85429-HOLLY_-_Official_poster[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

Holly (Cathalina Geeraerts) est une adolescente étrange et assez solitaire, rejetée par ses camarades de collège. Ses seuls amis sont sa soeur Dawn (Maya Louisa Sterkendries) et son petit copain, Bart (Felix Hermans), un garçon atteint d’autisme et lui aussi victime de moqueries en raison de sa différence, .
Un matin, la jeune fille appelle l’établissement scolaire pour annoncer qu’elle ne viendra pas en cours ce jour-là, car elle a un étrange pressentiment et ressent un profond malaise. Le jour même, un violent incendie se déclare et fait une dizaine de victimes parmi les élèves.
Neuf mois plus tard, elle est toujours ostracisée par ses camarades, qui voient en elle une “sorcière”. Mais, à l’occasion d’un évènement organisé pour tenter de surmonter psychologiquement le drame, avec les familles des victimes, certaines personnes remarquent que la jeune fille semble avoir un don pour apaiser les tourments psychologiques. Tous ceux qui la croisent semblent se sentir instantanément mieux.
A partir de ce moment, la jeune fille devient beaucoup plus sollicitée, et confrontée aux attentes de plus en plus fortes de ses interlocuteurs.

Pourquoi on trouve le film sacrément réussi ?

La première bonne idée de Fien Troch, c’est d’avoir confié le rôle-titre à la jeune Cathalina Geeraerts, qui s’avère absolument divine, sans mauvais jeu de mots et à qui l’on promet une belle carrière de comédienne. Sans doute faut-il aussi féliciter la cinéaste pour sa direction d’acteurs, car outre Geeraerts, tous les autres comédiens jouent parfaitement juste. On sait, depuis ses films précédents (Home, Kids) qu’elle a un don pour dénicher de nouveau talents et en tirer le meilleur. C’est encore le cas ici.

La seconde belle idée, c’est de jouer constamment avec les codes du film fantastique pour dresser le portrait d’une jeune fille énigmatique. Le point de départ du scénario évoque un peu Carrie, le classique de Brian De Palma, adapté du roman de Stephen King. Comme celle-ci, Holly vit une adolescence douloureuse. Elle évolue dans un contexte familial difficile, dans une HLM sordide, entretenant des relations heurtées avec sa mère alcoolique, et elle est rejetée par ses camarades de collège, qui la trouvent étrange. Même si la jeune fille semble encaisser sans broncher cette hostilité, on sent qu’un rien pourrait la pousser à bout et l’inciter à exercer une terrible vengeance contre ceux qui la harcèlent, comme l’héroïne de Stephen King. La partition musicale de Johnny Jewel, dont les notes au synthétiseur rappellent quelques classiques du cinéma d’horreur des années 1970/1980 – on pense à L’Exorciste ou à Halloween, par exemple – vient accentuer cette impression. Mais surprise, le drame survient à la dixième minute de film. Comme dans Carrie, des élèves périssent par les flammes et plongent la communauté dans le deuil. La différence, c’est que Holly n’y est pour rien, à priori.

La suite du récit continue de jouer la carte du surnaturel, mais en adoptant un tour plus surprenant. Holly se voit soudain considérée comme une “Sainte” par les personnes qui l’entourent. On lui prête des pouvoir de guérisseuse, en tout cas d’un étrange don d’empathie et de consolation. Sa “prémonition”, qui pourrait tout aussi bien n’être qu’une simple coïncidence, ajoute à son aura particulière, qu’elle ne fait pourtant rien pour entretenir.
L’adolescente passe de paria à une sorte de star locale, que tout le monde veut approcher. Certains sont même au bord de l’hystérie, la poursuivant pour qu’elle puisse régler tous leurs problèmes, d’autres lui offrent de l’argent pour passer quelques moments avec elle. On se dit alors que le drame va peut être survenir, mais que c’est Holly qui va en faire les frais. Surtout que ses soutiens de la première heure, comme sa professeure, Anna (Greet Verstraete), voient d’un mauvais oeil tout cette agitation autour de la jeune fille et le fait qu’elle obtienne une rétribution pour faire profiter de ses “pouvoirs”.

