2022_CANNES_SIGNATURES_WEB_72dpi_400x400_3Avec Albert Serra présent en compétition, on pouvait s’attendre à un peu d’animation. A chaque fois, ses films provoquent des réactions contrastées : départs fracassants, sifflets et huées pour les uns applaudissements nourris pour les autres.
Si L’Honneur de la cavalerie avait globalement séduit les adeptes d’un cinéma radical et pointu (et endormi les autres), Le Chant des oiseaux avait reçu un accueil plus mitigé. Nous avions lutté contre l’ennui lors d’un plan fixe de trente minute sur trois types montant une colline au crépuscule, se terminant avec trois tâches blanches sur fond noir. La mort de Louis XIV avait aussi reçu un accueil mitigé, certains saluant le mariage du cinéma d’auteur contemporain et l’acteur-fétiche de la Nouvelle Vague. Pour d’autres, le film était insupportablement bavard, mal joué, et terriblement plombant. Liberté avait été conspué par une bonne partie du public cannois, désorientés par sa succession de plans composés comme des tableaux, mais incluant des scènes de sexe assez crues et dérangeantes. Mais il avait été primé par le Jury d’Un Certain Regard cette année-là.  Bref, l’homme a ses inconditionnels et ses détracteurs.

Nous nous classons plutôt dans la seconde catégorie, car nous avons bien du mal à trouver du génie dans ses expérimentations cinématographique qui étirent chaque plan au-delà du supportable et sont conçus pour tester les limites du spectateur. Nous évitions comme la peste ses films en festival. Là, nous lui avons redonné une chance en raison de sa présence en compétition et ce n’est définitivement pas du tout notre tasse de thé.

Pacifiction, c’est en quelque sorte une version art & essai radical de OSS 117, sans les gags, sans le rythme et avec des acteurs qui jouent de façon forcée. Benoît Magimel y incarne un Haut-Commissaire de l’état français en Polynésie qui réalise qu’il est en train d’être mis sur la touche après des années de service, au moment où circulent des rumeurs sur de nouveaux essais nucléaires prévus par l’armée française du côté de Mururoa. La population locale s’en émeut et ses nouveaux représentants annoncent de violentes manifestations pour s’y opposer. Les espions des pays rivaux de la France essaient aussi de placer leurs pions sur l’échiquier.
Sur le fond le sujet est assez passionnant, entremêlant enjeux géopolitiques et récit crépusculaire sur une fin de règne et la perte de foi du peuple et des édiles en la politique. Mais sous la caméra d’Albert Serra, ça devient vite assez insupportable. Chaque scène est étirée au-delà du raisonnable. Les personnages, déjà caricaturaux, sont joués par des acteurs forçant le trait. Benoît Magimel, lui, affiche une nonchalance qui contraste avec l’état de tension dans lequel son personnage est supposé se trouver. Peut-être s’abandonne-t-il lui aussi au côté planant, hypnotique de la mise en scène, quand l’intrigue se délite pour céder sa place à une sorte de long trip confus.

Un spectateur furieux a hurlé “NUL!” en pleine projection officielle. D’autres ont crié à la Palme d’Or à l’issue de la projection, louant une oeuvre d’art “qui révolutionne le cinéma”, ou osé la comparaison avec les films de David Lynch. Oh! On se calme, là! Pacifiction ne révolutionne rien du tout et ne partage avec l’auteur de Mulholland drive que son approche onirique du récit. On peut effectivement voir le film comme le flot des pensées du personnage de Benoît Magimel, ses rêveries, mais on est loin, très loin de la poésie vénéneuse des oeuvres de Lynch.
On reconnaîtra à Albert Serra la faculté de composer des plans de toute beauté, avec l’aide précieuse de son chef opérateur Artur Tort, et de proposer une oeuvre suffisamment hypnotique pour nous embarquer jusqu’au terme des  de projection. Tout le monde n’a pas eu la même patience… On reconnaît aussi que Pacifiction fait un peu figure d’électron libre dans la compétition cannoise, entre les oeuvres intimistes et les films sociaux. Mais de là à lui donner la Palme d’Or… En tout cas, ce n’est pas ce film qui va réconcilier le grand public avec le cinéma d’auteur, c’est clair.

Davantage de spectateurs devraient apprécier le beau film d’Hirokazu Kore-Eda, Les Bonnes étoiles, qui continue d’aborder les thèmes centraux de l’oeuvres du cinéaste japonais : la famille, le lien parent-enfant, la difficulté de trouver sa place dans un contexte social difficile.
Cette fois-ci, le cinéaste japonais nous entraîne dans un curieux road-movie suivant deux petites crapules (Song Kang-ho et Dong Won-gang) partis sur les routes de Corée du Sud en quête d’un acheteur pour le nourrisson qu’ils ont intercepté dans une “boîte à bébé”. Dans leur sillage, ils entraînent la mère du bébé en question, une jeune femme paumée (Ji-Eun Lee), et deux fliquettes qui cherchent à prendre tout ce beau monde en flagrant délit (Doona Bae et Joo-young Lee). Au départ, on ne peut s’empêcher de trouver ces personnages antipathiques. Mais comme dans Une affaire de famille, Palme d’Or à Cannes en 2018, Kore-Eda s’intéresse plus au au côté lumineux des personnages qu’à leur noirceur. Peu à peu, les protagonistes se révèlent et se montrent sous un meilleur jour. Ils s’attachent les uns aux autres, au point de créer une curieuse famille recomposée, un cocon rassurant qui leur permet de soulager certaines blessures du passé et fait naître l’espoir d’un avenir plus radieux. Grâce aux acteurs, tous formidables, et à la mise en scène toujours sobre et sublime du cinéaste japonais, on finit par être profondément émus par ce film tout en douceur. Seul bémol, le scénario, un peu trop touffu, avec quelques sous-intrigues qui alourdissent inutilement le propos. Le cinéaste japonais est bien meilleur quand il fait dans la simplicité, l’épure et la poésie.

Pour encore plus de larmes, il faut voir Close de Lukas Dhont. Le nouveau film du cinéaste belge raconte l’histoire de deux jeunes garçons, Rémi et Léo. Deux amis proches. Un peu trop, peut-être. Leurs camarades de classe pensent qu’ils forment un couple, ce qui occasionne quelques moqueries et brimades. Léo (Eden Dambrine) décide de prendre un peu de distance, au grand désespoir de Rémi (Gustav De Waele). Cette décision va transformer leur relation et avoir des conséquences dramatiques.
Le réalisateur de Girl réussit à capter de façon extrêmement délicate les émotions de tous ses personnages. Tout passe par les postures, la gestuelle, les regards saisis parfois en plan très rapproché. Dans ce registre, ses jeunes acteurs s’avèrent absolument extraordinaires. Et comme le cinéaste les a entourés avec d’autres “Stradivarius” de l’émotion comme Emilie Dequenne et Léa Drucker, le résultat est absolument bouleversant. Les yeux des festivaliers étaient assez humides en sortie de projection et le film a été longuement ovationné lors de la projection officielle. On ne voit pas comment le jury pourrait y rester insensible. En tout cas, on préférerait voir la Palme d’Or attribuée à ce film ou à celui de Kore-Eda qu’au trip ennuyeux d’Albert Serra…

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