi livrer une critique décapante de la société grecque actuelle, à travers ce microcosme au bord de la crise de nerfs. Hélas, le films perd ses plumes et ses couleurs aussi rapidement que le pauvre animal. Les personnages s’avèrent creux, trop agaçants pour qu’on s’attache à eux. Le scénario évolue péniblement, délaissant peu à peu tous les sujets potentiellement intéressants que son auteur s’était pourtant fatigué à mettre en place et n’utilisant pas vraiment la référence potentielle à “Alice au Pays des Merveilles”. Là aussi, un montage plus vif n’aurait pas sauvé le film. Mais il aurait contribué à écourter l’épreuve.

Avec 2h45 de film, Leila’s brothers de Saeed Roustaee est lui aussi un peu trop long. Le cinéaste aurait gagné à couper un peu certaines scènes pour accélérer un peu le rythme par endroits, notamment raccourcir un peu certaines scènes de dialogues redondantes. Mais là au moins, le film s’avère passionnant. On suit une fratrie de pieds nickelés dans ses efforts pour se sortir de la misère, poussés par leur soeur Leila (Magnifique Taraneh Alidoosti). La jeune femme a eu vent d’un projet d’ouverture de nouvelles boutiques de luxe dans le centre commercial où elle travaille. Elle pousse ses quatre frères à quitter leurs petits boulots minables pour se lancer ensemble dans cette aventure. En réunissant toutes leurs économies, ils peuvent acheter cette boutique avant que son prix ne devienne inaccessible, faire enfin quelque chose ensemble pour permettre à la famille de prendre ce fameux “ascenseur social”. C’est compter sans leur père, un vieillard obsédé par l’obtention du respect des autres membres de sa famille, qui se met en tête l’idée de devenir le parrain du mariage du fils de son riche et puissant cousin, ce qui implique qu’il doit payer le cadeau le plus onéreux ou apporter la somme la plus importante parmi tous les donateurs. Mais aussi sans les soubresauts d’un pays soumis, comme tant d’autres, aux aléas politico-économiques. Roustaee fait le parallèle entre la “Pyramide de Ponzi”, ce système d’escroquerie pyramidal où le capital est assuré uniquement par les fonds procurés par les nouveaux entrants, profitant exclusivement au sommet de la pyramide jusqu’à effondrement du mécanisme, le système de parrainage familial, tout aussi complexe et source d’escroquerie, et le système économique général axé uniquement sur la spéculation, qui peut en l’espace de quelques secondes, permettre de faire fortune ou de tout perdre. Il montre la puissance de cette machinerie gigantesque contre laquelle essaient de se battre ses personnages, victimes d’un système social inégalitaire, mais aussi et surtout de leurs propres choix, de leurs propres erreurs. Ils effectuent le mauvais choix, suivant leur croyances, leurs traditions archaïques, leur fierté ou leur lâcheté. Peut être parce qu’ils n’ont pas reçu l’éducation qui leur permettrait de sortir de cette spirale de l’échec ou qu’ils ont tout simplement accepté leur triste sort. On espère que le destin du cinéaste sera autrement plus brillant, voire carrément doré.

Nous n’avons pas vu le quatrième gros morceau du jour, Elvis de Baz Luhrmann. Une fresque de 2h39 sur la vie d’Elvis Presley. Etrangement, certains de nos camarades ont dit avoir regretté quelques longueurs, d’autant que le style du cinéaste semble avoir un peu perdu de sa superbe.
A la place, nous avons vu Domingo et la brume, film costaricien présenté dans la section Un Certain Regard. Le plus court de la journée, avec “seulement” 1h32 au compteur. La bonne durée pour raconter l’histoire d’un vieil homme qui refuse de vendre sa vieille cabane, située sur le tracé d’une route en construction. Il refuse l’offre “généreuse” des promoteurs et ne cède ni à leurs pressions, ni à leurs menaces. Il n’écoute pas non plus sa fille, qui lui propose de l’héberger chez elle, un peu plus loin. Il veut rester dans ce lieu où sa femme et lui ont vécu ensemble, qu’elle puisse le retrouver et l’envelopper, telle cette brume qui vient chaque nuit le visiter.
Ariel Escalante Meza signe un film tout en poésie et en finesse, le beau portrait d’un vieil homme à bout de souffle, portant le poids de ses erreurs et ses regrets, et essayant de trouver la rédemption avant un dernier voyage. On apprécie la beauté de ses plans et la puissance de son montage, où chaque séquence est parfaitement minutée, y compris les plus contemplatives d’entre elles. Un élément important du langage cinématographique, on vous dit…

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