Women are heroes n’est pas un film. C’est un projet artistique ambitieux, tant sur le plan humain que sur le plan technique, qui fait intervenir plusieurs médias.

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Il s’agit tout d’abord d’un documentaire dans lequel l’artiste, JR, parcourt le monde pour filmer, comme le titre l’indique, des femmes courageuses, vivant dans des conditions souvent  difficiles mais cherchant à se construire un avenir meilleur. Sa caméra se pose dans des pays touchés par la guerre, la famine, la violence et la misère. Des favellas de Rio de Janeiro aux artères poussiéreuses de New Dehli, des bidonvilles kenyans aux rues de Phnom Penh, les témoignages se succèdent et se ressemblent.
Les femmes racontent leurs histoires personnelles, leurs parcours qui, bien que très différents, ont beaucoup de points communs. Elles vivent toutes dans un univers dominé par la gent masculine, ont subi des mariages arrangés, des violences domestiques, des viols ou des situations humiliantes.
Et elles doivent évoluer dans des environnements difficiles – habitations vétustes, situation financière précaire, instabilité politique, etc…
La plupart de ces récits, si ce n’est la totalité,  sont bouleversants, révoltants, intenses.
Avec ce qu’elles ont subi, on aurait pu penser que ces femmes seraient  éteintes, détruites psychologiquement. Mais dans leur regard, il y a encore de la vie, une envie de se battre pour un futur meilleur.

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Pour capter un peu de cette vie, de cette force intérieure, JR a photographié les visages de toutes ces femmes en très gros plan, figeant des sourires, des grimaces, des larmes. Le temps d’une brève session, ces femmes ont pu mettre de côté leurs problèmes et s’abandonner à l’objectif de ce photographe français. Et surtout, elles ont eu l’impression d’être enfin reconnues à leur juste valeur. Souvent, ce sont elles qui trouvent les solutions permettant à leurs familles de survivre dans ces milieux hostiles, qui se sacrifient pour le bien-être de leurs enfants, pour leur permettre de suivre des études et de s’extirper de la misère. Des héroïnes ordinaires, en somme, dont le courage n’est pas suffisamment mis en avant dans des sociétés phallocrates.

Le but de l’artiste est justement de glorifier ces figures féminines fortes, de leur redonner toute leur dimension. Déjà aux yeux de ceux qu’elles côtoient quotidiennement – hommes ou femmes, et ensuite aux yeux d’un public occidental souvent peu et mal sensibilisé à ce qui se passe dans ces pays lointains, aux combats de leurs habitants.
Pour cela, JR ne fait pas dans la demie-mesure. Hors de question de se contenter d’exposer ces portraits sur les murs d’une galerie occidentale BCBG. Il faut afficher ces clichés en grand format sur les murs, sur les façades d’immeubles, les toits, les wagons de train et les autobus, les piliers d’église ou les portes de lieux publics.

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Evidemment, l’artiste n’a pas fait cela tout seul. Il s’est fait aider, à chaque fois, de la population locale, fière de participer à un projet mettant en valeur leurs voisines, leur quartier, leurs ville, leurs vies, en collant ces affiches géantes… En ce sens, sa démarche créatrice agit comme un véritable ciment social, unissant les générations, les sexes, les ethnies…
Utile, donc, sur le plan humain.

Utile, également, parfois, sur le plan matériel. A Kibera, au Kenya, quand JR a exposé son idée de coller des affiches sur les toits des maisons, les habitants lui ont rétorqué que c’était stupide, qu’elles seraient vite balayées par la pluie. Ils lui ont suggéré d’imprimer sur des grandes bâches en vinyle, pour qu’au moins, cela soit utile, qu’ils puissent ainsi rendre plus étanches des toits en mauvais état. Apparemment, la plupart de ces bâches sont encore en place…

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Women are heroes, le documentaire, montre comment s’est déroulée cette campagne d’affichage épique, le plus souvent bien accueillie par la population.
Seul couac notable, sur lequel n’insiste pas le film, le scandale provoqué par l’affichage des visages de femmes des favelas sur l’entrée d’un des musées de la ville et sur des monuments situés dans les beaux quartiers. La directrice du musée a été licenciée suite aux protestations de certains bourgeois, heurtés par l’intrusion de la pauvreté dans leur univers de luxe et de richesse. Point positif, l’affaire a attiré l’attention des pouvoirs publics sur la situation critique de la favela “Morro da Providência”, l’une des plus violentes du pays.
Du coup, une vaste opération de “nettoyage” a eu lieu, faisant singulièrement chuter le nombre d’actes violents et de trafic au coeur du quartier, améliorant un peu les conditions de vie de la population locale. Un centre culturel a même pu y être aménagé, offrant à des jeunes défavorisés la possibilité d’exprimer leur potentiel artistique et de rêver, pourquoi pas, à un destin plus enviable…
Utile, on vous dit…

