power_of_the_dog_xxlg-1037x1536[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

Des désirs refoulés et des passions interdites. Une épouse qui s’ennuie. Son mari, un bourgeois bien propre sur lui. Plus la présence d’un homme viril, mais rustre et un brin sauvage. Et un piano, au beau milieu de tout ce petit monde…
Hé! Mais c’est La Leçon de piano! Non, mais pas loin, car comme ce-dernier, The Power of the dog  est signé Jane Campion. La différence, c’est qu’ici, l’action se déroule dans le Far West américain du début du XXème siècle et que sa narration révèle quelques surprises à mesure que se déroule cette intrigue pleine de frustration et de sentiments contenus.

Les deux personnages masculins précités sont frères, malgré leurs nombreuses différences. Les Burbank sont issus d’une famille bourgeoise aisée, mais ont été élevés au ranch familial par un cowboy à l’ancienne, Bronco Henry, qui leur a transmis tout son savoir en matière d’artisanat rural, de dressage de chevaux et d’élevage de bovins. Mais si Phil (Benedict Cumberbatch), à l’image de ce mentor, se comporte comme un cowboy rustre et malpropre, George (Jesse Plemmons) est plus raffiné et élégant. Le premier s’occupe des vaches au quotidien, guide les troupeaux et dépèce les bêtes quand nécessaire. Il tanne le cuir, fabrique des cordes, plante des clôtures. Le second s’occupe des comptes et fait des courbettes aux politiciens locaux. Il a tout de l’homme d’affaires moderne.
Un soir, ils s’arrêtent dîner dans le restaurant tenu par Rose (Kirsten Dunst), une veuve qui vit avec son fils unique Peter (Kodi Smit-McPhee), étudiant en médecine. Les cowboys, ivres et excités par le passage au bordel local, se comportent comme des bêtes et Phil se montre même particulièrement vache avec le jeune homme, qu’il raille pour son côté efféminé et hypersensible. George, lui, ne participe pas à cet épisode détestable, et s’empresse même de consoler la jolie veuve, qu’il épouse dans la foulée.

Pour Rose, cette nouvelle vie aux bras d’un homme aisé pourrait être une bénédiction, mais elle se sent vite mal à l’aise dans le ranch familial, en tout cas pas à sa place : Elle est trop bien éduquée pour être acceptée par le personnel et les cowboys, mais d’origine trop modeste pour se sentir à l’aise aux côtés de grands bourgeois et de figures politiques comme le gouverneur et son épouse. Surtout, elle se heurte perpétuellement à Phil, qui a vu clair sur sa personnalité et passé son temps à la martyriser ou lui manifester son hostilité. Quand Peter arrive au ranch, entre deux années étudiantes, Rose craint qu’il ne soit la cible des moqueries de Phil et de ses acolytes. Mais étrangement, Phil finit par se rapprocher du jeune homme, le prend sous son aile, avec pour ambition de retrouver avec lui la relation mentor/élève qui le liait à Bronco Henry.

Pourquoi on remue la queue?

Parce que Jane Campion, même si elle tourne trop peu, excelle toujours à raconter ce genre d’histoire où les sentiments sont confinés, étouffés, mais où chaque plan est chargé de tension érotique, de violence ou de mystère, le plus souvent entremêlés.
Elle mène de main de maître ce récit, adapté du roman de Thomas Savage (1), en laissant au spectateur le soin d’essayer de lire entre les lignes et d’imaginer où cil va nous emmener. Bien sûr, on devine que tout ceci va in fine virer au drame, mais sans vraiment savoir ce qui va bien pouvoir déraper.

