Bureaux (arf !) d’Angle[s] de vue, le 29 mars 2010…

– Hé ! PaKa ! Tu veux bien nous faire la critique d’Alice au pays des merveilles, toi le fan inconditionnel de Tim Burton ?
– Hola, mon bon Boustoune… Il est vrai que j’apprécie hautement ce que fait ce génie incontestable qu’est Monsieur Tim Burton, mais de là à dire que je suis un inconditionnel…
– Pfff… Tu parles ! Tu défends même sa version de La Planète des singes
– Damned, you got me ! C’est vrai que celui-là j’l’ai revu, et que finalement, même si c’est le moins bon Burton (mis à part l’insupportable Pee Wee’s big adventure), j’arrive quand-même à lui trouver quelques qualités… Bon, OK, j’assume : j’kiffe Burton, sa façon de nous entraîner dans ses univers colorés, son imaginaire débordant, sa direction d’acteurs parfaite…

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D’ailleurs, c’est surtout ça que j’ai aimé dans son Alice au pays des merveilles… ça, et pas mal d’autres choses !
Ouaip, quitte à faire hurler les a-bobo-nnés à Télérama, je n’entrerai pas dans le jeu de ces vieux aigris où il est de bon ton de critiquer ce qui a du succès, et qui chipotent parce que le film n’est pas assez fidèle au grand « classique » de la littérature signé par le « formidable » Lewis Carroll. Moi, j’l’ai pas lu, le bouquin, et j’m’en fous parce que c’que j’voulais voir, c’était du Tim Burton ; et j’ai vu du Tim Burton !
– Justement, la presse a démoli le film en arguant qu’on ne retrouve pas le style ou l’univers de Burton. Que le cinéaste, en revenant dans le giron de Disney s’est effacé derrière les archétypes narratifs du studio…
– Pfff… Mais carrément qu’c’est un Burton ! La preuve : il y a Johnny Depp dedans ! Et la musique de Danny Elfman !
– Et le plan introductif, aussi… Ce plan-séquence aérien qui survole la ville, s’arrête sur la façade d’un immeuble et glisse jusqu’à la fenêtre de l’appartement de la jeune Alice, puis dans le salon, où son père disserte de l’audace et de l’imagination. Typique de Burton, ça. Presque une marque de fabrique…
– On est d’accord, donc : c’est du Burton. Et c’est aussi ça qui est fort : ce gars arrive à changer de genre à chaque coup, avec la même réussite, tout en y greffant systématiquement son propre univers, son propre imaginaire. Il a fait un biopic (Ed Wood), un film d’épouvante gothique (Sleepy Hollow), une comédie musicale doublée d’un film d’horreur (Sweeney Todd) ; il a tâté du film de super-héros (Batman), du film d’aventures (La planète des singes), de la SF (Mars attacks !) et même de la chronique intimiste (Big Fish)… Et à chaque fois, on a pu y retrouver sa patte, son style unique, ses thèmes de prédilection…
Maintenant, avec son Alice aux allures de fable pour enfants, ce malin nous sert de l’heroic-fantasy ! Et là encore, c’est une réussite !

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– De l’heroic-fantasy ? Oui, c’est vrai, surtout à la fin du film…
– Carrément ! Alice en armure s’apprêtant à combattre le Jabberwocky, l’épée enchantée qui seule peut vaincre ce monstre sauvage, la guerre des pièces d’échiquiers et des cartes à jouer… C’est de l’heroic-fantasy ! Et je préfère de loin cette approche sans chichis aux effets spéciaux assumés, cartoonesques, et limite kitchs ; à celle de Peter Jackson avec son adaptation de Tolkien, prétentieuse, clinquante, et au finale un peu chiante …
– Tu ne vas pas te faire des copains, toi… Entre Télérama et Mad Movies…
– Non mais attend : là, au moins, on n’a pas besoin de dico elfe/humain ou troll/humain pour comprendre les dialogues !
– Il y a quand même des mots bizarres dans le film, comme la « guinguendélire »…
– Ah ! Ne me parle pas de la guinguendélire : c’est un des trucs vraiment ratés du film. La vieille animation genre jeu vidéo pour te récompensé d’avoir vaincu le boss final ! Sérieux, quitte à montrer ladite danse, j’aurais préféré une bonne vieille chorégraphie à la con exécutée par Johnny Depp !
– Et la musique moderne qui est utilisée à ce moment-là ne colle pas à l’ambiance générale du film… Comme la chanson finale, d’ailleurs…
– Raaaaaah, pareil ! V’là l’choix à deux balles. Tellement insupportable qu’on a envie de quitter la salle sans attendre la fin du générique…
– Ca, c’est le vrai côté Disney du film… Ca a peut-être été imposé par la production. Ou alors, c’était un pari stupide… Va savoir…

