last wordsPréparons-nous, la fin de l’humanité est prévue pour 2086.
C’est du moins ce que prédisent Santiago Amigorena dans son roman “Les derniers mots” (1) et Jonathan Nossiter, dans l’adaptation de ce-dernier, Last Words.

Le narrateur est le dernier homme encore en vie sur la planète (Kalipha Touray). Il raconte son parcours au cours des quatre dernières années.
Il raconte déjà son arrivée à Paris, en compagnie de sa soeur. Ils ont quitté leur Afrique natale qui a été entièrement engloutie par les eaux suite à la fonte des calottes glaciaires et ont tenté de trouver asile en France. Hélas, le pays a lui aussi subi de plein fouet le réchauffement climatique. Les alentours de la capitale française ont été remplacé par un désert aride. Cela fait des années que la Seine et les sources locales se sont taries. Les lueurs de la ville-lumière ne sont plus qu’un lointain souvenir, faute d’électricité. A l’instar de la Tour Eiffel, dont la structure penche dangereusement, les bâtiments sont en ruines. Les habitants sont partis depuis longtemps ou sont morts sur place, de soif, de famine ou de maladie. On comprend que la planète a subi plusieurs catastrophes naturelles, des épidémies dévastatrices, des guerres.
Le protagoniste et sa soeur parcourent les rues en quête d’un abri et de nourriture. Ils découvrent une cachette dans un appartement resté miraculeusement debout. A l’intérieur, plusieurs bouteilles d’eau, des dizaines de conserves de poudre alimentaire – qui a remplacé depuis longtemps la nourriture telle qu’on la connaît aujourd’hui – et de curieuses boites rondes contenant des rubans de celluloïd avec des images imprimées dessus. La jeune femme, intriguée, s’en fait un bracelet et s’interroge sur l’origine de ces drôles d’objets.
Mais, suite à une mauvaise rencontre, elle n’a pas le temps de répondre à cette question. Son frère décide de prendre le relai. Il découvre que les bobines viennent d’un lieu appelé “la cinémathèque de Bologne” et part pour l’Italie.

La Botte est tout aussi ensablée que le reste de l’Europe. Le Pô est complètement asséché et ressemble à un canyon désertique. A Bologne, il n’y a quasiment plus âme qui vive, sauf une personne, cloîtrée dans la cinémathèque. Un vieillard (Nick Nolte), qui sera plus tard surnommé Shakespeare, y attend la mort en regardant des films à l’aide d’un projecteur mécanique. L’irruption du narrateur lui redonne un peu d’envie de vivre. Le vieil homme, ancien cinéaste, lui apprend comment faire fonctionner le projecteur, lui fait découvrir la magie du septième art.

Ensemble, ils partent pour la Grèce, où quelques survivants tentent de reconstruire l’humanité. Mais ces survivants, encadrés par un médecin, Zyberski (Stellan Skarsgard), Batlk (Charlotte Rampling) et Dima (Alba Rohrwacher),  sont un peu perdus. Soit ils n’ont pas connu la vie en société, soit ils ont préféré l’oublier. Ils n’interagissent pas les uns avec les autres et semblent surtout survivre mécaniquement en attendant la fin du monde. L’irruption du cinéma dans ce microcosme va apporter un peu de lumière et de chaleur. Du moins temporairement, puisque l’issue est annoncée dès le début du film.