Dès le début, on sent de l’animosité entre les deux frères. Phil méprise son frère, qui a renié les enseignements de leur mentor pour devenir un pied-tendre, un bourgeois replet et sans charisme, comme leurs parents. George semble écoeuré par son congénère, sale et malpoli, qui le rudoie et l’insulte incessamment. On se dit que cela va se terminer par un duel au soleil façon Caïn et Abel, qu’un seul des deux survivra. On pressent encore plus cette issue tragique quand Rose se retrouve entre les deux hommes, sans trop savoir si l’hostilité de Phil à l’encontre de la jeune femme est guidé par l’idée de se retrouver encore plus isolé de son frangin ou s’il est au contraire jaloux de celui-ci.
Car une curieuse relation d’attirance/haine semble peu à peu se nouer entre Rose et lui. Peut-être parce qu’ils se ressemblent plus qu’ils ne le pensent. Phil perce vite à jour le malaise de cette femme qui ne se sent pas dans son élément. Comme lui, c’est une travailleuse, pas une femme du monde. Elle n’a pas le bagage culturel, la conversation, les aptitudes musicales pour côtoyer les élites. Mais au lieu de se rapprocher d’elle, il la défie, la pousse à bout.
Là encore, on se demande ce que cette tension va bien pouvoir générer : dépression et suicide, viol, crime passionnel? Quand débarque Peter, grand gaillard efféminé et hypersensible, les craintes se déplacent vers son personnage. On redoute qu’il soit vite pris en grippe par Phil et les cowboys du ranch, prêts à l’humilier et à lui apprendre à être un homme en employant la manière forte. Mais là encore, le film bifurque vers d’autres pistes, plus étonnantes, qui naissent au détour d’un plan, d’un regard, d’une parole. Le film s’aventure sur d’autres territoires, plus complexes, sans que le scénario soit particulièrement démonstratif. Tout cela n’est possible que grâce au talent de Jane Campion qui sait transformer des mécaniques complexes, très littéraires, en un mouvement fluide et sensoriel. Comme dans La Leçon de piano, oeuvre évoquée plus haut, la cinéaste néo-zélandaise peaufine des images saturées d’émotions positives et négatives, en jouant sur le contraste entre la nature sauvage et le minuscule îlot de civilisation que constitue la maison, entre les grandes étendues et les secrets des personnages, comprimés jusqu’à l’extrême, entre la lumière extérieure, apportée par l’ardent soleil estival, et l’obscurité des boudoirs bourgeois ou des granges en bois. Elle traque sur les visages de ses acteurs, tous formidables, avec une mention particulière pour Benedict Cumberbatch, qui se glisse avec talent dans la peau de ce personnage complexe et ambigu, capte les gestes qui pourraient trahir une émotion, un doute, un secret honteux.

On se laisse peu à peu hypnotiser et emporter par cette narration singulière, curieux de voir où tout cela peut mener – on ne le découvrira que dans l’ultime partie – et reliant les thèmes abordés par ce film au reste de l’oeuvre de Jane Campion. Car on comprend ce qui a pu attirer la cinéaste dans cette histoire. Comme dans Un Ange à ma table, Portrait de femme ou Sweetie, il est ici question de la difficulté à affirmer sa différence, qu’elle soit sexuelle, sociale ou mentale. il est aussi question du poids des conventions, des traditions, de l’héritage patriarcal qui décrit ce que doit être le comportement d’un homme et la place d’une femme, la place des individus dans la hiérarchie sociale, de la haute société jusqu’aux classes laborieuses. Et là encore, elle décrit un contexte – celui du Montana rural du début du XXème siècle – bien peu enclin à accepter les écarts de conduite et les différences.

On peut remercier Netflix d’avoir laissé à Jane Campion la liberté de créer cette oeuvre en toute liberté artistique, sans étouffer son style et sans lui imposer un format narratif plus conventionnel. En revanche, on regrettera que, par ce biais de production, le film ne trouve jamais sa place sur grand écran en dehors d’un festival comme Venise. Car c’est bien une oeuvre pensée pour le cinéma, truffée de plans splendides, d’images stylisées et baignée dans une ambiance lumineuse singulière, qui s’appréciera plus sur une toile géante que sur un écran de 22’’…

Prix potentiels ?

Comme Pedro Almodovar, l’expérimentée Jane Campion a tous les atouts pour aller décrocher un Lion d’Or, qui ferait bonne figure à côté de sa Palme du même métal. Ou bien un prix de la mise en scène.
Cette histoire mélodramatique a probablement ému le jury. Maintenant, tout dépend des critères de choix des oeuvres à primer.
Ici, on a un film narratif “classique” – du moins sur le fond –  qui fait la part belle aux émotions, pas dans un manifeste politique ou une oeuvre expérimentale. Si le jury préfère primer des oeuvres plus originales, la cinéaste néo-zélandaise ne sera pas au palmarès…
Côté comédiens, Benedict Cumberbatch pourrait tirer son épingle du jeu, à moins que le jury n’opte pour son jeune partenaire, Kodi Smit-McPhee.

Contrepoints critiques

”D’accord, c’est très bien mis en scène, mais le scénario, je suis désolé, mais c’est zéro. Rien ne fonctionne. On ne croît pas à cette histoire et à ses rouages!”
(Nicolas L., cinéphile français agacé, en débrief de fin de projection)

”It’s a film which shimmers with intelligence, and if the plot isn’t clear until the very last scene, well, it’s worth the wait. When that scene arrives, the purpose of every previous scene snaps into sharp focus, leaving you with the urge to go back to the beginning and watch the whole thing again.”
(Newsdesk.io)

”In the end, there is both nothing terribly bad and nothing all that great about The Power of the Dog. It’s just a fine film that had a lot more potential considering the creatives at hand.”
(Ben Rolph – Discussing film)

(1) : « Le Pouvoir du chien » de Thomas Savage – éd. Gallmeister

Crédits photos : copyright Netflix 

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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