Le véritable sujet du film est là, dans les tensions qui se créent entre la collégienne et la professeure. Le scénario nous invite à réfléchir à la question de la générosité, de la solidarité, de la capacité à faire le bien autour de soi. Doit-on impérativement se sacrifier, se dépouiller de tout pour aider son prochain? Peut-on véritablement faire le bien de façon désintéressée? Initialement, Holly console spontanément ceux qui en ont besoin. Elle n’attend rien en retour. Mais quand soudain, on lui offre des cadeaux, de l’argent, cette gamine n’hésite pas longtemps pour accepter. Elle en profite pour s’acheter des vêtements à la mode, des bijoux, un nouveau téléphone… Quoi de plus normal, à cet âge-là? Surtout si ces signes extérieurs de “richesse” peuvent l’aider à se sentir “normale” et à s’intégrer à un groupe, ou du moins ne plus en être exclue. Il est probable qu’au début du récit, Holly est ostracisée par ses camarades à cause de ses origines sociales modestes et ses vêtements bas de gamme, plus qu’à cause de sa réputation de “sorcière”… Finalement, la situation finit par gêner l’adolescente, qui ressent trop de pression autour d’elle et ne se sent pas forcément légitime pour régler tous les problèmes du monde. Elle est aussi blessée d’avoir déçu Anna en acceptant de se laisser “corrompre”. Mais la professeure n’est pas forcément très claire sur le sujet, elle non plus. Si elle accepte initialement de prendre Holly sous son aile, avant de découvrir son pouvoir, c’est pour aider cette adolescente timide et rejetée. Elle joue le rôle de sauveur, en quelque sorte et en tire une certaine gratitude, une aura particulière. Mais quand Holly exprime son don, elle n’est plus une victime fragile et isolée. Elle va vers les autres, communique, prend une place complètement différente et se montre même plus habile qu’Anna à consoler le compagnon de celle-ci, un surveillant traumatisé par l’incendie. Alors, elle en éprouve une certaine frustration, et son ressentiment vis à vis de l’adolescente est autant lié à de la jalousie et à un sentiment d’inutilité qu’à une véritable consternation morale.

Le film de Fien Troch s’intéresse aussi à ce qui cimente la société. Pourquoi certains sont-ils acceptés dans une communauté et pas les autres? Les préjugés? La peur de la différence? Holly est à la fois une fille tout à fait banale, “ordinaire” et une personne “anormale” ou du moins considérée comme telle par son environnement. Cette différence, ce côté hors normes peuvent être une force ou un fardeau. Que doit elle faire? Se fondre dans la masse, s’effacer pour s’intégrer ou, au contraire, s’affirmer, et rester à l’écart de la masse? Cette question, beaucoup d’adolescents se la posent, en tentant de trouver le bon équilibre qui leur permettra de trouver leur place.

Finalement, la question des pouvoirs de Holly ne sera jamais véritablement tranchée. A chaque spectateur de se forger son opinion, en fonction de sa sensibilité et de ses croyances personnelles. En tout cas, son parcours messianique met en exergue une valeur essentielle et commune à bien des religions, bien des sociétés civilisées : la compassion envers les autres et la capacité à offrir son épaule pour un peu de réconfort et d’apaisement. En ces temps troublés, le monde en a bien besoin…

Contrepoints critiques

”Accompagnée d’une musique planante, la mise en scène joue des sons effacés, de lents zooms avant, pour créer le mystère et amplifier des gestes anodins (…) De quoi avoir envie de croire, tout au moins en un prix, peut-être.”
(Olivier Bachelard – Abus de ciné)

”Se mêlent des portraits d’adolescents, des prémonitions, une étrange communauté, dans un film dont les enjeux hésitent à se dessiner et qui d’ailleurs peine à obtenir notre attention. Coproduit par les frères Dardenne.”
(Pascal Gavillet – @PascalGavillet sur X)


Crédits photos : images fournies par La Biennale di venezia

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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