Last words est clairement une déclaration d’amour au septième art sous sa forme première, à la fois attraction de foire destinée à émerveiller le public et outil documentaire gravant des moments de vie.
Tout d’abord, les personnages du film, retombés à un état quasi-primitif, restent à distance de ce projecteur de fortune qui, alimenté par une dynamo à pédales et une manivelle, envoie des images en mouvement sur une vieille bâche blanche.  Ils sont aussi effrayés que les premiers spectateurs du cinématographe par cette sorcellerie d’un autre âge. Mais très vite, ils ne peuvent plus quitter les yeux de l’écran, fascinés. Ils s’émerveillent des effets spéciaux de Méliès, rient aux mésaventures de Buster Keaton ou à l’humour absurde des Monty Python, sont bouleversés par la voix de Beth Gibbons .  Pendant quelques minutes, ils oublient leur quotidien difficile et leurs perspectives d’avenir limitées, profitent de l’instant, en communion les uns avec les autres. Ce moment partagé les rapproche, favorise l’entraide, la solidarité de la communauté, redonne à tous un peu de leur humanité perdue. Les spectateurs se remettent à rêver et à éprouver du désir, qui pourrait être la clé du renouveau d’une espèce humaine devenue stérile. Un bref instant, l’espoir renaît.
Mais Nossiter ne dit certainement pas que le Cinéma est capable de sauver le monde. Il est capable de divertir, donc, et de faire rêver, parfois de faire réfléchir au monde qui nous entoure et, plus rarement, de faire bouger quelques lignes, mais s’il était la solution à tous nos maux, nous serions sauvés depuis bien longtemps…
Le Cinéma a en revanche une fonction mémorielle. Il enregistre la trace d’une époque, ses moeurs, ses préoccupations du moment, pour les restituer à des générations futures qui pourront éventuellement en tirer des enseignements. Il capte des gestes d’artisans, des savoir-faire, pour éviter qu’ils ne soient perdus.
En plus d’endosser le rôle de projectionniste, le personnage principal devient aussi caméraman, filmant la vie des membres de la communauté, enregistrant leurs histoires individuelles. Mais ici, il n’y a plus vraiment de trace à laisser à des générations futures. Juste une trace de ce qu’a été l’espèce humaine, ce qui a constitué sa grande force et ce qui a causé sa perte, à l’instar des monuments athéniens qui servent de cadre au film, vestiges d’une civilisation autrefois très évoluée et aujourd’hui disparue.
Ces images qu’enregistre le narrateur servent surtout au membres de la communauté de se dire qu’ils ont été vivants, qu’ils le sont encore un peu et que, même quand ils auront disparu, il subsistera un peu de cette vie sur des morceaux de celluloïds, plusieurs siècles plus tard.

Pour Jonathan Nossiter, Last words est aussi une façon de laisser une trace en tant que réalisateur, une sorte de “film-testament” revisitant l’ensemble de son oeuvre et probablement une façon d’énumérer, comme Woody Allen dans Manhattan, les choses qui font que la vie mérite d’être vécue, en rendant hommage aux artistes qui l’ont inspiré jadis. Il revient un peu aux origines de sa filmographie puisque dans Sunday, son premier long-métrage, c’est en devenant, pour de faux, metteur en scène de cinéma, que le personnage principal mettait un peu de fantaisie dans un quotidien terne et déprimant, une lueur d’espoir dans son apocalypse personnelle – perte d’emploi, de domicile et de dignité. Un peu comme le protagoniste principal de Last words, qui, avec ses outils de cinéma, redonne des couleurs à ceux qui l’entourent.
Il revient à Athènes, où il avait tourné Signs & wonders, déjà avec Charlotte Rampling et Stellan Skarsgard. Il montre des être humains cultivant la terre de leurs mains et se battant pour une agriculture propre, comme les vignerons de Mondovino ou de Résistance naturelle.
La chanson de Beth Gibbons évoquée plus haut, reprise de “Candy says” du Velvet Underground, parle d’une personne transgenre. Or Nossiter a réalisé, avant de passer à la fiction, Resident alien, un documentaire sur Quentin Crisp, un travesti anglais célèbre. Il était également question de transsexualité dans Rio Sex Comedy, dont le casting cosmopolite et hétéroclite évoque un peu la communauté post-apocalyptique de Last words qui, outre les fidèles Rampling et Skarsgard, accueille deux actrices italiennes, Alba Rohrwacher et Sylvia Calderoni, le débutant Kalipha Touray et le vétéran Nick Nolte, et même une ex-James Bond Girl, Maryam d’Abo. Certains verront sans doute dans cette accumulation un fourre-tout bordélique. On préférera y voir l’éclectisme d’un cinéaste touche-à-tout, passant du documentaire à la fiction, du film art & essai intimiste à la comédie, du drame à l’anticipation, et même du cinéma à l’oenologie, un véritable adepte de la biodiversité cinématographique.

