Sur le papier, le sujet de We are four lions n’a rien de drôle : quatre individus venant du nord de l’Angleterre, musulmans et islamistes convaincus, projettent de porter le Jihad sur le sol de la perfide Albion, en commettant des attentats-suicides à coups de bombes artisanales (1). On ne s’imagine pas un instant se bidonner devant des fanatiques religieux prêts à tout – y compris le massacre de centaines d’innocents – pour gagner le Paradis et mériter le repos du guerrier d’Allah…

Pourtant, à l’écran, c’est irrésistible de drôlerie et de finesse…
Car les quatre apprentis kamikazes sont de véritables pieds-nickelés tous plus stupides ou maladroits les uns que les autres. Ils commettent bourde sur bourde et enchaînent les galère avec la même régularité que le gang de cambrioleurs du Pigeon de Mario Monicelli (2)…

We are four lions - 2

Il faut les voir tourner leurs vidéos revendicatives, un carton sur la tête et un fusil en plastique taille enfant à la main.
Ou bien les voir tenter d’échapper à l’identification des caméras de surveillance en secouant la tête dans tous les sens – plus fort que la méthode Coué, la méthode secouée !
Ou encore se déguiser en personnages de dessins-animés pour commettre leurs attentats sans attirer l’attention… C’est sûr qu’un type déguisé en tortue ninja, ça ne se remarque pas dans une foule…
Non, vraiment, Omar, Waj, Barry et Fessal sont des branquignols de première catégorie et leur cheminement n’est pas sans évoquer celui des stripteaseurs amateurs de The Full Monty, autre belle réussite de la comédie sociale à l’anglaise.
Ils se forment par étapes, cumulant les gaffes au point de ne même plus être soutenus par les leaders d’Al Quaïda…

Pour son premier long-métrage de fiction, l’humoriste Chris Morris frappe fort et juste.
Il réussit le miracle de nous rendre sympathiques ces quatre zozos (3) pourtant animés des plus mauvaises intentions, et de nous faire rire avec des sujets hautement  sensibles – les tensions entre Islam et Occident, la xénophobie, le terrorisme…  Et ce, sans jamais chercher la polémique ou la provocation gratuite. Bien au contraire !

Oh, bien sûr, les djihadistes s’y font ridiculiser, et il n’est pas certain que les islamistes les plus radicaux apprécient beaucoup cette façon de les caricaturer – ils ont prouvé, hélas, que l’humour n’est pas leur fort, et qu’ils ne maîtrisent pas franchement le second degré.
Et il se trouvera toujours un ou deux esprits chagrins pour s’offusquer que l’on donne la vedette à des terroristes, même si on peut difficilement voir dans le film une apologie du suicide-kamikaze…
Oui, c’est sûr, Chris Morris ne va pas se faire que des copains… Mais ce n’est pas plus mal, car qui voudrait être ami avec des imbéciles ?

We are four lions - 3

Il faut bien comprendre que We are Four lions n’est pas du tout manichéen. Il ne  cherche pas à valoriser un camp plutôt qu’un autre. Le cinéaste ridiculise tout le monde : les apprentis terroristes, les vrais djihadistes, les voisins qui ne remarquent rien, les flics toujours prêts à faire une bavure, les autorités paranoïaques…
Tout le monde en prend pour son grade, pas de jaloux !
Oui, Chris Morris n’épargne personne, mais dans le même temps, il respecte tout le monde, tous ses personnages…
S’il joue avec les clichés autour de l’islamiste-type, c’est pour mieux les passer à la moulinette et tordre le cou aux idées reçues. Tous les arabes ne sont pas musulmans, tous les musulmans ne sont pas islamistes, et encore moins terroristes, tous les terroristes ne sont pas forcément unis les uns aux autres…