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Pour en revenir à l’aspect « burtonien » du film, il y a surtout les thèmes abordés, récurrents dans l’œuvre du cinéaste.
Alice au pays des merveilles, dans cette version, c’est avant tout l’histoire d’une enfant qui s’apprête à passer à l’âge adulte, avec ce que cela suppose comme responsabilités, comme choix à effectuer.
Elle se trouve à la croisée des chemins : Elle peut accepter l’option sécuritaire et faire ce que tout le monde attend d’elle, épouser ce grand dadais de rouquin qui veut l’épouser et qui n’est manifestement pas fait pour elle, mais qui est riche et influent, ou bien refuser et vivre sa propre vie, à sa convenance, pour aller au bout de ses rêves, de ses envies audacieuses…
Pour cela, il faut qu’elle arrive à concilier raison et audace, sagesse et folie, maturité et part d’enfance. Il lui faut aussi accepter l’idée de décevoir les autres, de les blesser pour pouvoir rester libre.
C’est tout l’enjeu de ce très psychanalytique voyage au pays des merveilles.
– Oui, le combat avec le Jabberwocky est symbolique. Dans le Wonderland elle doit se résilier à laisser derrière elle son innocence et à tuer le monstre pour sauver sa vie, comme dans la réalité elle devra se résilier à parfois blesser des gens pour imposer ses propres choix et vivre enfin comme elle l’entend.

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Il y a aussi ce rapport au père, qui était déjà le thème majeur de Big Fish. Alice, a perdu une partie de son imaginaire et de ses rêves avec la mort de son père. Le pays des merveilles lui offre des figures paternelles de substitution, à travers cette vieille chenille, modèle de sagesse (et allégorie de la transformation qui attend Alice) ou le Chapelier fou (Johnny Depp), qui tient ici une place bien plus grande que dans le texte de Carroll…
– Moi je l’aurais vu plutôt comme un amant potentiel pour Alice…
Bien sûr, il l’est aussi. L’opposé de ce rouquin hautain et terne qu’on veut lui faire épouser. Et l’image du père, dont il possède le côté fantasque et imprévisible. Il y a un côté oedipien/freudien à tout cela…
– Oui, et il y a plein d’autres oppositions dans le film, à commencer par la rivalité entre les deux reines : la reine de cœur – ou reine « rouge » – et la reine blanche… qui est un peu bonne, non ?
– Euh… Tu veux parler de « bonté », bien sûr… Hum… Il y a aussi, évidemment, l’opposition entre le monde des adultes – le monde réel – et celui de l’enfance – Wonderland.
– Ca se voit à l’image : Le monde réel est terne, gris, presque monochrome. Même les fleurs y sont blanches et fades. Alors que le pays des merveilles est saturé de couleurs, flamboyant. Mais ce n’est pas nouveau, ce procédé, chez Burton : il en a usé dans Les Noces funèbres ou dans Big Fish

– En fait, on comprend que ce thème du passage à l’âge adulte lui soit aussi cher. Tim Burton est un éternel enfant qui n’a pas envie de grandir, qui ne veut pas perdre ses rêves et sa fantaisie lunaire. Alice, c’est lui… Comme elle, il a fini par trouver sa voie hors des sentiers battus. Comme elle, il a accepté quelques compromis et est revenu dans le monde des adultes (les grands studios hollywoodiens) mais y a imposé son propre style, ses visions fantasmagoriques…
– C’est ça qu’on aime chez lui : c’est un adulte qui réalise tous ses rêves de gosses…
– Et ses rêves sont jolis à regarder…
– Oui, et il n’a pas besoin de déluges d’effets spéciaux numériques pour convaincre, comme dans ces avatars de Star Wars que sont les épisodes 1, 2 et 3… Ce qu’il met en scène est très simple, très humble sur la forme, mais truffé de petits détails savoureux, au service de l’ensemble.