L’autre qualité de Last words, c’est d’être pleinement ancré dans l’air du temps et même d’anticiper les fléaux qui risquent un jour de mettre un terme à l’espèce humaine, à commencer par la menace microbiologique.
Si le film parle d’un “virus de la toux dévastateur”, il a été écrit et tourné bien avant l’épidémie de COVID-19, mais la coïncidence fait froid dans le dos. Il est aussi question, à travers l’histoire du personnage joué par Nick Nolte, d’une maladie bactérienne ressemblant à la peste bubonique. Là aussi, il y a de quoi frissonner quand on voit les rats proliférer dans certaines métropoles…
Les catastrophes naturelles dépeintes par le film sont tout aussi crédibles. Elles sont en tout cas redoutées par les experts en climatologie. Les pôles fondent, c’est un fait. On compte de plus en plus en plus d’épisodes caniculaires et de sécheresses.
Si l’eau potable s’épuise, on peut craindre que de nombreux conflits éclatent pour la maîtrise de cette ressource rare. Quant à l’économie mondiale, on voit bien qu’un rien pourrait la faire vaciller, et l’effondrement ferait des ravages au sein des civilisations occidentales.
En clair, le scénario du film est loin d’être absurde et l’échéance de 2086 n’est peut-être pas totalement de la science-fiction.

Au-delà de cela, Nossiter montre aussi la déchéance de notre civilisation. Dans cette dystopie, les êtres humains ne parviennent plus à communiquer les uns avec les autres depuis que, faute d’électricité, les systèmes numériques se sont éteints. Plus d’internet, plus de réseaux sociaux…
Les communautés se sont repliées sur elles-mêmes, rejetant les étrangers demandant de l’aide. Les barbares et les fanatiques – du moins ceux qui ont encore foi en quelque chose – ont pris le pouvoir, au grand dam des individus ordinaires. Là encore, tout ceci n’est pas si éloigné que cela de nos sociétés contemporaines. Les histoires individuelles des protagonistes du film font écho à nos préoccupations actuelles.

Bien que souffrant de quelques longueurs et de baisses de rythme dans chacune de ses parties, Last words n’en demeure pas moins un fascinant objet cinématographique, tour à tour effrayant, merveilleux et émouvant. C’est en tout cas l’oeuvre d’un cinéaste brillant, témoignant d’un véritable amour pour le septième art, et d’un citoyen engagé essayant à sa façon de secouer les consciences avant qu’il ne soit trop tard.

(1) : “Mes derniers mots” de Santiago Amigorena –éd. P.o.l.


Last words
Last words
Réalisateur : Jonathan Nossiter
Avec : Kalipha Touray, Nick Nolte, Charlotte Rampling, Stellan Skarsgard, Alba Rohrwacher, Maryam d’Abo, Sylvia Calderoni
Origine : Italie, France, Etats-Unis
Genre : Requiem pour l’humanité et  Ode au 7ème Art
Durée : 2h06
Date de sortie France : 21/10/2020
Contrepoints critiques :
”Un ennui de plomb s’abat dès les premières minutes. Il ne quittera plus la salle. Le cinéma sauvera le monde, telle est la thèse. Sûrement pas avec des pensums comme ça”
(Eric Neuhoff, Le Figaro)
”Un récit humaniste à la poésie évanescente”
(Jacky Bornet, Culture Box)

Crédits photos : Copyright Jonathan Nossiter – Jour2fête

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