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De quoi ça parle ?

Alice (Florence Pugh) et Jack (Harry Styles) forment un couple modèle, selon la conception de l’American Way of Life des années 1940/1950. Pendant que Monsieur part travailler chaque jour pour assurer le train de vie du foyer, Madame assure parfaitement ses tâches ménagères et prépare le dîner, en bonne maîtresse de maison. Ils n’ont pas encore d’enfants, mais pourraient bien en concevoir plus tôt que prévu au vu de leur vie sexuelle plutôt active.
Leur voisinage, peuplé de gens amicaux, toujours souriants et prêts à s’entraider, est aussi absolument parfait. Ils s’entendent tous à merveille et passent leur temps à s’inviter les uns les autres pour un cocktail, un dîner ou une pool party.
En même temps, il vaut mieux que l’entente soit parfaite, puisqu’ils sont bloqués dans cette communauté perdue au milieu d’un désert, probablement situé au Nouveau-Mexique ou dans une zone aride des Etats-Unis. Comme ses voisins, Jack travaille en  effet  sur un projet confidentiel appelé « Victory » et le “développement de matériaux progressifs”. Leur hébergement est intégralement pris en charge par la compagnie, qui veille également à leur bien-être et leurs activités. En échange, ils doivent à la compagnie un total investissement, et une discrétion absolue.  Ils n’ont absolument pas le droit de parler de leur travail à leurs épouses, et celles-ci n’ont pas l’autorisation de s’approcher de la zone d’activités, officiellement pour leur propre sécurité.
La quiétude de ce microcosme est troublée par la crise traversée par l’une des femmes du groupe, qui semble soudain en proie à des épisodes dépressifs et des accès de paranoïa. Quand elle disparaît, officiellement après un “accident”, Alice commence elle aussi à se poser des questions sur la nature du projet Victory. Elle aussi est témoin de choses anormales et est fréquemment hantée par d’inquiétantes visions.


Pourquoi on twiste de plaisir ?

La force principale de Don’t worry darling, c’est son scénario, qui laisse lentement la paranoïa s’installer dans ce microcosme idyllique, un peu trop parfait pour être vrai et qui repose sur des rebondissements difficilement prévisibles. On accompagne Alice, incarnée avec conviction (et beaucoup de charme) par Florence Pugh, dans ce “pays des merveilles” et on suit ses tentatives de traverser le miroir pour découvrir la vérité qu’il dissimule. Mais quelle vérité? Le contexte – années 1940/1950, base perdue au milieu du désert, sensation de danger imminent ‘- semble induire que le projet “Victory” est un ersatz du “Projet Manhattan” et que le film va se diriger vers une réflexion sur les dangers du nucléaire ou de la recherche scientifique. Sans doute y a-t-il un peu de cela dans le synopsis, mais le changement de cap radical du récit, à la fin du film, vient tout remettre en question.
Ce qui est certain, en revanche, c’est que le film cherche à bousculer cette vision “idyllique” de la famille-modèle, où la femme n’a d’autre fonction que de s’occuper du foyer. Dans cet univers, elle n’a pas d’activité professionnelle, aucune fonction dans la gestion de la communauté. Elle ne sert qu’à faire la cuisine, le ménage, éduquer les enfants et  à assurer le “repos du guerrier”. Une routine bien monotone, peu stimulante d’un point de vue intellectuel. Le personnage d’Alice, qui semble, au départ, se satisfaire de sa petite vie rangée, réalise peu à peu que cette société régie exclusivement par les hommes s’apparente à une prison dorée. Son enquête induit une remise en cause intégrale du système. Elle réclame davantage d’informations sur le travail des hommes de la communauté, sollicite davantage de liberté de mouvement et de décision, demande à ce que sa voie soit écoutée… Elle est clairement dans une démarche militante féministe, que partage sans doute Olivia Wilde, qui occupe ici la double casquette de réalisatrice et d’actrice et s’est battue pour que le film puisse se monter. Il est assez peu probable que la cinéaste, sympathisante démocrate, milite pour le retour à cette “société de papa” où la femme était reléguée au second plan, quand bien même  certains conservateurs américains aimeraient revenir à ce schéma social d’un autre âge.
Placer le contexte du film dans un tel environnement est en revanche très utile pour effectuer le parallèle entre la société américaine des trente glorieuses, qui vivait dans la peur de nombreux facteurs externes (peur du communisme, peur des bombes atomiques rivales, peur d’une guerre civile provoquée par les mouvements pour les droits civiques,…) en oubliant parfois les dérives intérieures (Maccarthysme, programme d’écoutes et de neutralisation des citoyens jugés subversifs par le FBI…), et la société américaine actuelle, qui utilise aussi le moteur de la peur (peur du conflit russo-ukrainien, de l’Etat Islamique et du terrorisme religieux, peur du changement climatique et de la COVID-19…) pour revenir sur des acquis constitutionnels ou mettre en place des lois liberticides. Le principe est toujours le même, placer les individus dans un carcan assez rigide, de façon à les contrôler tout en leur donnant l’impression d’être libres.

Cependant, Don’t worry darling n’est pas un film à thèse. C’est un thriller hollywoodien efficace, qui s’appuie plus sur les recettes des vieux thrillers que sur celles de blockbusters modernes. Il y a un peu d’Hitchcock, de Lang ou de Clouzot, dans la façon de faire monter le suspense patiemment, à l’aide de petits détails étranges et de personnages inquiétants. On pense aussi un peu à A Cure for life de Gore Verbinski, qui rendait aussi un hommage appuyé aux auteurs précités.
Olivia Wilde utilise aussi, par moments de curieux flots d’images, articulés autour du motif du cercle – globe oculaire, ballet de danseuses filmé du dessus,… –, pour amplifier le côté mystérieux de l’intrigue. C’est plutôt audacieux de la part d’une cinéaste encore débutante (Don’t worry darling est son second long-métrage de fiction), mais ce pari est réussi, car on se passionne vite pour l’intrigue, curieux de voir où elle va nous mener.
Le talent de Florence Pugh fait le reste. La jeune actrice est autant crédible en épouse modèle des fifties, sage et dévouée, qu’en enquêtrice opiniâtre, prête à tout pour découvrir la vérité que s’ingénient à lui cacher les hommes de la communauté, dont le leader, Frank (Chris Pine, inquiétant à souhait) et son propre mari, Jack (Harry Styles, plutôt convaincant dans ce rôle qui ne lui était pas destiné de prime abord).

Il manque peut-être à Don’t worry darling un petit quelque chose qui lui donne une autre dimension, en dépit des pistes d’analyse proposées plus haut. Mais rien que pour sa belle structure narrative et le rebondissement vertigineux que les scénaristes ont imaginé, le film vaut largement le détour.


Contrepoints critiques

”Don’t Worry Darling is  laden with half-baked, risk-free ideas that do little to shock or stir.”
(Steph Green – BBC Culture)

”Un thriller psychologique comme on ne l’imagine plus : oppressant et bourré d’étrangeté. Une mise en scène effarante d’assurance (ce n’est qu’un 2e film…) au service d’une actrice qui ne déçoit décidément jamais “
(Michael Ghennam @thelostMIG sur Twitter)


Crédits photos :  Courtesy of Werner Bros Pictures – images fournies par La Biennale Cinema 2022

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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