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– Au fait, tu l’as vu en relief ?
– Non ! J’avais le choix entre la 3D en version française et la 2D en version-originale… J’ai préféré la seconde option. J’ai raté quelque chose ?
– Bof… Non, pas vraiment. Le relief n’apporte rien d’essentiel. Juste un peu de profondeur de champ, ce qui n’est déjà pas si mal… Mais il n’est aucunement indispensable au film. Il peut même, au contraire s’avérer gênant lors de certaines scènes, pour peu que la 3D connaisse quelques loupés (et ça peut arriver dans certaines salles, en fonction de la place à laquelle on se situe).
Et d’accord avec toi, à part pour les plus jeunes, pas encore exercés à lire les sous-titres, la VO est impérative pour ce film…
– Bah ouais, pas question de voir Johnny Depp en VF !
– Et la chenille Absolem, qui a ici la voix, reconnaissable entre mille, de l’immense Alan Rickman ! Et le Jabberwocky qui a celle de Christopher Lee! Et le Chat de Chester, génial personnage, doublé par Stephen Fry !
– Ah oui, très bons… Comme tous les acteurs du film, d’ailleurs…
Tiens, Helena Bonham Carter, par exemple : comment elle assure en Reine de Cœur, avec sa tête hypertrophiée et ses airs pincés…
– Plus que Depp ?
– Ben Johnny, il est parfait ; mais Johnny est toujours parfait, c’est de notoriété ! Mais encore une fois, comme dans Sweeney Todd, s’il brille autant, c’est aussi parce qu’il est porté par le jeu intense d’Helena Bonham Carter…
– Et puis, il y a aussi Anne Hathaway en Reine Blanche…
– Ah oui… Qu’est-ce qu’elle est bonne ! Enfin, bonne actrice, j’veux dire ! Non, c’est vrai, elle est parfaite en vraie princesse. De celles qui donnent l’impression de glisser quand elles marchent, qui ont toujours le sourire, qui portent de belles robes et qui ne font jamais caca…
– Euh… Oui, mais en même temps, elle prépare des potions avec des trucs bien crado, des doigts coupés, de la bave, etc…
– Mais même quand elle crache dans la potion, elle le fait avec grâce et délicatesse !

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– Justement, on lui a reproché d’être trop lisse, comme le film…
– Trop lisse ?!? A quel niveau ?
– En fait, je pense que les détracteurs du film s’attendaient à quelque chose de plus sombre, surtout après Sweeney Todd, qui ne faisait pas dans la dentelle… Et puis, « Alice au pays des merveilles », avec son côté fortement psychanalytique, aurait pu basculer dans le cauchemar effrayant. Un peu comme dans la version du cinéaste tchèqu…
– Oh mon Dieu, ciao !
– Hé ! Reviens… Qu’est-ce que c’est que ces préjugés ? Cet Alice est un film tchèque, d’accord, mais vraiment de toute beauté, signé par un cinéaste qui s’appelle Jan Švankmajer et qui est considéré comme l’un des maîtres du cinéma d’animation surréaliste. Hé bien sa version de l’histoire est relativement noire… Et le public, du moins une partie – s’attendait à la même chose de la part de Burton…
– Oui mais on peut toujours tout critiquer. Si Burton fait ce qu’il a déjà fait par le passé, on lui reproche de ne pas se renouveler (Souviens-toi des Noces Funèbres, comparées à L’étrange Noël de Monsieur Jack…) et s’il fait quelque chose de différent, on lui reproche d’avoir perdu la main… Alors ?…
Et puis, il faut en finir avec cette envie de vouloir toujours tout repeindre en noir ! Ce n’est pas un polar, c’est « Alice au pays des merveilles »… Une fable destinée aux enfants ! Burton en livre une version colorée, lumineuse ? Et alors !?!
Ce qui compte, c’est qu’il réussit, comme à son habitude, à parler de sujets adultes, souvent assez graves, voire funèbres, avec cette distance que lui permet sa fantaisie et son imaginaire touffu.
Il est avant tout un conteur ! Pas un auteur de films d’horreur… Ceux qui veulent du gore n’ont qu’à aller voir La Horde !