Les personnages ne sont pas vraiment des “fous de Dieu”. Ils ont l’air plus ouverts d’esprits, plus aptes à s’intégrer que certains fanatiques respectant à la lettre des coutumes parfois rétrogrades. Et pourtant, ce sont eux qui passent à l’acte, lassés de l’assimilation imbécile des musulmans aux fanatiques islamistes, du regard hostile que porte sur leur communauté le reste de la société britannique, du racisme qui leur barre l’accès à des postes plus importants dans le monde du travail…
Ce sont juste de pauvres types en quête de reconnaissance, qui se laissent séduire par des discours extrémistes, de la même façon que d’autres se sont laissés convaincre par des discours xénophobes anti-Islam… On notera d’ailleurs que le plus virulent des terroristes en herbe est le seul “blanc” du groupe, et que c’est celui qui est le plus avide de gloire médiatique… C’est le moyen qu’il a trouvé pour se mettre en avant, pour exister un peu dans une société très individualiste qui ne prête pas attention à lui…

We are four lions - 4

Le cinéaste montre le côté dérisoire, absurde, de leur quête. Les quatre hommes se rêvaient martyrs, ils finiront victimes emblématiques d’une société reposant sur la peur de l’autre, la paranoïa et le repli communautaire, où plus personne ne prend le temps d’apprendre à connaître ses voisins, d’accepter les différences et de s’enrichir du brassage culturel.
Pourtant, on est tous dans le même bateau, on a à peu près tous les mêmes rêves et les mêmes problèmes. Pourquoi ne pas essayer de vivre ensemble, en respectant les valeurs universelles que sont la liberté, l’égalité et la fraternité ?

Pour le cinéaste, il faudrait faire tomber les barrières invisibles qui séparent les hommes, s’affranchir des préjugés raciaux ou socio-culturels, tendre vers plus d’égalité de façon à éliminer les frustrations, les jalousies, les rancoeurs…
Justement, en offrant les rôles principaux à des acteurs inconnus, issus de ce que l’on nomme les “minorités visibles”, Chris Morris fait un acte en faveur de l’intégration, de l’harmonie des cultures et des religions…
Il oeuvre pour la paix et c’est là tout l’enjeu du film…

We are four lions - 5

Le spectateur amusé puis ému par le parcours tragi-comique de ces “quatre lions” islamistes, ne peut que sortir de ce film avec de nouveaux axes de réflexion quant à l’évolution des relations entre les pays occidentaux et le monde arabe, entre le culte musulman et les autres religions, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. Il se voit contraint de remettre en question sa propre attitude,  sa potentielle xénophobie, sa peur de l’étranger, de ce qui est différent…

Voilà un film souvent hilarant, parfois poignant, qui divertit tout en ouvrant les coeurs et les esprits.
We are four lions est une franche réussite, une de plus pour nos amis d’Outre-Manche.
Alors n’écoutez pas ces critiques aigris qui citent Desproges sans comprendre sa démarche (4) et allez découvrir ce petit film fort sympathique.
Oui, on peut rire de tout, même des intégristes, du terrorisme, des camps d’entraînement d’Al-Quaïda, des méthodes musclées de la police anglaise et de la CIA… Certes pas avec n’importe qui.  Mais  assurément avec Chris Morris, humoriste subtil et jeune cinéaste inspiré…

(1) : D’autant qu’au moment où je rédige cette critique, on apprend que la Suède vient d’éviter un terrible attentat du même type…
(2) : Une façon pour nous de rendre hommage au cinéaste italien, qui se sachant condamné, a mis fin à ses jours le 29 novembre 2010, à l’âge de 95 ans.
(3) : ils seront même cinq en tout, après l’embrigadement d’un autre apprenti djihadiste  tout aussi neuneu que les autres…
(4) : petit coup de griffe à l’encontre de Sébastien Chapuys de Critikat, qui n’a rien compris au film, ni à Desproges. Je serais prêt à parier que ce dernier aurait bien aimé ce film impertinent et drôle… Mais bon, ce n’est pas la première fois que Critikat écrit des âneries…

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We are four lions We are four lions
Four lions

Réalisateur : Chris Morris
Avec : Riz Ahmed, Arsher Ali, Nigel Lindsay, Kayvan Novak, Adeel Akhtar, Chris Wilson
Origine : Royaume-Uni
Genre : d’la bombe…
Durée : 1h41
Date de sortie France : 08/12/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Excessif

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