Autant prévenir tous ceux qui aiment la 3D quand elle se fait spectaculaire, dans les films d’action ou de science-fiction, 3x3D, bien que résolument tourné en relief, n’est probablement pas fait pour eux…
A vrai dire, à l’origine, il ne s’agit même pas d’une œuvre destinée à être exploitée en salles, juste une installation artistique pour le musée de Guimarães.
Les directeurs de l’établissement ont demandé à trois réalisateurs prestigieux, connus pour leur goût des expérimentations visuelle et leur sens artistique, de réaliser un court-métrage en relief sur le thème de la mémoire.

3x3D - 2

Peter Greenaway a ainsi signé “Juste à temps”, une promenade artistique et temporelle dans le centre historique de Guimarães filmée en trois plans-séquences identiques, mais tournés à différentes heures de la journée (matin, midi et soir) et brassant, à travers les personnages historiques croisés et les monuments représentés, deux mille ans d’histoire locale.
Comme à son habitude, Greenaway joue sur l’accumulation des informations à l’image. Le texte est incrusté à différents endroits de l’écran, stimulant le regard du spectateur. Les sons, les voix, le commentaire se mélangent, donnant tous les détails sur la vie et les hauts faits des personnages. La promenade multiplie les associations d’idées et les oppositions thématiques – les Saints et les hérétiques condamnées au bûcher, par exemple.
On se perd finalement avec délice dans ce labyrinthe spatio-temporel et dans les jeux culturels et intellectuels proposés par le cinéaste britannique.
L’exercice de style, virtuose, n’est pas sans rappeler les premiers courts-métrages du cinéaste. Certains trouveront sans doute cela parfaitement vain, mais le résultat est néanmoins assez fascinant.

3x3D - 4

Le segment d’Edgar Pêra, “Cinesapiens”, rend hommage à plus d’un siècle de cinéma, interrogeant sur le rapport entre le 7ème art et le monde réel environnant, entre le spectateur et l’œuvre, et sur l’évolution de notre rapport à l’image.
Le cinéaste nous entraîne dans une sorte de voyage allant des premiers films muets jusqu’au cinéma 3D, et même au-delà, puisqu’il anticipe la projection holographique. Il montre surtout que le spectateur, qui s’effrayait jadis en voyant l’arrivée d’un train en gare de La Ciotat ou en voyant les balles siffler en  sa direction dans les westerns primitifs, a aujourd’hui assimilé tous les trucs et astuces du cinéma. Il a évolué à l’état de cinésapiens, un humanoïde sous l’emprise des images, qui a besoin d’outils nouveaux pour pouvoir éprouver des sensations fortes.
Le relief en fait partie. Mais demain? Comment évoluera cette quête de frissons cinématographiques. A partir de ce postulat, le cinéaste cite Lovecraft pour faire basculer son récit dans un cauchemar angoissant.
Des trois courts-métrages, c’est celui qui utilise plus le relief en tant qu’artifice spectaculaire, pour rappeler que le cinéma, avant d’être un art, est un divertissement populaire, un spectacle, justement, destiné à procurer au public les émotions qu’il ne peut ressentir dans sa vie de tous les jours.

3x3D - 3

Dans la troisième partie, “Les trois désastres”, Jean-Luc Godard s’intéresse lui aussi au cinéma.
Il reprend la forme qu’il avait jadis employée pour son Histoire[s] du cinéma, un mélange d’images d’archives d’actualité et d’extraits de films qui l’ont marqué pour illustrer un propos plus philosophique sur l’état du monde et du Cinéma.
La 3D, il s’en moque complètement. Au sens propre comme au figuré. Il expédie l’argument 3D dès la première scène : une main qui jette trois dés à jouer. Petite nuance, le mot “Astre” apparaît au même moment. Godard veut donc nous parler de désastres. Et de mémoire, donc, puisque c’est le thème imposé.
Il évoque le nazisme, la barbarie à l’état pur dont l’homme doit se souvenir à jamais, pour ne plus qu’elle puisse se reproduire. Il évoque avec nostalgie le cinéma d’antan tout en marquant son dégoût des productions actuelles. Et il fustige le numérique et les nouvelles technologies, responsables, selon lui, de nous faire perdre la mémoire du cinéma, et de tout ce que comporte cet héritage.
Ce bien curieux voyage cinématographique estampillé JLG sera considéré, selon le ressenti de chaque spectateur, comme du pur génie ou du pur foutage de gueule.

Bien qu’assez anecdotique et inégal, l’ensemble ne manque pas de charme. Il attisera sans doute la curiosité des cinéphiles, ne serait-ce que pour voir comment ces trois réalisateurs s’emparent du relief pour y ajouter leur propre style, leur patte si singulière.

_______________________________________________________________________________

3x3D 3x3D
3x3D

Réalisateurs : Peter Greenaway, Edgar Pêra, J.L. Godard
Avec : Carolina Amaral, Keith Davis, Leonor Keil, Ângela Marques, Nuno Melo, Miguel Monteir
Origine : Portugal, Royaume-Uni, Suisse
Genre : 3x3D
Durée : 1h02
Date de sortie France : 30/04/2014
Note pour ce film :
Contrepoint critique : La Croix

______________________________________________________________________________

LEAVE A REPLY