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– Alors, tu as aimé sans réserves ?Moi, j’ai trouvé le scénario un peu trop linéaire, quand même… Avec des longueurs, au début notamment… Toute la partie entre le moment où elle s’enfuit dans la forêt et l’entrée au Pays des merveilles traîne un peu…
– C’est vrai, elle rapetisse, grandit, elle rapetisse encore… Ca va, ça va, on a compris… En fait, moi, j’ai pas vraiment accroché au début. Il y a des longueurs, mais en même temps, ça va trop vite ! On a l’impression que Burton tente de respecter un cahier des charges où il faut placer tous les personnages que les spectateurs s’attendent à voir : le lapin blanc, les fleurs qui parlent, le lièvre de Mars, Tweedledum et Tweedledee… Trop d’persos, trop d’couleurs, trop d’infos, on pas le temps d’apprivoiser son pays des merveilles avant que le Chapelier fou se pointe pour nous expliquer un peu ce qui s’y passe.
En fait, ce qui m’a gêné au début, c’est que j’étais un peu perdu dans cet univers. Ca tient peut-être à ce que je n’ai pas réussi à m’attacher tout de suite au personnage d’Alice, trop lisse, un peu insipide. En fait, dans Alice aux pays des merveilles, j’ai tout aimé, sauf peut-être Alice elle-même !
– Ah bon !?! Moi je l’ai trouvée plutôt bien dans le rôle, la jeune Mia Wasikowska…
– C’est toi, vazicozka ! Non, mais sérieux, elle a ce p’tit air un peu nunuche, on a l’impression qu’elle subit Wonderland, qu’elle y est perdue… Et du coup, nous aussi on l’est, perdus !
– Mais c’est probablement volontaire, ça ! Elle est confrontée à un choix décisif pour le reste de sa vie, c’est lourd à gérer pour une adolescente ! Et, alors qu’elle avait un peu oublié le pays des merveilles de ses rêves d’enfant, elle y est de nouveau plongée… C’est normal qu’elle soit perdue. Et si on est aussi perdus qu’elle, c’est que l’identification au personnage fonctionne.
– Pas faux… Ca fait encore un argument en faveur de l’œuvre, alors…
– Bon alors, tu me l’écris, cette critique ? Ah ben non, attends… Finalement, on a tout dit dans notre dialogue (même ce qu’il ne fallait pas dire…). Un mot de la fin, peut-être ?
Je ne place pas Alice au pays des merveilles aussi haut que d’autres films du cinéaste, mais ça reste quand même une œuvre plus qu’honorable, singulière et originale, véritablement sincère et pleine de trouvailles visuelles. Et à ceux qui disent que le grand Tim a perdu son âme en travaillant pour Disney, je leur rétorque que je préfère que Burton fasse du Burton pour Disney plutôt qu’il bosse pour d’autres qui le priveront du final cut pour nous chier un film de studio de base !
Et, sinon, j’ai le droit de dire que la reine blanche elle est trop…
…classe ?!

 
N.B. : Retrouvez aussi le billet de PaKa sur la Revue Case-Mate spécial « Alice » dans la Rubrique-à-brac d’Angle[s] de vue

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Alice au pays des merveilles Alice au pays des merveilles 3D
Alice in wonderland 3D

Réalisateur : Tim Burton
Avec : Johnny Depp, Mia Wasikowska, Helena Bonham Carter, Anne Hathaway, Crispin Glover
Alan Rickman, Michael Sheen, Stephen Fry, Christopher Lee (voix)
Origine : Etats-Unis
Genre :  burtonien
Durée : 1h49
Date de sortie France : 24/03/2010

Note pour ce film : ●●●●●

contrepoint critique chez : Télérama
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6 COMMENTS

  1. Je l’ai trouvé bien b…. classe Alice aussi ! 🙂

    En tous cas excellente critique les mecs ! Toujours un plaisir de passer par ici !

  2. Merci l’ami! Content de t’avoir satisfait de nos petits talents de plume… (ouais, ouais, ouais, formidable…)

    Oui, elle est toute mimi, la petite Alice (et Mia Wasikowska avec).
    Et non, PaKa ne fait pas la fine bouche… C’est juste qu’il vient de découvrir qu’il existait une actrice du nom de Anne Hathaway…
    Il devait être à fond dans son trip « découverte du monde gay » quand il a vu « Brokeback mountain » et il ne l’avait pas repérée à ce moment-là…hi hi hi…

  3. Ce fut un plaisir de jouer à cet exercice de discussion/critique/dialogue avec toi, mon cher Boustoune.
    A refaire très vite, donc… autour d’une bonne bouteille de Bourgogne !

  4. J’ai bien compris le message… Tu te dis que, comme je passe bientôt par Beaune, je pourrais faire un petit détour par Vosne-Romanée…
    Pas sûr que j’ai le temps… J’y vais quand même avant tout pour couvrir le festival du film policier de Beaune, pour nos chers lecteurs…
    Avec une vingtaine de films au programme, ça va être dur de s’échapper…
    Mais bon, ma cave est encore pleine de bonnes bouteilles…

  5. @ Juljazz : merci d’apprécier ! Vu que j’ai un peu carte blanche dans la Rubrique-à-Brac de ce site, je pourrai peut-être t’y dédicacer une retro-critique sur la trilogie cultissime qu’est Retour Vers Le Futur… nom de Zeus !

    @ Boustoune : faut croire qu’à l’epoque Anne Hathaway m’avait moins excité, heu, convaincu que Jake Gyllenhaal et son joli p’tit… potentiel !

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