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… Et agréable ! Car ces expos à ciel ouvert, comme le film lui-même, flattent l’oeil et l’esprit.
Les trouvailles abondent, ludiques et poétiques. Les dispositifs sont complexes, audacieux, géniaux. Ils captent l’attention du passant, le font réagir, l’obligent à l’interroger sur le sens profond de ces images très grand format.
Le troisième aspect du documentaire est justement l’enregistrement des réactions du public, notamment celle des hommes dont l’attitude machiste est ici bien souvent épinglée ou celles des enfants, forts de leurs regards encore innocents (1). Mais aussi celles des “héroïnes” elles-mêmes, heureuses de se voir ainsi magnifiées, fières de savoir que l’artiste, par ses affiches, par son film, continuera de faire voyager leurs histoires personnelles. Ces simples photographies ont l’air anodines, mais pour ces femmes, elles signifient énormément : une dignité retrouvée.

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Depuis sa présentation cannoise l’an passé, dans le cadre de la  Semaine de la critique, Women are heroes s’est attiré les commentaires acerbes de certains esprits chagrins. Ceux-ci déplorent que le documentaire soit trop décousu, pas assez centré – ou trop centré, selon les avis – sur les témoignages, qu’il ne serve qu’à glorifier JR et à flatter son ego…
Bref, qu’il ne s’agit que d’un simple trip auto-promotionnel.

Critiques injustes, voire imbéciles…
Bien sûr, ce film ne révolutionne pas l’histoire du documentaire. JR n’a pas la rigueur de certains maîtres de la spécialité, ni la maîtrise technique – même si le résultat est plus qu’honorable. Mais rappelons qu’il ne s’agit pas d’un film au sens strict, mais d’une pièce d’un gigantesque puzzle qui inclue les témoignages filmés, les photographies, les campagnes d’affichage et tout ce qui gravite autour. Le projet Women are heroes doit être appréhendé dans sa globalité.
Et oui, JR montre ostensiblement qu’il est fier de ce qu’il a accompli. Et alors? Il peut l’être, mince!
Il fallait oser passer du temps dans des endroits où même les journalistes n’osent plus trop s’aventurer, établir une relation de confiance avec ces femmes, convaincre la population de l’aider. Il fallait oser afficher de manière sauvage, sans autorisation, ces portraits magnifiques pour nous obliger à plonger nos yeux dans les regards intenses de ces fortes femmes.

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JR est un artiste au sens noble du terme, un visionnaire, un homme engagé, un esthète. Mégalo? Non, juste généreux et ambitieux. Est-ce un crime?
Franchement, il aurait été plus simple pour lui de faire sponsoriser son projet par une quelconque fondation d’art contemporain ou des mécènes privés, comme Yann Artus-Bertrand pour Home, puis se contenter d’exposer dans une galerie chic et de vendre ses tirages limités à prix d’or. Mais non, il refuse d’être parrainé par une marque qui profiterait de son art justement pour faire de la promotion déguisée. Et il préfère garder sa liberté d’exposer où il le souhaite, comme il le souhaite… D’ailleurs, il vient d’être honoré par le prestigieux prix TED, récompensant un travail artistique d’une grande maîtrise doublé d’un engagement humanitaire avéré…

Chez Angle[s] de vue, on a choisi notre camp. On défend farouchement l’artiste et on conseille vivement la découverte de son univers, via ce film et ses recueils de photographies (2).
Alors, ouvrez les yeux, et laissez-vous entraîner dans ce beau voyage au coeur de la dignité humaine, à la rencontre de femmes et de peuples magnifiques…

(1) : Plus tant que cela, hélas, dans certains pays brisés par les horreurs de la guerre…
(2) : Ou par le hors série que lui a consacré le mensuel 3 couleurs – voir dans notre Rubrique-à-brac.

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Women are heroes

Réalisateur : JR
Avec : des femmes brésiliennes, kenyanes, sierra-léonaises, libériennes, indiennes, cambodgiennes…
Origine : France
Genre : pièce d’un remarquable puzzle artistique
Durée : 1h25

Date de sortie France : 12/01/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Le Monde

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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